Coup d’État au Gabon: l’opposition peut-elle faire confiance aux militaires ?
Le général Brice Oligui Nguema a été proclamé, par « l’ensemble des chefs » de corps de l’armée, « président de transition ». Mais sans que soit indiqué pour combien de temps ni à la tête de quelles institutions. Des opposants saluent la chute du pouvoir des Bongo, mais restent prudents sur la suite des événements. Le principal opposant Albert Ondo Ossa estime, lui, que la prise de pouvoir des militaires n’est pas un coup d’État mais une « révolution de palais ». « Le clan Bongo est toujours au pouvoir ». Paroles d’opposants.
« C’est un rêve ! » Marc Ona Essangui n’en revient toujours pas. « J’ai 50 ans, je n’ai connu que les Bongo. C’est une forme de libération », poursuit cet activiste écolgiste gabonais et militant des droits humains. « Nous nous attendions à ce que ce pouvoir (celui d’Ali Bongo) passe à nouveau en force avec coupure d’Internet, interdiction des médias français ou francophones, couvre-feu. Et à peine 10 minutes après la proclamation du résultat qui donnaient Ali Bongo vainqueur (64% selon la Commission électorale). J’ai entendu des coups de feu dans la rue puis la lecture du communiqué à la télévision par des représentants de l’armée », décrit Marc Ona Essangui.
« Le coup d’État est une surprise totale et nous nous sommes sentis libérés et enfin soulagés. Nous sommes libérés d’une chape, d’une charge », décrit de son côté Annick, membre de la diaspora gabonaise. Tous les samedis, elle manifestait devant l’ambassade du Gabon à Paris contre le régime Bongo.
Je ne donne pas pour l’instant ma confiance (au général Brice Oligui Nguema) à quelqu’un que je ne connais pas.
Laurence Ndong, conseillère de Albert Ondo Ossa.
Marc Ona Essangui est un opposant au régime d’Ali Bongo. Il est le président de « Tournons la Page! » pour le Gabon, mouvement citoyen de défense des droits humains. La surprise passée, l’incertitude demeure encore sur les intentions des militaires désormais au pouvoir.
Invitée du Journal Afrique sur TV5MONDE le 30 août, Laurence Ndong, conseillère spéciale du candidat de l’opposition Albert Ondo Ossa, n’est pas encore prête à accorder sa confiance aux militaires.
Il faut restituer les choses, c’est pas un coup d’État c’est une révolution de palais. C’est une révolution de palais donc le clan Bongo est toujours au pouvoir.
Albert Ondo Ossa à TV5MONDE
« Nous ne sommes pas dupes. Lorsque les militaires font un coup d’État c’est pour prendre le pouvoir. Je ne donne pas pour l’instant ma confiance (au général Brice Oligui Nguema) à quelqu’un que je ne connais pas », affirme Laurence Ndong.
Les opposants civils au régime Bongo ont-ils peur de se faire confisquer le pouvoir par les militaires ? La conseillère d’Albert Ondo Ossa ne répond pas par l’affirmative. « Ce ne sont pas les militaires qui ont volé la victoire d’Albert Ondo Ossa mais c’est bien Ali Bongo ! », estime Laurence Ndong. Pour sa part, Albert Ondo Ossa, se montre très critique des militaires dans un entretien exclusif donné à TV5MONDE ce 31 août 2023. « Il faut restituer les choses, c’est pas un coup d’État c’est une révolution de palais. (…) C’est une révolution de palais donc le clan Bongo est toujours au pouvoir », affirme-t-il.
La principale plateforme de l’opposition au Gabon, Alternance 2023, a demandé jeudi 31 août aux militaires qui ont renversé le président Ali Bongo Ondimba d’achever le comptage des bulletins de vote pour reconnaître la « victoire » de son candidat, Albert Ondo Ossa. Les militaires doivent-ils laisser le pouvoir à Albert Ondo Ossa ?
Proclamer Albert Ondo Ossa président ?
« Nous voudrions que Albert Ondo Ossa soit proclamé président. Les militaires doivent nous accompagner dans le chemin de la démocratie. La vérité des urnes doit être rétablie. L’armée est d’ailleurs consciente qu’il y avait un problème avec ces résultats prononcés par le régime Bongo. Le nouveau président de la transition doit entendre le vote du 26 août », estime Annick, membre de la diaspora et opposante de longue date à Ali Bongo.
Le général Brice Oligui Nguema n’est pas Ali Bongo. Il ne considère pas le Gabon comme son royaume.
Marc Ona Essangui, président de « Tournons la Page »
Marc Ona Essangui, président de « Tournons la Page » estime lui qu’Albert Ondo Ossa n’est pas un homme politique lésé par la tournure des événements. « Les militaires ont expressément annoncé la fermeture des institutions du régime précédent notamment la Commission électorale. Il est difficile de prononcer de nouveaux résultats », estime Marc Ona Essangui. « Il faut aller au delà de ce dernier scrutin. Il faut refonder les institutions qui sont défaillantes », précise l’opposant. Marc Ona Essangui ne craint pas une confiscation du pouvoir par les militaires au détriment des civils. « Les militaires ont dénoncé ce que les opposants dénoncaient. C’est à dire la mauvaise gouvernance, l’irrégularité des élections, le détournement de l’argent public.«
Par ailleurs, cet opposant ne veut pas comparer l’armée gabonaise à celles du Mali, du Niger ou du Burkina Faso où des putschistes ont pris le pouvoir. « Ce sont deux situations différentes. Les officiers n’ont pas tenu un discours sur l’impérialisme ou contre la France. Les éléments de language ne sont pas ceux des militaires au Sahel. Nous n’avons pas vu des manifestants dans les rues de Libreville avec des drapeaux russes. Il s’agit avant tout d’une problématique gabonaise. Le général Brice Oligui Nguema n’est pas Ali Bongo. Il ne considère pas le Gabon comme son royaume comme les Bongo pendant plus de 50 ans. Le régime déchu avait pour projet de faire élire le président avec les seuls parlementaires et non plus par les Gabonais directement », poursuit Marc Ona Essangui.
Les militaires doivent également organiser rapidement des élections libres.
Marc Ona Essangui, président de « Tournons la Page »
Quels gestes doivent faire les militaires au pouvoir pour rassurer les opposants civils ? « Ils ont annoncé des choses importantes. Ils ont rétabli Internet, les grands médias internationaux », note le président de « Tournons la Page ».
« Ils doivent rapidement organiser une grande conférence pour que les filles et les fils du Gabon refondent les institutions du pays. Ils doivent également organiser rapidement des élections libres », estime Marc Ona Essangui.
Laurence Ndong, conseillère spéciale du candidat de l’opposition Albert Ondo Ossa attend, elle, que les militaires fassent ce qu’ils ont dit. « Les militaires ont dit que la gouvernance du pays était calamiteuse, que le pays n’allait pas bien. Nous attendons qu’ils remettent le pays dans une voie normale, qu’ils remettent en place les institutions qui étaient confisquées par la famille Bongo », demande Laurence Ndong.
Le nouvel homme fort du Gabon, le général Brice Oligui Nguema, sera intronisé lundi 4 septembre président d’un pouvoir de « transition » à la durée encore indéterminée.