Xi Jinping à Moscou: des convergences sur ce que devrait être l’ordre mondial, des divergences sur la façon d’y parvenir

Le président Xi Jinping est arrivé ce lundi 20 mars à Moscou, pour une visite d’État de trois jours en Russie. Une visite dans un contexte international particulier avec le conflit en Ukraine, le mandat d’arrêt émis par la CPI contre Vladimir Poutine et les tensions sino-américaines. Selon Zhao Long, directeur adjoint de l’Institut des relations internationales de Shanghai, si la Chine et la Russie partagent l’idée que l’ordre international peut être injuste et qu’il est nécessaire de le réformer, il existe des différences dans la manière de résoudre les problèmes.  

Propos recueillis par notre correspondant à Pékin eLouise May RFI

RFI : Des critiques sont apparues récemment dans les milieux universitaires chinois relativisant « l’amitié solide comme un roc » entre la Chine et la Russie. Comment expliquer cette fronde ?   

Zhao Long : Ce que vous appelez des critiques ne sont pas forcément des critiques, mais il peut y avoir des divergences de perception à propos de la relation entre Moscou et Pékin aujourd’hui. Certains ont effectivement avancé que la coopération entre les deux pays était sans limite, alors que d’autres remettent en question non pas les relations entre la Chine et la Russie mais le fait qu’il n’y ait aucune limite à cette coopération. On entend souvent parler par exemple de « l’amitié solide comme un roc » entre la Russie et la Chine, mais rarement des exemples de cette amitié sont donnés.

La soi-disant amitié solide comme le roc se manifeste, en premier lieu, au niveau politique.  Les deux pays ont de nombreux points d’accord sur la compréhension du système international actuel et des changements dans l’ordre international. La Chine comme la Russie affirment vouloir promouvoir un monde multipolaire et accroître la représentation des pays en développement. A cela s’ajoute la relation de voisinage et un environnement géopolitique et économique commun. Les deux pays sont complémentaires dans leur développement.

L’économie de la Russie est tirée par l’exportation de ses ressources naturelles. Et la Chine a un énorme marché avec une importante demande, notamment en termes de ressources. Il y a aussi une forte complémentarité dans le domaine de la technologie et des sciences, ce qui fait que le commerce bilatéral entre la Russie et la Chine a explosé ces deux dernières années. Il a dépassé les 190 milliards de dollars l’an passé, et on parle de franchir la barre des 200 milliards cette année. Enfin, il y a l’histoire commune. Les relations entre la Chine et la Russie ont connu une étape tâtonnante à l’époque de l’URSS (NDLR : la guerre sino-vietnamienne en 1979), mais aussi après l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, où il y a eu quelques moments désagréables entre les deux pays.  

RFI : Comment l’intelligentsia chinoise perçoit cette « amitié éternelle » entre la Russie et la Chine ? 

Tout d’abord, l’expression « amitié éternelle » est inexacte, car l’éternité est difficile à prédire. L’orientation stratégique visant à développer ces relations amicales sur le long terme existe en revanche. Mais encore une fois, il y a beaucoup d’interprétations et de malentendus dans les médias.

La Russie, comme la Chine entendent éviter les obstacles sur le chemin de leurs relations qu’elles souhaitent laisser se développer naturellement. Mais la Chine espère aussi ce type de coopération avec d’autres pays. Et puis, cette amitié dépend aussi des capacités et des exigences de chacun, et cela n’est pas illimité. Il est difficile d’imaginer que les deux capitales seront toujours 100% d’accord. Le partenariat stratégique entre la Russie et la Chine, et la confiance mutuelle, permettent de mieux se coordonner sur différentes questions.

Ce que ne comprend pas l’intelligentsia chinoise, c’est cette idée d’éternité qui n’existe qu’en théorie. Il faut que la relation sino-russe soit bien entretenue, et pour cela elle doit reposer sur les intérêts des deux parties et leurs intérêts communs au sein de la communauté internationale. Les principes clés sont ceux du non-alignement, de la non-confrontation et du non-ciblage de tiers. Les besoins des deux parties sont très clairs à ce sujet. Il s’agit de permettre au partenariat de résister aux influences extérieures. 

RFI : Est-il possible pour la Chine d’aider davantage la Russie dans la guerre en Ukraine ? Cela pourrait-il aller au-delà des relations commerciales « normales », par exemple en fournissant du matériel militaire ? 

Si vous regardez les déclarations officielles chinoises, il est toujours souligné que la Chine se tient du côté de la paix et du dialogue, ce qui est incompatible avec une assistance militaire. La Chine devrait donc rester très prudente en ce qui concerne l’exportation d’équipements militaires commerciaux à double usage, ce qui pourrait être perçu comme une assistance militaire à la Russie. C’est une ligne rouge pour Pékin je pense.  

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RFI : La Russie continue ses attaques contre l’Ukraine après plus d’un an de conflit. Comment dans ce cas, Pékin et Moscou peuvent appeler à un nouvel ordre mondial, en commun ?  

La Chine et la Russie estiment que l’ordre international actuel est injuste, déraisonnable et imparfait. Mais il est vrai que nous avons également des différences dans la manière de résoudre le problème. La Chine a insisté, par la voix du président chinois comme du ministère des Affaires étrangères, sur le fait que l’ordre international devait être maintenu, mais aussi réformé et amélioré en même temps. Le plus important pour Pékin étant d’accroître son équité, c’est-à-dire de faire en sorte que l’ordre ne soit pas dominé par quelques pays, et ensuite la voix des pays en développement devrait être plus visible. La Russie estime qu’elle ne fait pas partie des principaux bénéficiaires de la mondialisation ou de l’ordre international actuel. Elle a même un sentiment de déclassement et elle estime que les intérêts de la Russie ne sont pas bien servis par l’ordre international aujourd’hui.

Certains en Russie parlent de reconstruction destructrice, c’est-à-dire une décomposition avant un recommencement, et l’établissement d’un nouvel ordre. Donc il y a le même objectif d’arriver à un ordre multipolaire, plus équitable, mais les approches peuvent être complètement différentes sur certaines questions majeures. Je pense que c’est principalement lié à stratégie des deux pays. 

RFI : Le professeur Feng Yujun, en collaboration avec le Dr Wen Longjie, viennent de publier une étude qui a fait pas mal de bruit sur l’idéologie messianique du nationalisme de Poutine. Le rapport indique notamment que la notion de « frontières culturelles » contredit celle du respect de la souveraineté des pays.  

Il est vrai que la société russe, y compris ses élites, porte un regard différent sur les conflits actuels dans le monde, à commencer par la question ukrainienne. Certains intellectuels chinois pensent qu’il y a une forte empreinte impériale culturelle et historique dans l’idéologie russe. Cela signifie notamment que la Russie n’envisage pas les conflits régionaux dans le sens moderne de l’indépendance souveraine. Il y a aussi les notions de fierté nationale et d’espace civilisationnel unifié. C’est pourquoi la Chine et d’autres pays disent que la question ukrainienne est très compliquée, parce qu’elle abrite de nombreuses questions d’identité historique et ethnique complexes. Et ce que M. Feng dit aussi dans son rapport c’est que c’est un facteur à ne pas négliger. De nombreux pays aujourd’hui, principalement les États-Unis et l’Europe, voient la question ukrainienne uniquement du point de vue de l’État souverain moderne et ils peuvent ne pas comprendre ce qui se cache derrière les décisions de la Russie. Ce qui rend difficile la compréhension mutuelle entre l’Occident et la Russie.

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