560 MILLIARDS MOBILISES
Succès technique, contrainte structurelle – La dernière émission obligataire de l’année lancée par le Sénégal qui a levé un montant de 560 milliards FCfa sur le marché financier sous-régional, avec un taux de couverture de 140 %, est techniquement une réussite. Elle est cependant révélatrice d’une contrainte structurelle.
Le recours au marché UEMOA n’est plus un choix opportuniste : c’est désormais la principale béquille budgétaire. En 2025, les émissions se sont enchaînées, souvent au-delà des montants annoncés, non par confort mais par nécessité. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : mars : 150 milliards recherchés, 450 milliards levés ; juillet : 300 milliards visés, 364 milliards levés ; septembre : 300 milliards, plus de 450 milliards mobilisés.
La dernière opération ne fait que prolonger cette trajectoire. Ce n’est plus un épisode, c’est une dynamique.
Taux plafonnés : un risque encadré, pas effacé
Les autorités mettent en avant des taux plafonnés à 6,95 %, avec des maturités allant jusqu’à 10 ans. Le message qui se dégage signifie que l’État a dû « borner » le prix du risque en fixant à l’avance un taux maximum acceptable, au-delà duquel il refuse d’emprunter. Cependant, un plafonnement des taux n’est pas une victoire du marché : c’est une contrainte imposée au marché. Le prix du risque est administré, pas révélé.
Finalement, le coût réel augmente, mais hors budget apparent. Imaginons un thermomètre sur lequel le plafond, c’est mettre une limite à l’affichage et pas faire baisser la température. La fièvre est là, mais elle ne s’affiche pas entièrement.
Quand le prix ne peut plus jouer son rôle, le risque se déplace ailleurs : vers des maturités plus courtes que souhaité, vers une concentration accrue sur les banques locales, vers une dépendance renforcée à un nombre limité d’acteurs. Le risque n’a donc pas disparu, il a simplement changé de forme. Une situation révélatrice d’une contrainte structurelle.
Allonger les maturités : gagner du temps, pas de la marge
L’allongement des maturités vise à soulager la pression immédiate sur le service de la dette. Sans plafonnement, ces maturités longues auraient très probablement exigé une prime plus élevée. Le choix est donc clair : reporter la contrainte.
Le marché accepte donc le long terme en limitant son exposition réelle et en exigeant une prime implicite en transférant le risque dans le temps.
Le problème, c’est que le refinancement futur se fera dans un environnement inconnu (conditions de liquidité, perception du risque souverain, discipline budgétaire). Si ces paramètres se détériorent, la facture reviendra, concentrée et plus difficile à absorber.
Le thermomètre du marché
C’est le chiffre qui rassure le plus. Un taux de couverture (qui renseigne sur l’appétit du marché) de 140 % est souvent brandi comme un signal de confiance. En réalité, il mérite d’être décodé.
Dans cette opération, l’État a dû s’adapter au marché (prolongation, arbitrages) avant de reprendre la main en fin de parcours. Le chiffre final masque des appétits très inégaux selon les maturités et les profils d’investisseurs. C’est un équilibre sous tension.
La sursouscription peut tout aussi bien traduire l’absence d’alternatives de placement crédibles, la contrainte réglementaire poussant les banques vers les titres publics, la frilosité vis-à-vis du crédit privé. L’excès de liquidité bancaire et les règles prudentielles favorisent mécaniquement le financement de l’État. L’argent va au souverain par défaut. La liquidité est ainsi immobilisée, l’exposition souveraine s’accumule, et la sensibilité du système financier à un choc budgétaire augmente. La boucle État–banques se resserre, sans véritable amortisseur externe. À court terme, cela stabilise. À moyen terme, cela fragilise.
Trois émetteurs, trois stratégies
Il serait intéressant de comparer un peu les stratégies de la Côte d’Ivoire, du Sénégal et du Bénin en matière de levées de fonds sur le marché régional de l’UEMOA.
La Côte d’Ivoire bénéficie d’une profondeur de marché supérieure et d’une base d’investisseurs plus diversifiée. Elle reste le plus gros et souvent le plus actif émetteur souverain sur le marché UEMOA avec des volumes levés importants et réguliers. Ses émissions sont régulières, prévisibles, souvent sans prolongation, y compris sur des maturités longues. Elle utilise des mécanismes avancés comme l’échange de titres arrivant à échéance pour allonger sa dette et lisser les remboursements (une pratique plus sophistiquée que pour beaucoup d’autres Émissions de l’UEMOA). Le message est clair : le marché suit sans contrainte majeure.
Le Bénin, de son côté, privilégie la discipline : moins d’émissions, plus ciblées, même quand la demande est abondante.
Le Sénégal se situe entre les deux : actif, techniquement solide, mais structurellement contraint par la répétition des levées et l’étroitesse relative de son marché domestique.
Le mauvais signal
Fait non négligeable, le risque de concentration de la dette. En fait, même si les maturités sont étalées (3, 5, 7, 10 ans), on crée des pics de remboursement futurs, surtout si une partie sert à refinancer de la dette existante. Certes le recours accru au marché local crée une dépendance accrue aux acteurs locaux. Que vaudrait l’avantage de moins dépendre des marchés internationaux et celui de s’affranchir du risque de change, si de l’autre côté les banques locales sont déjà très exposées à la dette publique, ou qu’un choc macroéconomique touche tout le système financier en même temps ?
Par conséquent, trop de levées rapprochées est susceptible d’envoyer le mauvais signal aux agences de notation, au FMI et aux bailleurs internationaux qui scrutent surtout le rythme d’endettement, la capacité de remboursement, et la part des recettes absorbée par la dette. « L’État finance sa trésorerie plus qu’il n’investit ».
Malick NDAW
LERAL

