Équipements, renseignements… Comment la France va aider le Nigeria en pleine crise sécuritaire

Le président français Emmanuel Macron a répondu à la « demande » du président nigérian Bola Tinubu et a annoncé ce dimanche 7 décembre renforcer l’« action de partenariat » entre la France et le Nigeria. Le nord du pays fait face à une grave crise sécuritaire et à l’action de groupes djihadistes. Il s’agira notamment de « partager l’expérience française en matière de lutte contre le banditisme », selon les experts interrogés par TV5MONDE. 

Par Séraphine Charpentier – SOURCE RFI

Après l’enlèvement de 402 personnes en l’espace de trois semaines, le gouvernement nigérian a lancé un appel à la France. Le président français, Emmanuel Macron, a annoncé sur X répondre à « la demande » du président nigérian, Bola Tinubu et renforcer son « action de partenariat avec les autorités et de soutien aux populations touchées » par la crise sécuritaire qui secoue le nord du pays. Le président français justifie ce renforcement de la coopération entre les deux États par la « solidarité française » vis-à-vis des « différents défis sécuritaires » et notamment « la menace terroriste dans le Nord » du pays.  

Onze ans après le dramatique enlèvement de masse des 276 lycéennes de Chibok, le Nigeria fait face à des kidnappings d’une ampleur inimaginable. Des centaines de personnes, en majorité des écoliers, on été enlevées dans quatre États du pays, depuis le 17 novembre. 

Dans le nord du pays, aux frontières du Bénin et du Niger, une multiplicité d’acteurs prospère. D’un côté, des bandits, de l’autre, Boko Haram et l’État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP), parmi tant d’autres groupes djihadistes. Les enlèvements perpétrés par ces gangs ou groupes armés endeuillent chaque année les familles.

« Renforcer les moyens d’action de l’armée nigériane »

Selon les spécialistes interrogés par TV5MONDE sur le sujet, l’appui français prendra surtout la forme d’un accompagnement sur différents volets: « La formation, le partage de renseignements et la judiciarisation de certaines questions, car au Nigeria, on privilégie souvent la neutralisation des bandits plutôt que de les arrêter et de les faire juger », explique Seidik Abba, chercheur associé et président du Centre international d’études et de réflexions sur le Sahel (CIRES).Sur le terrain, pas de déploiement de militaires français à proprement parler, mais un appui technique. « Je pense que ça ne dépassera pas une aide au niveau des équipements d’intelligence, comme des drones, pour traquer les groupuscules violents », explique à TV5MONDE Emmanuel Igah, politologue et spécialiste du Nigeria. 

Des drones « capables de voler de nuit et de traquer les mouvements » seraient fournis et constitueraient un « renforcement des moyens d’action de l’armée nigériane dans le domaine de l’intelligence », ajoute-t-il. 

« Le banditisme s’est sophistiqué au Nigeria »

« Le banditisme s’est beaucoup sophistiqué au Nigeria, sans que les forces de police ou les forces de sécurité intérieure se soient spécialisées. Et malheureusement, alors que nous sommes dans le cadre de la sécurité intérieure du pays, on fait appel à l’armée, qui ne sait pas lutter contre le banditisme mais qui est formée uniquement pour faire la guerre », explique Seidik Abba. La France viendrait ainsi « structurer » les forces de sécurité intérieure nigérianes. 

Concrètement, l’expertise française aidera à cibler la criminalité transfrontalière dans différentes zones: la zone Nigeria-Bénin, Nigeria-Niger et Nigeria-Tchad. Autant d’espaces gangrénés par différents groupes armés. 

« Emmanuel Macron est un nigérianophile »

Pourquoi faire appel à la France sur le volet sécuritaire, alors qu’à ce jour, ce sont « surtout les Britanniques et les Américains » qui forment les unités des forces de défense et de sécurité du Nigeria, comme le confirme Seidik Abba? La réponse se trouve certainement dans les relations « très bonnes » qu’entretiennent les deux pays. 

Des relations chaleureuses et dynamiques ménagées, en partie, par le tropisme du président français Emmanuel Macron pour ce pays d’Afrique de l’Ouest. « Emmanuel Macron est un nigérianophile, peut-être parce que lui-même avait fait son stage d’étudiant de l’ENA (l’École Nationale d’Administration en France) à Abuja », remarque Seidik Abba. Le président français a vécu près de six mois de sa vie à Abuja.

Le président Bola Tinubu, élu le 1er mars 2023, est également venu à titre privé plusieurs fois en France depuis qu’il est président. « Il se soigne à l’hôpital américain de Paris, à Neuilly-sur-Seine », remarque Seidik Abba. 

Le spécialiste rappelle qu’un an après son élection à la présidence, Bola Tinubu a effectué une visite d’État en France, « ce qui est un privilège », commente le chercheur. Lors de cette visite, les 28 et 29 novembre 2024, les deux hommes se sont promis de développer leur coopération économique. « Il y a un nouveau dynamisme des relations entre la France et le Nigeria », affirme-t-il. 

Les échanges économiques entre la France et le Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, ont doublé en dix ans. Le Nigeria, quatrième économie du continent, est le premier partenaire commercial de la France en Afrique subsaharienne, avec des échanges commerciaux de 4,9 Milliards d’euros en 2024. 

En 2021, les produits transformés représentaient la quasi-totalité des exportations françaises vers le pays. 95% des importations nigérianes en France concernaient les produits pétroliers. La multinationale française TotaleEnergies est implantée au Nigeria et extrait du pétrole, majoritairement en mer. La France est aussi l’un des premiers investisseurs étrangers au Nigeria. 

La France cherche à diversifier sa coopération en Afrique

En réalité, rapprocher Paris et Lagos a été une volonté du président français Emmanuel Macron depuis son premier mandat, en 2017. 

« Tout ce qui met Emmanuel Macron en lumière, en scène, dans un pays africain et qui aille dans le bon sens, est bon pour le président français. Il n’est plus en odeur de sainteté dans beaucoup de pays africains », affirme Emmanuel Igah. « Il a essayé ces derniers temps de diversifier la coopération de la France avec d’autres pays africains, qui ne soient plus dans le cadre étroit de la Françafrique », avance le politologue. 

Depuis 2022, la majorité des anciennes colonies françaises en Afrique a rompu les accords de défense qui les reliaient à la France. Le Niger, le Mali et le Burkina Faso (AES), sont également sortis de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) le 17 mars, consacrant la rupture avec l’ancienne puissance coloniale. 

Dans ce contexte tendu, la France cherche donc à ménager et à développer ses relations avec des pays africains anglophones ou lusophones. « Les pays anglophones et particulièrement l’Éthiopie, sont très sollicités par la France. Il y a eu une très grosse opération de promotion des relations économiques avec la France », détaille Emmanuel Igah, qui cite également les rapprochements entre la France et le Kenya ainsi que l’Angola, pays lusophone mais « producteur de pétrole ».  

Bola Tinubu, un président sous pression, contraint à l’action

Si pour la France, le « partenariat d’action » semble se justifier par des aspects en majorité économiques, pour le Nigeria et son président, le dossier est aussi politique. Face à une crise sécuritaire sans précédent et à la recrudescence des violences, le président nigérian est contraint à l’action. Il fait également face au mécontentement grandissant de la population, dans un pays avec une inflation galopante.

À son arrivée au pouvoir en 2023, Bola Tinubu hérite d’un pays en pleine récession économique. Le taux de pauvreté atteint alors les 42%. Malgré les réformes entreprises, en juillet, l’inflation était supérieure à 20%, selon le Fonds monétaire international (FMI). 

« Bola Tinubu a hérité d’un contexte très difficile », reconnaît Seidik Abba. Outre la situation économique, le président hérite aussi d’un « appareil sécuritaire gangrené », auquel se pose pourtant de nombreux défis. 

« C’est à travers des dossiers comme ça que son avenir politique va se jouer »

« Aujourd’hui, le président a pris le taureau par les cornes. Il a décrété l’état d’urgence sécuritaire qui confère des pouvoirs spéciaux aux forces de défense et de sécurité. Il a remanié l’ensemble de l’appareil militaire: l’état-major, les différents responsables des forces de sécurité, les patrons des services de renseignement, de la police… », détaille le spécialiste, pour « reprendre la main par rapport aux groupes armés ». 

Il reconnaît cependant que « la gangrène a déjà pris ». Les effets de ces politiques « prendront du temps ». S’ajoute à la complexité de la situation, l’organisation en État fédéral du Nigeria. Mais Bola Tinubu ne perd pas le nord et garde en ligne de mire les prochaines élections, d’où son appel à la France pour l’aider sur l’aspect sécuritaire, selon les chercheurs. 

« Je crois que le président a compris que c’est à travers des dossiers comme ça que son avenir politique va se jouer, que sa réélection, si jamais il était candidat, va se faire », conclut Seidik Abba. 

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