Crise en Guinée-Bissau : une démocratie sous verrou militaire

Réunies à Dakar hier, mardi 9 décembre, lors d’une conférence de presse inédite avec leurs homologues Bissau-guinéens, plusieurs organisations sénégalaises de la société civile parmi lesquelles Afrika Jom Center, Africtivistes et la Convergence africaine pour la démocratie et les droits humains (Sen Caddhu) ont dénoncé ce moment politique d’extrême fragilité en Guinée-Bissau. Face à ce qu’elles qualifient de « coup d’État militaire » dissimulé, elles exhortent la CEDEAO et l’Union africaine à intervenir sans délai pour rétablir la vérité des urnes et éviter une dangereuse régression démocratique dans la sous-région.

Au centre de leur mobilisation se trouve l’interruption du processus électoral par des militaires, précisément au moment où les résultats de la présidentielle devaient être proclamés. Pour Alioune Tine, fondateur d’Afrika Jom Center, « la manœuvre ne laisse aucune place au doute».  Il rappelle que « les pratiques électorales bissau-guinéennes sont parmi les plus transparentes du continent : dépouillement en public, présence des journalistes et des représentants de tous les candidats, distribution systématique des procès-verbaux. Le contrôle du scrutin est assuré par le peuple. Tout le monde part avec les résultats », insiste-t-il.

Pour Alioune Tine, l’argument selon lequel l’absence de proclamation officielle empêcherait de connaître l’issue du vote ne résiste pas à l’analyse. « Les copies authentiques des PV existent dans toutes les instances régionales et administratives du pays. Il est possible aujourd’hui de faire la sommation des résultats et de dire qui est le président. C’est la seule manière d’arrêter une véritable escroquerie démocratique », a-t-il martelé, non sans avoir accusé les putschistes d’avoir saboté le processus pour se maintenir au pouvoir.

Il rappelle par ailleurs que l’alliance formée entre le PAIGC et le PRS rendait la victoire du candidat soutenu par ces deux forces « incontournable ». C’est précisément cette réalité politique, dit-il, qui éclaire les manœuvres actuelles : « Il sait qu’il a perdu les élections. Il sabote, il fait un semblant de coup d’État et espère peut-être revenir ».

Les organisations réunies ont également dénoncé l’arrestation de plusieurs responsables politiques dont Domingos Simões Pereira, figure majeure du PAIGC. « Ils ressemblent à des otages politiques. C’est inadmissible », s’indigne Tine, qui réclame leur libération immédiate et inconditionnelle.

Pour Sengane Senghor, fondateur de Sen Caddhu, les événements en Guinée-Bissau s’inscrivent dans une dynamique préoccupante à l’échelle régionale.

« Une élection s’est tenue normalement. À la fin, il ne restait qu’à proclamer les résultats. Et des militaires se sont levés pour arracher le pouvoir. Pour nous, c’est suffisamment grave », affirme-t-il. Il rappelle que les Forces armées ne sont ni mandatées ni formées pour gouverner : « En république, les militaires doivent se soumettre à l’autorité civile. »

Pour faire face à cette dérive, les acteurs de la société civile saluent la fermeté dont a récemment fait preuve la CEDEAO au Bénin, où une tentative de putsch a été rapidement jugulée. Ils demandent que la même détermination soit appliquée en Guinée-Bissau. Ils exhortent Julius Maada Bio, président en exercice de l’organisation ouest-africaine, ainsi que l’ensemble des chefs d’État de la région, à rétablir sans délai l’ordre constitutionnel et à proclamer officiellement le vainqueur de l’élection.

« Ne pas réagir affaiblirait la CEDEAO », avertit Alioune Tine. Pour ces organisations, l’enjeu dépasse de loin le cas bissau-guinéen. Il s’agit de défendre l’intégrité du vote et la souveraineté des peuples dans toute l’Afrique de l’Ouest.

OUSMANE GOUDIABY
SUDQUOTIDIEN

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