Rapatriement des devises : la BCEAO resserre le contrôle, le patronat sous pression
Alors que près d’un quart des recettes d’exportation hors UEMOA échappent encore au circuit bancaire régional, la BCEAO resserre l’étau. Le nouveau règlement N°06/2024 redessine les règles du jeu pour les entreprises exportatrices et impose un contrôle accru des flux financiers. Une réforme qui entend à la fois protéger les réserves de change et redonner du souffle à la compétitivité extérieure.
Hier, au siège de la Chambre de Commerce, d’Industrie et d’Agriculture de Dakar (CCIAD), s’est tenue la rencontre semestrielle entre la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et les organisations patronales.
Dans un contexte international où les capitaux circulent à une grande vitesse, la Banque centrale entend rappeler aux opérateurs économiques que la discipline financière n’est plus une option, mais une condition de stabilité.
Entré en vigueur fin 2024, le règlement N°06/2024 marque une inflexion majeure dans la gestion des relations financières extérieures. Il répond à un impératif clair celui de doter l’UEMOA d’un cadre capable de suivre, d’encadrer et de sécuriser des flux devenus plus complexes et plus volatils. « Les économies de l’Union doivent être en mesure d’anticiper et de maîtriser ces mouvements », a insisté, Abdoulaye Sow, président de la CCIAD.
La présentation de la BCEAO a eu l’effet d’un sursaut. En 2024, 24,2 % des exportations sénégalaises hors UEMOA n’ont pas été rapatriées. Un volume inédit, d’autant plus paradoxal que les exportations ont progressé de 30,5 % grâce à la montée en puissance du pétrole de Sangomar et de l’or non monétaire. Ce déficit de rapatriement représente 3,5 % du PIB. Un chiffre suffisamment élevé pour peser sur les réserves de change et compliquer le financement des importations stratégiques – énergie, intrants industriels, équipements ainsi que le service de la dette extérieure. « C’est un enjeu de souveraineté financière », martela François Sène, directeur national de la BCEAO.
Domiciliation, encaissement, rapatriement : le triptyque désormais incontournable
Le règlement impose une série d’obligations que les entreprises devront intégrer à leurs pratiques opérationnelles à savoir domicilier toute exportation dépassant un seuil établi auprès d’un intermédiaire agréé ; Encaisser la totalité des recettes d’exportation dans les délais réglementaires ; Rapatrier les devises auprès d’une banque locale. À cela s’ajoute l’obligation pour tout résident de céder ses devises à la BCEAO, avec une seule soupape : les banques peuvent conserver jusqu’à 20 % de leurs recettes en devises pour leurs besoins courants. Des progrès existent toutefois : le taux de domiciliation a gagné deux points en deux ans, et celui d’encaissement a progressé de plus de cinq points.
Comptes en devises : une ère de vigilance
Talons d’Achille du système, les comptes en devises qu’ils soient ouverts localement ou offshore sont désormais placés sous surveillance avancée. Leur ouverture exige un avis conforme de la BCEAO fondé sur un dossier rigoureux. Leur usage, lui, est strictement circonscrit. En clair ; pas de rapatriement de recettes d’exportation ; pas de gestion du risque de change ; pas de règlements d’opérations courantes.
Même clarification du côté des travailleurs expatriés : au-delà d’un an de contrat, ils deviennent résidents et leurs salaires doivent transiter par un compte en francs CFA. La BCEAO met en place un dispositif dissuasif : les amendes prévues par la loi uniforme N°2014-12 peuvent aller jusqu’à deux fois le montant de l’infraction. Les dirigeants ne sont pas à l’abri d’une responsabilité personnelle. Mais la logique de la réforme va bien au-delà du contrôle et de la sanction. Pour Abdoulaye Sow, l’enjeu est aussi stratégique : « Une meilleure maîtrise des flux financiers extérieurs renforce la crédibilité de nos entreprises, améliore la qualité de leurs transactions internationales et rend le Sénégal plus attractif pour les investisseurs étrangers. » En somme, la BCEAO a rappelé trois priorités opérationnelles que sont: encaisser systématiquement les recettes d’exportation dans une banque sénégalaise ; régulariser les encaissements en souffrance ; fermer les comptes en devises ouverts à l’étranger sans autorisation. Cette réforme s’inscrit dans une recomposition plus large du paysage financier régional, avec un objectif assumé : protéger les réserves de change de l’UEMOA, assurer la stabilité du franc CFA et accompagner les économies de l’Union dans un environnement international où les chocs deviennent la norme.
JEAN PIERRE MALOU
SUDQUOTIDIEN

