Covid-19: trois ans après le premier mort à Wuhan, la Chine reste dans le flou statistique
C’était le 11 janvier 2020, la Chine annonçait son premier mort du Covid-19. Trois ans plus tard, le pays affronte une vague Omicron sans précédent. Le bilan des victimes reste très bas comparé aux autres pays, 5 354 décès officiellement. Que faut-il penser de ces chiffres ? Même si les crématoriums ont eu un regain d’activité cet hiver, officiellement, le Covid continue de faire très peu de décès en Chine.
De notre correspondant à Pékin,
Il en fait même pas du tout. La pneumonie virale ne tue pas en Chine, tout simplement parce que les autorités ont cessé de publier leurs bilans quotidiens sur l’épidémie. On est dans le noir le plus complet question statistiques. De nombreuses mégalopoles chinoises ont déclaré avoir dépassé le pic des infections, mais les patients positifs en état critique continuent d’affluer dans les services respiratoires et de soins intensifs des hôpitaux et les crématoriums saturent.
À tel point que certaines pompes funèbres ont eu recours à de l’intérim. L’un de ces intérimaires à Shanghai, qui a travaillé pendant deux semaines en extra dans l’un des plus grands funérariums de la ville, témoigne : « En fait c’est plein ! Il n’y a plus de place ! Dans le salon funéraire ou je travaillais, on peut conserver jusqu’à 4 000 corps. Mais la vitesse de combustion ne suit pas. Parfois 700 à 800 cadavres arrivent une seule journée. Or, seuls 50 à 60 corps peuvent être incinérés. Il y a dix fours au total. J’étais responsable de l’un d’entre eux. Un four ne peut brûler que 5 à 6 cadavres par jour. Il faut donc être patient et parfois attendre 15 jours avant qu’une place se libère. »
L’inquiétude maintenant vaut pour les campagnes, avec la grande migration des vacances du Nouvel An lunaire. Les médias d’État affirment que les systèmes de santé et l’approvisionnement en médicaments en milieu rural ont été renforcés. Selon l’agence Chine Nouvelle, 23 000 établissements médicaux au niveau des comtés, 35 000 hôpitaux de canton et 599 000 cliniques de village forment « un système de protection de la santé collaboratif et efficace, afin que les patients ruraux puissent bénéficier de services médicaux à plusieurs niveaux ». Ce qui n’a pas empêché certains villages d’être submergés par la marée Covid, rapporte Bloomberg. Une situation d’autant plus difficile à vivre pour les familles confrontées aux décès Covid, devenus tabou. Non seulement la Commission nationale de la santé a requalifié la maladie, mais elle a aussi redéfini les critères de la mort des suites du Covid. Désormais, seuls les décès liés à une insuffisance respiratoire pourront-être comptabilisés. Ce qui fait qu’on a en ce moment une épidémie de crises cardiaques ou de « pneumonies ordinaires ».
Monsieur Xu a perdu sa grand-mère de 93 ans, elle est décédée début décembre de complications de ses maladies antérieures, juste après avoir attrapé le Covid. Il raconte : « Bien sûr que vous ne pouvez pas dire qu’il s’agit d’une mort du Covid. Covid ou pneumonie virale, c’est impossible ! Tous les hôpitaux refusent ! Ils ne vous donnent pas de certificat de décès si vous dites cela. Il vaut mieux éviter, sachant qu’aujourd’hui c’est difficile de trouver un endroit pour conserver les morts. Nous on a pu trouver un endroit dans le sous-sol d’un hôpital, car le décès a eu lieu début décembre. Après cela, ça aurait été difficile de trouver de la place. »
Le Covid n’est donc pas spécifié dans les actes de décès, donc les morts dans les statistiques officielles devraient rester sous évaluées. Il y a quand même des proches des disparus qui parlent de ces morts du Covid sur les réseaux sociaux et notamment des personnalités du monde académique, du sport, du cinéma qui disent combien l’épidémie leur a coûté.
L’encombrement des urgences
« Un de mes collègues n’est resté qu’une demi-journée, confie un interim des pompes funèbres. Il ne pouvait pas supporter l’odeur. C’est juste l’odeur des corps en décomposition. Les cadavres restent trop longtemps en chambre froide, et ils sont en décomposition. L’odeur est difficilement supportable. Vous avez vu probablement les images de ces personnes décédées posées par terre dans les hôpitaux. Il n’y a plus de place là aussi. Au moment du pic de l’épidémie, il y avait 60 à 70 morts par jours dans certains hôpitaux avec des corps par terre. »
Aujourd’hui l’OMS dit qu’il ne faut pas que l’Europe s’inquiète de l’épidémie en Chine, mais il y a encore deux semaines, l’Organisation mondiale de la santé évoquait un manque de transparence de la part des autorités chinoises.
Pékin a répondu que le bilan serait fait une fois la vague passée -c’est plus commode. Concernant le séquençage, selon les autorités sanitaires, trois hôpitaux dans chaque région et provinces sont chargés de faire des relevés, de tester leurs patients positifs pour constituer la base de données, alors que les dépistages massifs, comme on y était habitué ici, ont été également supprimés.
« Il faut voir qu’en Chine, si nous revenons un ou deux mois en arrière, des villes entières étaient testées Covid via des PCR quasi quotidiens, explique Been Cowling, épidémiologiste à l’école de santé de l’Université publique de Hong Kong. Mais aujourd’hui, les dépistages ont disparu. Même à l’hôpital, les personnes présentant des symptômes respiratoires sévères ne sont pas testées pour la plupart. Il n’y a donc pas beaucoup d’informations sur le nombre d’infections. Mais je ne pense pas que ce soit un problème de transparence. Je ne pense pas qu’ils retiennent l’information. C’est juste qu’ils ne font plus les tests. C’est dommage parce que la Chine a les capacités de le faire. »
Dommage effectivement, car selon les modèles mathématiques se basant notamment sur la fulgurance des contaminations, cette première vague épidémique en Chine, qui a suivi l’abandon de la politique zéro-Covid le mois dernier, pourrait faire entre 300 000 et 1,6 million morts dans le pays.