Comment le numérique redessine l’héritage oral wolof
Autrefois vecteurs d’éducation, de socialisation et de transmission des valeurs en milieu wolof, les jeux et chants traditionnels initiatiques tendent aujourd’hui à s’effacer face à la montée fulgurante du numérique. Dans les quartiers et villages du Sénégal, ces formes d’expression jadis omniprésentes laissent peu à peu place aux écrans, réseaux sociaux et contenus digitaux venus d’ailleurs.
L’expression du déclin de la mémoire collective se traduit à travers mille et un aspects. Les jeux comme « simb » (jeu du faux lion), « mbapaat », « coupet » ou encore «lamb» n’étaient pas de simples divertissements. Ils constituaient un véritable rituel d’initiation à la vie communautaire, inculquant le courage, la solidarité, le respect des aînés et la maîtrise de soi. Quant aux chants initiatiques, souvent entonnés lors des rites de passage (circoncision, mariage, tabaski, etc.), ils servaient de véhicules à la sagesse populaire, transmettant proverbes, mythes et morale.
De nos jours, ce savoir oral peine à traverser les générations. Les jeunes wolof, de plus en plus connectés à TikTok, YouTube ou WhatsApp, s’identifient davantage aux icônes de la culture globale qu’aux figures emblématiques de leur propre tradition.
L’érosion silencieuse des repères mine sournoisement les référentiels et favorise les agressions culturelles.
Le téléphone intelligent est désormais l’outil principal d’interaction sociale chez les adolescents. Les veillées chantées ou les rassemblements autour du feu, lieux sacrés de transmission intergénérationnelle, sont désertés. Même dans les cérémonies religieuses ou familiales, les chants traditionnels sont parfois remplacés par des playlists numériques.Ce glissement des pratiques culturelles vers le virtuel n’est pas sans conséquences : perte de la langue, affaiblissement du lien communautaire, déracinement identitaire. Les griots, jadis piliers de la mémoire collective, deviennent de plus en plus marginalisés, quand ils ne sont pas réduits à l’animation folklorique de cérémonies mondaines.
Des défis mais aussi des opportunités sont relevés. Cependant, tout n’est pas perdu. Certains jeunes artistes et chercheurs essaient de revaloriser les jeux et chants traditionnels en les documentant, en les numérisant ou en les adaptant à des formats modernes. Des applications éducatives voient le jour pour apprendre le wolof à travers les contes et chants anciens. Des festivals communautaires remettent au goût du jour les jeux d’antan.
Repenser la transmission culturelle à l’ère du numérique, évolue sans céder à la nostalgie ni au rejet du progrès. La tradition peut dialoguer avec la technologie pour inventer de nouveaux modes d’expression fidèles à l’esprit ancestral tout en parlant aux générations hyperconnectées.
Le choc entre modernité numérique et héritage oral wolof est réel. Mais il est possible d’en faire une rencontre féconde. Sauver les jeux et chants initiatiques, c’est préserver l’âme d’un peuple, tout en lui offrant les moyens de se projeter dans l’avenir avec fierté et créativité.
SAMBA NIEBE BA
SUDQUOTIDIEN