Tension diplomatique entre le Burkina Faso et la France
Rien n’est encore officiel mais selon plusieurs médias burkinabé et français, c’est fait… Les autorités de Ouagadougou demandent à la France de rappeler son ambassadeur sur place, Luc Hallade, estimant « qu’il n’est plus un interlocuteur fiable. »
« Depuis l’arrivée au pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré, le 2 octobre, rappelle Jeune Afrique, les relations se sont détériorées entre la France et le Burkina Faso. Pendant le putsch, des manifestants avaient violemment attaqué l’ambassade de France et l’Institut français à Ouagadougou. Ces dernières semaines, plusieurs manifestations demandant le ‘départ de la France’ ont aussi eu lieu, tandis que les autorités se rapprochaient de la Russie, faisant même redouter à certains une arrivée du groupe Wagner au Burkina Faso. Début décembre, le Premier ministre, Kyélem Apollinaire de Tambèla, avait séjourné huit jours à Moscou dans la plus grande discrétion. » Et, rappelle encore Jeune Afrique, « depuis ses déclarations devant le Sénat français, le 5 juillet dernier, Luc Hallade était la cible de nombreuses critiques à Ouagadougou. S’exprimant sur la crise sécuritaire qui mine son pays d’accueil depuis 2015, il avait alors affirmé que ‘ce conflit endogène’ était ‘en réalité une guerre civile’. »
Casus belli diplomatique…
« Que reproche-t-on vraiment à l’ambassadeur français ? », s’interroge le quotidien burkinabé Aujourd’hui . « Est-ce cette expression ‘guerre civile’ ? En tout cas, on sait que dès fin septembre-début-octobre dernier, date de la révolution de palais du capitaine IB, le torchon s’est mis à brûler intensément entre la France et le Burkina (…). »
En tout cas, poursuit Aujourd’hui, « cette ‘expulsion’, qui ne dit pas son nom, est plus soft peut-être que celle opérée par le Mali, mais elle n’en demeure pas moins un casus belli diplomatique. C’est une décision qui renvoie évidemment au souverainisme assumé, et à cette coupure du cordon ombilical avec la France que certains demandent à tue-tête, ce qui ne peut que plaire par les temps qui courent, car la France, c’est le bouc émissaire par essence de beaucoup de malheurs de la conscience burkinabè, savamment distillé par des activistes. Le Burkina est désormais dans une vision diplomatique du muscle et subtilement suit les pas du Mali, tout en évitant de faire exactement comme à Bamako. »
Et le quotidien ouagalais de s’interroger : « quel avenir dans la coopération France-Burkina ? Va-t-on exiger aussi le départ de Sabre ? Y aura-t-il rupture totale entre les deux pays, comme c’est le cas avec le Mali ? C’est pour l’instant des relations sibériennes qui s’installent entre les deux pays, pour le bonheur de Wagner que d’aucuns appellent de leurs vœux ? Le désamour s’accélère ! »
Pas une surprise…
« France-Burkina : un divorce en perspective », titre pour sa part Ledjely en Guinée. Ledjely qui n’est guère surpris : « fin novembre, rappelle-t-il, le Premier ministre burkinabé, Apollinaire Joachim Kyélem de Tambèla, avait clairement fait part de ses ‘reproches et critiques’ à l’ambassadeur de France en poste à Ouaga. Le même chef du gouvernement avait, devant les membres de l’Assemblée nationale de la Transition, annoncé que le Burkina se passerait désormais de l’appui des troupes françaises dans la lutte contre le terrorisme islamiste. Puis, étaient arrivées la suspension de la diffusion des programmes de RFI et l’expulsion de deux citoyens français accusés d’espionnage. Dans un tel contexte, la demande de remplacement du diplomate français n’est donc pas une surprise. Elle s’inscrit dans le cadre d’une logique de dégradation dans les relations entre Ouaga et Paris. »
Populisme de circonstance ?
Alors, commente Ledjely, « bien sûr, la France n’est pas exempte de reproches dans ses rapports avec le continent africain. Pour autant, ces bras de fer ostentatoires sur fond d’un souverainisme douteux sont à interroger ; ce nationalisme paradoxalement pro-Kremlin, est quant à lui suspect. Oui, l’Afrique a besoin d’indépendance et de liberté. Oui, l’Afrique doit exiger qu’on la respecte. Mais cette exigence doit davantage s’incarner dans une prise de conscience authentique, une jeunesse africaine formée et en bonne santé et une gestion rigoureusement responsable de nos ressources. (…) C’est à se demander, conclut Ledjely, si tout cela ne procède pas surtout d’un populisme de circonstance et si en conséquence les nouveaux partenariats qui sont envisagés ou annoncés ne seront pas pires que ceux qui sont aujourd’hui dénoncés ? »