Entretien d’Emmanuel Macron sur TF1
De la guerre en Ukraine et à Gaza à la question de la surpopulation carcérale en France, le président Emmanuel Macron a abordé ce mardi 13 mai de nombreux aspects de la politique française et internationale lors d’une émission sur TF1 intitulée « Les défis de la France ».
Par : RFI avec AFP
Pendant plus de trois heures, répondant au journaliste Gilles Bouleau et à plusieurs intervenants, Emmanuel Macron a semblé tourner une page ce mardi soir. Privé de majorité à l’Assemblée, cantonné depuis la dissolution de l’Assemblée à son rôle diplomatique dans un contexte de vives tensions planétaires, le chef de l’État a largement réinvesti le champ de la politique nationale, des prisons à la politique fiscale en passant par le financement du modèle social. Son interview sur TF1 a cependant commencé par les questions internationales. Voici ce qu’il faut en retenir.
■ Ukraine : de nouvelles sanctions contre la Russie sur la table
Emmanuel Macron a annoncé que les Européens allaient augmenter la pression sur la Russie via des « sanctions » si elle n’applique pas le cessez-le-feu proposé en Ukraine. Le chef de l’État a évoqué notamment des « sanctions secondaires » pour les « revendeurs » de « services financiers » ou d’« hydrocarbures », alors que Moscou n’a toujours pas répondu à la proposition des Européens, relayée par les États-Unis, d’un cessez-le-feu inconditionnel de 30 jours en Ukraine.
Un tel cessez-le-feu doit ouvrir la voie à des négociations « territoriales », a-t-il ajouté, pointant des choix douloureux à venir pour les Ukrainiens déjà évoqués par l’administration de Donald Trump. « Même les Ukrainiens eux-mêmes ont la lucidité de dire (…) qu’ils n’auront pas la capacité de reprendre l’intégralité de ce qui est pris depuis 2014 » par la Russie, a déclaré Emmanuel Macron, avant une possible rencontre russo-ukrainienne lors d’un sommet jeudi à Istanbul, auquel participera le chef de la diplomatie américaine Marco Rubio.
■ « Honte » à Gaza
Le président français a aussi eu des mots très forts à l’encontre de la guerre menée à Gaza par Israël. « Ce que fait aujourd’hui le gouvernement de Benyamin Netanyahu (à Gaza) est inacceptable », « c’est une honte », a-t-il estimé mardi, tout en soulignant que ce n’était pas à lui, mais aux « historiens » de dire s’il s’agissait d’un « génocide ». Il a également estimé que la question d’une révision des « accords de coopération » entre UE et Israël était « ouverte ».
Le président français a rappelé avoir été « l’un des seuls dirigeants à aller à la frontière » entre l’Égypte et Gaza, « l’une des pires choses qu’il (lui) aient été données de voir », déplorant que « toute l’aide que la France et d’autres pays acheminent » soit « bloquée par les Israéliens ».
■ Fin de vie : un « référendum » en cas de blocage au Parlement
Interpellé par le journaliste sportif Charles Biétry, atteint de maladie de Charcot, Emmanuel Macron a indiqué que si la proposition de loi sur la fin de vie, en cours d’examen à l’Assemblée, devait être « enlisée », le référendum pouvait être « une voie pour permettre aux Français de s’exprimer ». « Je ne le ferai que si c’était bloqué. Je pense que d’abord il y a le travail du Parlement et j’espère qu’il y aura un cheminement respectueux et équilibré qui se fera dans les jours, les semaines et les mois qui viennent », a-t-il ajouté.
Le chef de l’État s’est dit favorable à une loi « d’humanité, de fraternité » permettant une aide active à mourir « dans les cas qui ont été prévus, par un travail formidable fait par la Convention citoyenne pendant des mois, puis des ministres successifs », défendant un « texte d’équilibre ». Ces déclarations marquent une évolution avec ses propos en 2022 quand il estimait que « constitutionnellement, la fin de vie n’est pas un sujet de référendum ».
Plus généralement, le président français a expliqué « ne rien s’interdire » en matière de référendum, sans pour autant annoncer de projet arrêté de consultation des Français. « Je souhaite qu’on puisse organiser une consultation multiple, c’est-à-dire un référendum, plusieurs référendums dans les mois qui viennent », a-t-il précisé, évoquant notamment la question des temps scolaires ou encore celle de l’accès aux réseaux sociaux pour les moins de quinze ans.
Le chef de l’État a également répondu « pourquoi pas » à l’idée de référendum sur les finances publiques prônée par François Bayrou. Il a en revanche rejeté l’hypothèse d’un référendum sur les questions d’immigration, hors cadre de la Constitution, malgré les demandes répétées de la droite et de l’extrême droite. Pas question non plus d’accepter un référendum sur la réforme des retraites, comme le lui a suggéré la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet.
■ Refus d’une nationalisation d’ArcelorMittal
« Je ne vais pas nationaliser ArcelorMittal parce que ce serait dépenser des milliards d’euros », a tranché Emmanuel Macron, alors que le deuxième sidérurgiste mondial, aux prises avec une crise historique de l’acier en Europe, envisage de supprimer environ 600 postes dans sept sites industriels du nord de la France.
« La réponse, ça n’est pas nationaliser (mais) avoir des garanties de développement », a-t-il fait valoir face à la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet. « Il faut mettre en place ce qu’on appelle des clauses de sauvegarde, c’est-à-dire protéger le marché européen. On a commencé à prendre cette décision sous pression française : la Commission l’a annoncé en février », a-t-il ajouté. Le chef de l’État s’est toutefois engagé, « les yeux dans les yeux » à ce que les sites de Dunkerque (Nord) et Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) soient « sauvés ».
■ Contre le port de signes religieux dans les compétitions sportives
« Je suis pour la charte olympique qui interdit le port de tout signe religieux dans les compétitions », a affirmé le président de la République, en invoquant aussi « l’égalité entre les femmes et les hommes ». Dans la pratique du sport hors compétitions, « c’est aux fédérations (sportives) de décider », a-t-il ajouté. « Dans les infrastructures (sportives), pour aller s’entraîner et initier, il faut là du pragmatisme et notre loi ne l’empêche pas (le port des signes religieux) ».
Le président était interpellé sur le sujet par l’haltérophile Sylvie Eberana, championne nationale amatrice dans sa catégorie en 2024. De confession musulmane et portant le voile, elle a dit craindre de ne plus pouvoir concourir, alors qu’une proposition de loi LR interdisant les signes religieux pendant les compétitions, y compris de sport amateur, a été votée en février au Sénat. Le texte, qui doit désormais être examiné à l’Assemblée nationale, a semé la cacophonie au sein du gouvernement, conduisant le Premier ministre François Bayrou à réunir plusieurs ministres mi-mars pour tenter de mettre fin aux dissonances.
■ Surpopulation carcérale : « louer » des places de prison à l’étranger si besoin
Il n’y a « pas de tabou », a affirmé Emmanuel Macron. « Oui, on louera si besoin était les places de prison là où elles sont disponibles », a-t-il déclaré. Certains pays européens, comme la Norvège, la Belgique ou le Danemark ont déjà mis en œuvre cette pratique ou sont sur le point de le faire.
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Le président français a aussi assuré vouloir « changer les règles » pour la construction des 5 000 places de prison en projet, afin d’avoir « des structures plus légères et beaucoup plus rapides à construire ». Les chiffres de la surpopulation carcérale battent chaque mois de nouveaux records. Il y avait 82 921 détenus en France au 1er avril pour 62 358 places, soit une densité carcérale globale de 133%. Le chef de l’État a par ailleurs qualifié de « tout à fait pertinente » l’idée de faire participer les détenus aux frais de leur incarcération, comme envisagé par le ministre de la Justice Gérald Darmanin.
■ Extension des pouvoirs des polices municipales
« Je souhaite que le gouvernement puisse prendre une loi qui donnera la possibilité, à tous les maires qui le souhaitent », que leur « police municipale puisse, avec son accord, travailler sous l’autorité du procureur pour pouvoir faire les saisines, les flagrances, les amendes forfaitaires délictuelles », a affirmé le président de la République. « Il ne faut pas changer la Constitution, il faut que la loi le fasse et que le maire le veuille », a-t-il répondu au maire de Béziers Robert Ménard qui l’interrogeait sur le sujet. « Aujourd’hui, un policier municipal ne peut pas mettre une amende : il faut que ce soit le policier national qui vienne en aide. On est dans un pays de dingues ! », avait déploré quelques minutes auparavant l’édile héraultais.
En un quart de siècle, les effectifs des polices municipales ont atteint plus de 28 000 agents répartis dans 4 500 communes. Une grande majorité de ces polices municipales ont des effectifs restreints : 80% comptent moins de 10 agents et 50% deux agents ou moins. 80% sont armés et 58% possèdent des armes à feu. Un « Beauvau des polices municipales », lancé il y a un an par l’ex-ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et relancé en février par François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre de l’Intérieur, pour repenser et élargir les prérogatives de ces policiers, doit aboutir à un projet de loi au Parlement d’ici juin.
■ Pour une vérification de l’âge des adolescents sur les réseaux sociaux
Emmanuel Macron a confirmé vouloir que soit imposée aux adolescents une vérification de leur âge pour s’inscrire sur les réseaux sociaux, estimant qu’il y a « une jeunesse qui a été percutée » par ces plateformes. « Il faut protéger nos enfants », a-t-il justifié. Dimanche, la ministre déléguée chargée du Numérique Clara Chappaz a affirmé que la France se donnait « trois mois » pour « mobiliser ses partenaires européens » sur un « accord européen » contraignant les réseaux sociaux à vérifier l’âge des adolescents, faute de quoi le gouvernement prendrait des sanctions. « Les réseaux sociaux, avant 15 ans, c’est non », avait-elle insisté dans La Tribune Dimanche.
« C’est une compétence qui est à l’Europe. Il faudrait que derrière, on engage en parallèle un combat européen, mais je pense qu’il faut le faire. Voilà, pour moi, c’est une de mes priorités », a assuré le président. « Les plus grands spécialistes dans le monde ont maintenant écrit des livres, des rapports. Il y a une épidémie (…) de troubles du comportement alimentaire, souvent chez les jeunes filles. Il y a une épidémie de harcèlement sur ces réseaux, de dérèglement du rapport entre les garçons et les filles », a-t-il ajouté.

