Si, lors de son premier mandat, le président américain agissait déjà de manière brutale, il bat tous ses propres records et se comporte comme un véritable forcené qui se croit seul maître du monde, avec “œil pour œil, dent pour dent” pour devise.
Stefan Vanderstraeten, Matthias Bertrand – Source: HLN
Quelqu’un ayant beaucoup de temps à perdre a compté un jour combien de procès Donald Trump avait accumulés entre 1973, quand il a fait ses premiers pas dans l’entreprise de son père, et son premier mandat de président en 2016. Le total serait de pas moins de 4.000 procédures, rendant au passage richissime toute une armée d’avocats – un fait qu’il aime rappeler lui-même. Bien souvent, ces procédures étaient d’ailleurs lancées par Trump, car quiconque joue avec lui finit par se frotter à “The Donald”. Le monde entier, à commencer par la Chine, en a déjà largement fait l’expérience.
“N’hésite pas à bousculer les gens”, enseignait Trump dans l’un de ses nombreux livres de développement personnel. “Ce n’est pas seulement important pour la personne que tu vises, mais aussi pour les autres, afin qu’ils comprennent qu’ils ne doivent pas te chercher. Si les gens voient que tu ne tolères pas la critique et que tu poursuis activement quelqu’un qui t’a fait du tort, alors ils te respecteront.”
Tiens une liste des personnes qui t’ont fait du mal. Ensuite, attends le bon moment pour te venger.Donald Trump
“Tiens aussi toujours une liste de ceux qui t’ont blessé”, poursuivait-il. “Puis recule et attends le bon moment pour te venger. Quand ils s’y attendent le moins, attaque-les avec rage et vise la gorge.” Des paroles peu diplomatiques venant d’un président — et même d’un magnat de l’immobilier — mais selon lui, c’est ce qui a fait de Trump l’homme qu’il est aujourd’hui à Washington. Et celui qu’il était déjà, à la fin du siècle dernier, à Big Apple.
Depuis la scène nocturne new-yorkaise — avec la très branchée boîte “Le Club” comme base arrière — il cherchait à la fin des années 70 à attirer l’attention d’autres magnats du bâtiment, d’hommes d’affaires et de magouilleurs. “C’était le genre d’endroit où l’on voyait un vieux riche de 75 ans entrer avec trois blondes suédoises”, se rappellera-t-il plus tard dans l’une de ses nombreuses biographies. Le réseautage nocturne lui réussissait bien, d’autant qu’en tant que playboy et homme à femmes, il repartait souvent avec quelque beauté au bras.
Il ne fallut pas longtemps pour qu’un journaliste du New York Times le remarque et le décrive dans un article comme “grand, mince, blond, avec des dents d’un blanc éclatant: le sosie de la star de cinéma Robert Redford.” Le nom Trump commençait à être connu: dans sa Cadillac immatriculée ‘DJT’, il sillonnait Manhattan, à la recherche d’emplacements intéressants qu’il trouvait grâce à ses nouveaux contacts. Avec un culot monstre, des subventions fiscales pas toujours très nettes et les millions discrètement transmis en coulisses par son père Fred, il mit la main sur le Commodore Hotel en décrépitude: son premier grand projet.
“Un hôtel sans avenir dans un quartier délabré d’une ville moribonde”, c’est comme ça qu’il décrit lui-même ce défi impossible. Et pourtant, à la surprise générale, il réussit à transformer cette ruine en un très chic Hyatt Grand Central en 1980. Avant de frapper encore plus fort, en 1983, avec son œuvre maîtresse: la Trump Tower.
À un angle prestigieux de la Fifth Avenue s’est élevé ce qui incarnait alors le summum du bling-bling: un gratte-ciel brillant d’ornements dorés, à l’intérieur comme à l’extérieur, avec des parois vitrées immanquables et toutes les fantaisies imaginables à l’époque. Le jeune Donald — il avait alors 37 ans — réussissait là où son père avait toujours échoué. En tant que membre méprisé des “bridge and tunnel people” (le surnom péjoratif donné à ceux venant de l’extérieur de Manhattan), il avait su conquérir le cœur de Manhattan.
D’autres projets pharaoniques suivirent, dont la rénovation de la célèbre patinoire Wollman Rink — un casse-tête pour la ville de New York depuis des années — qui fut terminée en seulement quelques mois, au grand embarras du maire de la ville. Et pour pouvoir admirer tous ses succès d’en haut — “J’ai les meilleurs immeubles, aux meilleurs emplacements” — il s’offrit même son propre hélicoptère. Sur la dérive arrière, bien sûr, en lettres majuscules : TRUMP.
De plus en plus de célébrités et de médias commencèrent à le courtiser: “J’apparais sur plus de couvertures de magazines que n’importe quel top-modèle”, se vantait-il lors de l’émission 60 Minutes sur CBS. Cette attention s’expliquait aussi, bien souvent, par ses liaisons passionnées et ses mariages tumultueux avec Ivana Trump et Marla Maples.
Donald aime que les autres lui disent à quel point il est bon. Pas seulement le meilleur, mais le meilleur des meilleurs.Maryanne Trump
Toutes ces couvertures atterrissaient soigneusement encadrées sur les murs de son bureau doré dans la Trump Tower. Le narcissisme pointait déjà le bout de son nez à l’époque: “Donald aime entendre des autres à quel point il est bon. Non seulement le meilleur, mais le meilleur des meilleurs”, résumait sa sœur Maryanne à cette époque.
À mesure que ses gratte-ciel s’élevaient, son ego atteignait lui aussi de nouveaux sommets. Ce que soulignait déjà George Ross, l’un de ses anciens collaborateurs: “Il commençait à perdre un peu le contact avec la réalité”, témoignait-il dans la biographie de Trump par Robert Slater. “Les succès s’enchaînaient à un tel rythme qu’il n’était peut-être pas surprenant qu’il devienne trop sûr de lui. Il se sentait invincible. Ce sentiment était nourri par son ego et les énormes louanges qu’il recevait de la part des financiers. S’il avait besoin de 60 millions de dollars, les banques lui en donnaient 80. Même si le projet ne valait absolument pas 80 millions. Il avait l’impression qu’il pouvait entreprendre n’importe quoi et en faire une réussite.”
En parallèle, Trump tolérait de moins en moins la contradiction: “Dans l’immobilier à New York, vous avez affaire aux gens les plus durs, les plus impitoyables, les plus féroces au monde. Par chance, j’adore les affronter et j’éprouve un vrai plaisir à les battre.” Pour lui, quiconque n’était pas avec lui était automatiquement contre lui. Et face à cela, il n’avait qu’une seule réponse : “I always get even” – “Je rends toujours œil pour œil”. Qui d’autre que lui pouvait consacrer un chapitre entier à la vengeance dans Think Big, l’un de ses nombreux livres?
Donald Trump donc, dans le chapitre 6, s’en prend durement à une ancienne collaboratrice. Un exemple de rancune dont il était visiblement fier: “Dans les années 80, j’ai recruté une femme qui travaillait dans le secteur public et ne gagnait que des cacahuètes. Elle n’avait rien quand je l’ai rencontrée”, écrivait-il. “Elle n’était personne dans son boulot de fonctionnaire. J’ai décidé de faire d’elle quelqu’un. Je lui ai donné un poste formidable à la Trump Organization et, au fil du temps, elle a obtenu du pouvoir dans le secteur immobilier. Elle s’est acheté une magnifique maison.”
Jusqu’à ce qu’au début des années 90, alors que Trump commençait à être en difficulté financière, il lui demande d’intercéder auprès de l’un de ses bons amis — un haut dirigeant de banque.
“Elle m’a dit: ‘Donald, je ne peux pas faire ça’”, se rappelle-t-il, des années après, avec une rancune intacte: “Je l’avais sortie d’un job sans avenir. Je l’avais encouragée. J’étais son mentor. C’est moi qui l’avais faite. Et ensuite, elle m’a dit qu’elle ne pouvait pas m’aider. Je l’ai licenciée, et elle a lancé sa propre affaire. Plus tard, j’ai appris que sa société avait fait faillite. J’en ai été ravi. (…) Au final, elle a perdu sa maison. Son mari — qui ne l’avait épousée que pour son argent — l’a quittée, et j’étais content. Au fil des années, beaucoup de gens m’ont demandé une référence pour elle. Je n’ai donné que de mauvaises recommandations. Je ne supporte tout simplement pas la trahison.”
C’est ce que certains membres de sa propre famille allaient aussi découvrir, des années plus tard — de la manière la plus douloureuse qui soit. L’argent était au cœur du problème, comme dans la plupart des conflits familiaux: lorsque le patriarche Fred Trump est décédé en 1999, il a légué sa fortune par testament à ses quatre enfants encore en vie: Donald, Robert, Maryanne et Elizabeth. Chacun d’eux reçut officiellement 35 millions de dollars, mais selon plusieurs sources, le montant réel aurait été d’au moins 100 millions, voire jusqu’à 300 millions de dollars — une manœuvre visant à échapper aux droits de succession.
Mais le cinquième enfant Trump, Freddy — le frère aîné de Donald, décédé en 1981 des suites de son alcoolisme — ne fut pas pris en compte dans la répartition. Par conséquent, ses propres enfants, Fred III et Mary L., durent se contenter des 200.000 dollars alloués à chaque petit-enfant du patriarche. Une répartition qu’ils jugèrent profondément injuste, au point d’intenter une action en justice, accusant Donald, son frère et ses sœurs de fraude à la succession.
Presque au même moment, Fred III venait tout juste de devenir père à son tour, d’un petit garçon, William, atteint de graves problèmes de santé. Les frais d’hospitalisation s’élevaient à plus de 300.000 dollars. Jusqu’alors, conformément à la tradition, toutes les dépenses médicales du clan étaient couvertes par le fonds familial. Mais tout changea dès que la plainte fut déposée.
À peine une semaine après le lancement de la procédure judiciaire, Fred III reçut une lettre recommandée l’informant sèchement que “toutes les prises en charge médicales pour sa famille seraient suspendues”. Pour le petit William, cela équivalait à une probable condamnation à mort.
“Mes oncles et tantes ne sont pas des personnes chaleureuses, ni dotées d’un grand sens social.” commentera plus tard Fred III, amer. “Aucun d’eux n’est jamais venu rendre visite à William à l’hôpital. Non, nous ne formons pas une famille unie.”
La suppression de l’assurance maladie était-elle un manque de sensibilité ? Je ne peux rien y faire. Faire un procès à mon père, c’est tout simplement insensibleDonald Trump
Aucune pitié
Des paroles qui laissèrent Donald Trump totalement indifférent. Il resta ferme sur sa position, jusqu’à ce que Fred III (et sa sœur) retirent leur plainte. L’affaire fut alors réglée par un accord à l’amiable, dans la plus grande confidentialité.
Trump, lui, n’y vit jamais le moindre mal. Lorsque le New York Daily News lui demanda si la suppression de l’assurance santé n’était pas une décision inhumaine, il répondit qu’il n’y pouvair rien. “C’est intenter un procès à mon père qui est inhumain. Si Fred III était venu me voir, la situation aurait pu être très différente pour eux. Tout cela est un peu décevant. En réalité, ils ont traîné mon père devant les tribunaux. Et moi, je ne me réjouis jamais quand on attaque mon père en justice.”
De toute évidence, dans l’esprit de Donald Trump, même les liens du sang ne mettent pas à l’abri de la vengeance.