La Russie à l’épreuve de presque trois ans de sanctions occidentales
Comment va l’économie russe après trois ans de guerre et des paquets répétés de sanctions des États-Unis, du Canada, de la Suisse et de l’Union européenne ? La réponse est complexe. Les autorités russes, elles, n’ont cessé de proclamer que les sanctions occidentales n’avaient pas ou peu d’effet, ou en tout cas moins que sur les pays qui les imposent. Reste que les clignotants s’allument de plus en plus sur l’économie russe.
Par :Anissa El Jabri correspondante RFI à Moscou,
4,1 % de croissance en 2024 : voilà ce qu’a claironné le gouvernement russe il y a deux semaines. C’est un demi-point de plus qu’en 2023, et, si on exclut le rebond post-Covid en 2021, c’est même un de ses meilleurs résultats depuis 2010.
Pour le pays le plus sanctionné au monde depuis 2022, la performance apparaît donc spectaculaire. Pour ceux qui avaient espéré et anticipé un impact fort et rapide des sanctions, la déception est là. Andreï Nechaev, premier ministre de l’Économie de la Russie post-soviétique, artisan des premières réformes libérales dans le pays et opposant notoire à la guerre en Ukraine avoue sans hésitations : « Je vais être honnête, au début du conflit, je faisais partie des experts qui prédisaient un recul du PIB de la Russie, entre 8 et 10 %, et avec une dégradation qui allait encore s’accélérer. Mais la réalité, c’est que la baisse n’a été que de 2 % et encore, seulement en 2022. »
Andreï Nechaev juge pourtant qu’il faudrait prendre ces chiffres flamboyants avec quelques pincettes : « Il y a plein de vieilles blagues sur le fait que les statistiques soviétiques mentaient éhontément. Les statistiques soviétiques n’existent plus, mais la tradition d’embellir la réalité demeure ». Mais le plus important à ses yeux, c’est le ralentissement officiellement prévu en 2025, avec des prévisions à 2,5 %.
Surtout, cette croissance est tirée par des dépenses de défense record. Autrement dit, explique Andreï Nechaev, « le PIB augmente parce que nous produisons des chars, des missiles et des balles. Mais lorsque le missile est lancé, il tombe et c’est terminé. C’est-à-dire que nous détruisons nous-mêmes cette partie de notre richesse. »
Le contournement des sanctions
C’est donc une croissance qui n’est pas due à l’investissement et à la recherche et ne promet pas de retombées pour les années futures. À cela, il faut ajouter que le pays souffre d’une inflation officiellement de plus de 10 % en rythme annuel, une inflation que la banque centrale n’arrive pas à juguler malgré des taux d’intérêts historiquement élevés à 21 %.
L’inquiétude des milieux économiques est réelle et, chose rare en Russie, elle s’est même officiellement exprimée en novembre dernier par la voix de German Gref. Le PDG de la première banque russe, Sberbank, a tiré la sonnette d’alarme sur l’état de l’économie russe, évoquant « des signes importants de ralentissement » et « le danger de la stagflation ».
« La situation est difficile. Toute une série d’emprunteurs vont se retrouver dans une situation difficile, les banques seront dans une situation difficile », a-t-il dit, selon l’agence russe Interfax, lors d’un forum sur l’investissement. « Tout dépend de la durée de la différence entre l’inflation réelle et les taux d’intérêt du marché. Il n’y a jamais eu un écart aussi important, nous ne pouvons pas survivre comme ça longtemps », a-t-il lâché.
C’est peu ou prou le même phénomène avec les sanctions. Contrairement aux attentes occidentales, la Russie réussit à en contourner, mais pas dans tous les secteurs. C’est une zone grise, dont on n’a pas toutes les clés, et une course contre-la-montre entre ceux qui sanctionnent et les sanctionnés.
SOURCE RFI