Trump, une révolution illibérale sous influence?
Aux États-Unis, une poignée d’organisations ultraconservatrices s’emploient à façonner la politique de rupture du président élu Donald Trump et à lui fournir les forces pour la mener à bien.
Par : François-Damien Bourgery – RFI
L’époque où Donald Trump entamait sa présidence à tâtons est désormais loin derrière lui. Les quatre années passées à ruminer la défaite qu’il refuse de reconnaître lui ont aussi permis de mûrir sa revanche. Le milliardaire républicain est cette fois prêt à gouverner comme il l’entend. À la tête d’une équipe constituée au pas de charge, dont la fidélité au chef est le principal critère de sélection, c’est avec un programme tout tracé qu’il entrera à la Maison Blanche en janvier.
Les grandes lignes sont connues. Elles ont été répétées à longueur de campagne puis au gré des nominations des membres de son administration : fermeture de la frontière sud et expulsion massive d’immigrés clandestins avec le concours de l’armée, généralisation des tarifs douaniers sur les importations, développement de l’exploitation des énergies fossiles, suppression du département de l’Éducation, contrôle renforcé de l’appareil fédéral, réduction de l’aide militaire aux alliés, exclusion des athlètes transgenres des sports féminins, lutte contre le « wokisme »…
« Institutionnaliser le trumpisme »
« Le Donald Trump de 2024 n’a plus rien à voir avec celui de 2016, remarque Romuald Sciora, directeur de l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Il est aujourd’hui l’incarnation de la droite la plus radicale associée aux franges religieuses les plus conservatrices. Il croit en ce qu’il dit et est entouré de gens très sérieux qui ont un projet bien construit. »
À commencer par la Fondation Heritage, qui alimenta jadis la politique reaganienne et qui entend désormais transformer les États-Unis en profondeur. Ce surpuissant cercle de réflexion ultraconservateur a dans ce but élaboré le « Projet 2025 », un plan de bataille de 922 pages pour « institutionnaliser le trumpisme », en procédant à l’éviction de dizaines de milliers de fonctionnaires et en appliquant la théorie de « l’exécutif unitaire ». Soit la prise de contrôle du président sur l’ensemble de l’exécutif, et notamment sur des agences fédérales jusque-là indépendantes.
« Je n’ai rien à voir avec ça », jurait Donald Trump en juillet dernier, affirmant ne rien savoir du document agité comme un chiffon rouge par le camp démocrate, tout en qualifiant certaines mesures de « particulièrement extrêmes ». Une promesse difficile à croire, tant ses annonces égrenées ces derniers mois font écho à ce programme, auquel des dizaines de ses collaborateurs – 140 selon un décompte de CNN – ont par ailleurs pris part. Parmi eux, Russell Vought, patron du Bureau de la gestion et du budget durant son premier mandat et directeur du programme politique du Parti républicain pour 2024, et Tom Homan, le « tsar des frontières », rappelé à la tête de l’agence de l’immigration. « C’est un super groupe, qui va poser les bases et détailler les plans de ce que notre mouvement fera exactement », saluait d’ailleurs le candidat républicain lors d’un dîner organisé par la Fondation en avril 2022.
« Le « Projet 2025 » est LE projet de l’administration Trump et c’est celui qui sera mis en place à partir de février 2025 », tranche le chercheur Romuald Sciora. Au menu, donc : suppression de toutes les mesures de protection du climat, renforcement des valeurs chrétiennes traditionnelles et démantèlement de « l’État profond ». « Nous sommes en route vers une deuxième révolution américaine qui se passera sans effusion de sang, se réjouissait le directeur de la Fondation, Kevin Roberts, en juillet. À condition que la gauche ne s’y oppose pas. »
De formidables viviers
À l’instar de la Fondation Heritage, une poignée d’organisations marquées très à droite s’emploient ainsi à façonner la politique trumpienne : l’America First Policy Institute (AFPI), un think tank créé en 2021 sur les ruines encore fumantes de la première administration Trump et dont la présidente, Linda McMahon, vient d’être nommée à l’Éducation ; l’American Entreprise Institute, spécialisé dans le domaine économique ; le Hudson Institute, expert dans les questions internationales et stratégiques ; le Claremont Institute, à l’origine du plan qui devait empêcher Joe Biden d’accéder au pouvoir, et dont l’une des têtes pensantes est pressentie à la Sécurité nationale ; ou encore la Federalist Society, considérée comme la plus influente des organisations juridiques américaines, qui a offert à Donald Trump trois juges pour la Cour suprême.
Car ces grands groupes de réflexion ne sont pas seulement des sources d’inspiration pour candidats en manque d’idées ; ce sont aussi de formidables viviers de hauts fonctionnaires ou de magistrats préformatés. « Ils ont des antennes dans toutes les universités du pays, ce qui leur permet de détecter des étudiants brillants marqués à droite à qui ils vont offrir des bourses, des stages, puis des réseaux. Une fois diplômés, ces jeunes se retrouvent alors absorbés par ces organisations auxquelles ils doivent tout », relève l’historienne Françoise Coste, professeure d’études américaines à l’université de Toulouse Jean-Jaurès.
À chaque changement d’administration, ils font également office d’agences d’intérim pour les cohortes de ministres, conseillers et bureaucrates en tout genre fraîchement débarqués. « Quand les démocrates sont au pouvoir, vous trouvez toujours un nombre incalculable de senior fellows dans les think tanks républicains. Et inversement, lorsque ce sont les républicains qui sont aux affaires, ce sont les think tanks progressistes qui débordent de monde, constate Romuald Sciora. C’est pour cela que ces groupes sont si politisés. »
La Fondation Heritage – encore elle – dit avoir de son côté concocté au futur locataire de la Maison Blanche une base de données de quelque 20 000 noms dans laquelle il n’aura qu’à piocher pour reconstituer un appareil d’État qui lui sera, cette fois, entièrement dévoué. « Nous voulons des gens qui ont donné leur sang pour le mouvement. Ce sont des mères qui ont défié les conseils scolaires, ce sont des gens qui se sont soulevés dans leurs entreprises contre l’agenda woke », indiquait cet été l’un des rédacteurs du « Projet 2025 » à la chaîne de télévision australienne ABC.
Bulldozer
De là à parler d’une présidence sous emprise, il y a un large pas que les observateurs de la vie politique américaine se gardent bien de franchir. « Trump est un électron libre. Si la nouvelle administration était cadenassée par ces think tanks, il n’aurait pas nommé un présentateur de Fox News secrétaire à la Défense, l’un des postes les plus importants de l’administration », fait valoir l’historienne Françoise Coste. « Même si la Fondation Heritage a eu une influence énorme sur sa campagne et l’aura encore sur sa présidence, c’est Trump qui a choisi de s’appuyer sur elle. Il n’est le pantin de personne », abonde Romuald Sciora. Et gare aux conseillers qui pourraient faire preuve de déloyauté. « Je les virerai », a prévenu le milliardaire.
Le président élu s’apprête ainsi à gouverner à la manière d’un bulldozer : en renversant tout sur son passage. Les obstacles sont pour l’heure inexistants. Le Parti républicain est à ses ordres et il dispose de la majorité au Congrès. Et si au Sénat quelques-uns ont pu grimacer à l’idée de devoir valider certaines des nominations de Donald Trump, aucun ne s’y est encore opposé. Quant à la Cour suprême, dominée par six juges conservateurs contre trois progressistes, elle a accordé au prochain locataire de la Maison Blanche l’immunité pour tout acte officiel.
La résistance pourrait venir des milieux économiques, effrayés par les taxes sur les importations ou l’expulsion d’une main d’œuvre sans-papier bon marché. Mais jusqu’à présent, personne n’a bronché. De quoi permettre au président élu d’asseoir un régime autoritaire ? « Les États-Unis ne vont pas se transformer du jour au lendemain en une dictature, tempère le chercheur Romuald Sciora. En revanche, ce qui est certain, c’est que, d’ici deux ans, ils ressembleront davantage à la Hongrie de Viktor Orban qu’à l’Amérique de Kennedy. »