Les moyens pour s’adapter au changement climatique sont largement insuffisants, alerte l’ONU
Alors que 2024 sera très certainement l’année la plus chaude de l’histoire, et aura, pour la toute première fois dépassé 1,5°C de réchauffement moyen, annonce ce jeudi l’agence européenne Copernicus, l’ONU alerte sur le manque de moyens dédiés à l’adaptation aux effets, souvent meurtriers, du changement climatique partout sur la planète. La COP29 qui s’ouvre lundi en Azerbaïdjan se veut une étape décisive pour la finance climatique.
Par :Géraud Bosman-Delzons RFI
Après son rapport annuel sur le fossé des émissions mondiales la semaine dernière – l’Emission Gap Report, qui mesure le fossé, béant, entre les émissions actuelles et ce qu’elles devraient être –, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) publie ce jeudi 7 novembre celui sur l’adaptation. Ce document indique l’écart qu’il y a, sur le plan financier notamment, entre les besoins nécessaires et ceux actuellement consacrés pour que les pays puissent affronter les effets du changement climatique. Les ravages causés par les pluies et les inondations cataclysmiques à Valence en sont le dernier exemple en date. Pour de multiples raisons, la ville n’était pas prête à supporter de telles masses d’eau, bien qu’habituées ces phénomènes soudains. De par le monde, les effets du réchauffement vont se poursuivre, même dans les scénarios les plus favorables. Dans le processus mondial de la lutte pour un climat supportable, le pilier de l’adaptation est donc tout aussi crucial que celui sur l’atténuation – les moyens dévolus pour faire baisser les émissions. Mais il est pour l’instant le moins bien pourvu.
Un fossé financier à combler
Comme pour les émissions, ce fossé, s’il se réduit, reste béant. Le financement public mondial pour l’adaptation est passé de 22 milliards de dollars en 2021 à 28 milliards en 2022 – en mai dernier, l’OCDE avait communiqué un chiffre voisin de 32,4 milliards de financement public consacré en 2022 à l’adaptation, soit trois fois plus qu’en 2016. 6 milliards de plus, c’est certes la plus forte augmentation depuis la signature de l’Accord de Paris en 2015. Mais, à la COP26 (Glasgow, 2021), les Etats s’étaient engagés à doubler ce montant d’ici à 2025 pour atteindre 40 milliards de dollars par an.
Et même si cet objectif de 40 milliards était atteint, le manque de financements resterait « énorme » et les sommes ne seraient « pas à la hauteur du défi », estime le PNUE. Cela ne réduirait en effet que de 5% l’écart par rapport à la fourchette des besoins évaluée entre 187 à 359 milliards de dollars par an d’ici à 2030.
Des progrès donc, mais un rythme des efforts qui ne suit pas celui du réchauffement. « Les Etats doivent augmenter de façon spectaculaire leurs efforts en faveur de l’adaptation et cela doit commencer par un engagement à agir sur le plan financier à la COP29 », assène le PNUE. La COP29, qui s’ouvre ce lundi 11 novembre à Bakou (Azerbaïdjan), sera largement consacrée à la finance climatique Son principal enjeu sera d’approuver un Nouvel objectif chiffré collectif (NCQG) pour l’atténuation et l’adaptation au changement climatique.
Car, plus largement sur le plan de la finance climatique, on est aussi très loin des estimations de 2009, actées à la COP de Copenhague : 100 milliards devaient être réunis chaque année pour aider les pays du Sud, non seulement à atténuer mais aussi à s’adapter. Ce montant a été laborieusement atteint en 2022, avait annoncé l’OCDE en mai 2024 : 116 milliards ont été mobilisés cette année-là par les pays développés. Mais qu’importe en réalité : cette barre est jugée symbolique à l’aune des besoins réels pour l’action climatique globale, désormais estimés en milliers de milliards pour les seuls pays vulnérables. « Les calamités climatiques sont notre nouvelle réalité. Et nous ne sommes pas à la hauteur », a réagi ce jeudi le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. « Nous devons nous adapter, dès maintenant. »
Toujours plus de stratégies nationales, mais trop lentement et mal mises en oeuvre
A la veille du rendez-vous climatique à Bakou, 171 pays ont mis en place un plan ou une stratégie d’adaptation climatique. La France, par exemple, a présenté le 25 octobre son troisième plan national, avec pratiquement un an de retard… Il contient 51 mesures pour tenter d’adapter le pays et ses infrastructures à un réchauffement climatique de 2,7°C à horizon 2050 et 4°C à horizon 2100. Elles s’articulent autour de cinq grands axes : protéger les populations, assurer les risques, adapter les activités humaines, protéger les espaces naturels et culturels, mobiliser les forces vives autour de ce défi. Transports dans les villes, rénovation des logements, protection des travailleurs face aux chaleurs, plantations de cultures résistantes aux sécheresses : l’adaptation au changement climatique renvoie à des réalités très concrètes pour tous les individus, et particulièrement ceux qui ont une faible marge d’adaptation (augmentation du prix de l’énergie, de certains aliments en raisons de désastres agricoles, habitat situé dans des ilots de chaleurs urbains, travailleurs aux métiers physiques…). Sur les 26 pays n’ayant pas de plan en cours, 16 en prévoient un, dix autres, souvent en guerre, ne sont pas en état d’en présenter.
« Les actions pour l’adaptation suivent une tendance générale à la hausse, mais sans proportion avec le défi », pointe le PNUE. « Les pays montrent des progrès dans la mise en œuvre de leurs plans, mais à une échelle et une vitesse inadaptées à la montée des dangers. » A l’avenir, ils devront aussi « davantage anticiper » et non uniquement intervenir en réaction aux catastrophes. Au passage, la moitié des projets d’adaptation soutenus par un mécanisme de l’ONU-Climat ne sont pas financés sur le long terme.
En outre l’adaptation climatique doit être beaucoup mieux planifiée qu’elle ne l’a été jusqu’à présent, exhorte le PNUE. Elle nécessite la création de fonds et d’instruments spécifiques, une fiscalité et un budget bien identifiés et dédiés, le tout intégré dans le cadre du développement national. « Tout cela pourrait être favorisé par la réforme proposée des institutions financières internationales et les banques multilatérales de développement », rappelle le PNUE. De plus, la question du « qui paye » reste sans réponse. Les pays en développement supportent souvent le coût de l’adaptation, « ce qui n’est pas conforme au principe des responsabilités communes mais différenciées […] ou avec le principe du pollueur-payeur ».
1,62°C de réchauffement sur un an
Enfin, l’argent sonnant et trébuchant ne fait pas tout. L’adaptation au changement climatique, c’est aussi le renforcement dit des « capacités », poursuit le PNUE, qui sont mentionnées « presque partout dans les documents » de l’ONU-Climat, surtout lorsqu’il s’agit des secteurs de l’eau, de l’alimentation et de l’agriculture. Dans le jargon onusien cela comprend le transfert de technologies, l’investissement financier et humain dans la recherche, l’éducation et la formation, l’amélioration de la communication auprès des populations. Or, cet aspect aussi accuse de retard et d’obstacles techniques, juridiques et financiers (accès aux prêts, manque de compétences locales) Les efforts réalisés sont « souvent désordonnés, chers et court-termistes », déplore le PNUE.
« Le changement climatique a déjà des effets dévastateurs sur les communautés du monde entier, en particulier les plus pauvres et les plus vulnérables. Les tempêtes déchaînées détruisent les maisons, les incendies détruisent les forêts, la dégradation des terres et la sécheresse dégradent les paysages », a déclaré Inger Andersen, directrice exécutive du PNUE. « Les gens, leurs moyens de subsistance et la nature dont ils dépendent sont réellement menacés par les conséquences du changement climatique. Sans action, ceci est un aperçu de ce que notre avenir nous réserve et pourquoi il n’y a aucune excuse pour que le monde ne prenne pas au sérieux l’adaptation dès maintenant. »
2024 est en passe de devenir l’année la plus chaude jamais enregistrée, a annoncé jeudi l’Organisation météorologique mondiale. Ce jeudi, l’observatoire européen Copernicus indique de son côté que la moyenne des températures entre novembre 2023 et octobre 2024 a excédé de 1,62°C le niveau pré-industriel (1850-1900), et est supérieur de 0,74°C à la moyenne 1991-2020. On s’achemine vers une première année historique avec plus de 1,5°C de réchauffement. « Cela marque une nouvelle étape dans les records de températures mondiales et devrait servir de déclencheur pour rehausser l’ambition à la prochaine conférence sur le changement climatique, la COP29 », a souligné Samantha Burgess.
Ce chiffre symbolique d’1,5°C correspond à la limite la plus ambitieuse de l’accord de Paris de 2015, visant à contenir le réchauffement bien en-dessous de 2°C et à poursuivre les efforts pour le limiter à 1,5°C. Cet accord historique fait toutefois référence à des tendances climatiques de long terme : la moyenne devra rester au-dessus d’1,5°C de réchauffement pendant 20 à 30 ans pour que l’on considère que la limite a été franchie.