ÉMIGRATION IRRÉGULIÈRE – Le drame de trop !

Chaque jour, des dizaines de jeunes Sénégalais risquent leur vie en tentant la traversée de l’Atlantique. La dernière tragédie en date, avec la découverte d’une pirogue à la dérive transportant 30 corps sans vie, vient rappeler l’urgence d’agir face à ce phénomène qui ne cesse de s’aggraver.

Le lundi 23 septembre 2024, le ministère des Forces armées a rendu public un communiqué alarmant : une pirogue à la dérive a été découverte avec à son bord 30 corps en état de décomposition avancée. Les opérations de récupération, d’identification et de transfert sont délicates, en raison de l’état des corps. Selon le journaliste sénégalais Ayoba Faye qui s’intéresse à la question, ‘’la pirogue s’est probablement perdue en mer pendant plusieurs jours, laissant ses occupants mourir à bord avant d’échouer sur les côtes’’.

Cette tragédie, comme tant d’autres, illustre la réalité accablante de l’émigration irrégulière au Sénégal où des centaines de jeunes continuent de risquer leur vie en quête d’un avenir meilleur.

Un phénomène tragique et récurrent

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Du 1er janvier au 15 septembre 2024, 26 758 migrants ont atteint les côtes des îles Canaries à bord de 394 pirogues, selon les chiffres du ministère espagnol de l’Intérieur. C’est presque le double par rapport à la même période en 2023, où il a été enregistré 14 454 migrants pour 258 embarcations, soit une augmentation de 85,1 % en 2024, selon les chiffres du gouvernement espagnol. Parallèlement, le nombre de morts et de disparus a également sensiblement augmenté, avec leurs lots de rêves brisés, de familles dévastées et une jeunesse qui choisit l’exil, faute de perspectives viables.

Selon de nombreux acteurs et rapports, la baisse de la pêche artisanale dans les zones côtières du Sénégal contribue directement à cette émigration. Les pêcheurs, de plus en plus privés de ressources, se tournent vers le transport de migrants, témoignant d’une crise économique et structurelle profonde. En réponse, le président Bassirou Diomaye Faye a exprimé sa volonté de combattre ce fléau, appelant à renforcer les dispositifs de lutte contre les départs de migrants et une plus grande collaboration avec les populations.

Une lutte contre des réseaux bien organisés

La tragédie de Mbour, survenue la semaine dernière, met en lumière la complexité de l’émigration clandestine qui est alimentée par des réseaux de trafiquants d’êtres humains bien organisés. Ces individus, véritables marchands d’illusions, doivent être sanctionnés par la justice pour leurs actes inhumains. Le chef de l’État a souligné l’urgence de mettre en place une supervision stratégique des dispositifs de lutte contre la migration irrégulière, tout en révisant le cadre national de pilotage et de coordination des activités de prévention.

Cependant, le chercheur Aly Tandian met en lumière les limites de la réponse sécuritaire à la migration irrégulière. « Les causes de la migration sont avant tout sociales. Les États doivent chercher des réponses au niveau social plutôt qu’au niveau sécuritaire », insiste-t-il. Malgré le changement d’acteurs politiques, la population juvénile continue de faire face à un manque de perspectives, intensifiant ainsi le phénomène de la migration irrégulière.

Une mobilisation citoyenne nécessaire

Dans la nuit du 21 au 22 septembre, la gendarmerie de Rufisque a mené une opération à Mbèye, dans la commune de Bambilor, aboutissant à l’arrestation de plusieurs candidats à l’émigration irrégulière. L' »opération Djoko », lancée le 15 août pour lutter contre ce fléau, a déjà conduit à l’interpellation de 453 personnes, dont une majorité de nationalités sénégalaises. Ces efforts, bien que louables, doivent s’accompagner d’une mobilisation des citoyens.

Le samedi précédent, des associations de divers secteurs ont organisé une marche silencieuse à Mbour pour sensibiliser sur les drames en mer. Cette procession, qui a rassemblé des autorités locales, témoigne de l’indignation croissante face à un fléau qui décime la jeunesse.

Selon Dame Seck, membre du mouvement Na Doy, la population de Mbour s’unit pour s’opposer à cette tragédie.

Malgré des initiatives gouvernementales telles que le FNPJ, le plan Reva et le programme Kheuyou Ndaw Gni, les politiques d’emploi et d’insertion des jeunes ont échoué à résoudre le problème du chômage, poussant ainsi les jeunes vers l’émigration à tout prix.

Un appel à l’action

La section du Forum civil de Mbour déplore la lenteur des autorités à réagir face à cette crise. Elle appelle à des mesures urgentes, telles que la criminalisation de l’émigration clandestine pour les trafiquants et des audits des politiques d’insertion. Un deuil national a également été demandé en hommage aux victimes.

Pour sa part, le Forum du justiciable souligne l’urgence d’organiser des assises nationales sur l’émigration irrégulière afin de diagnostiquer ses causes multiples et de proposer des solutions durables.

Le dirigeant espagnol, en visite à Dakar pour décourager les départs vers les îles Canaries, a constaté que le mal est profond. Malgré ses efforts, le manque de perspectives au Sénégal continue de nourrir la détermination des jeunes à tenter leurs chances en Europe, souvent au péril de leur vie.

Vers une réponse régionale

De l’avis d’Aly Tandian, ‘’ces jeunes ne veulent pas être des victimes de la mondialisation. Ils aspirent à en être les acteurs ». Il plaide ainsi pour une mobilisation des États afin de trouver une réponse régionale au phénomène migratoire, plutôt qu’une approche isolée.

Face à cette tragédie humaine, le Sénégal doit impérativement adopter une approche multidimensionnelle, alliant des politiques de développement à une sensibilisation accrue des jeunes, pour enfin apporter l’espoir nécessaire à une génération désenchantée. Les événements tragiques qui secouent le pays ne sont que des manifestations d’un mal plus profond, et seule une réponse collective et engagée pourra apporter une lueur d’espoir dans l’obscurité.

Objet politique

L’émigration irrégulière au Sénégal est devenue un enjeu politique, à la fois pour le régime en place et pour l’opposition qui l’instrumentalisent sans offrir de réponses ni de solutions concrètes. Cette surenchère politicienne a contribué à amplifier le phénomène, alors que peu d’acteurs s’engagent réellement à trouver des solutions structurelles.

Ce constat met en lumière une triste réalité : le débat sur l’émigration irrégulière est souvent récupéré à des fins partisanes, détournant l’attention des véritables causes de ce phénomène. Alors que les jeunes continuent de risquer leur vie en quête de meilleures opportunités, les discours politiques se concentrent davantage sur des critiques mutuelles que sur des actions concrètes.

Il est essentiel que l’État et les acteurs politiques transcendent les rivalités pour aborder la question de l’émigration avec une approche holistique. Cela implique non seulement des mesures sécuritaires, mais aussi des politiques de développement socioéconomique visant à créer des perspectives pour la jeunesse. L’absence de solutions durables, face à une crise si aiguë, pourrait conduire à une aggravation des tragédies humaines en mer et à un sentiment de désespoir croissant parmi la population.

Amadou Camara Gueye

SOURCE ENQUETEPLUS

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