Réussir le premier quinquennat: quelques pistes de réflexions

Le Sénégal a connu, le 24 mars 2024, une alternance démocratique marquant, une fois de plus, la robustesse de son système démocratique et la maturité de son peuple. Plus que cela, l’avènement d’un nouveau régime restera à jamais graver en lettres d’or dans les annales de l’histoire politique du Sénégal tant par ses péripéties que par l’immense espoir placé en une si jeune génération de leaders politiques.

C’est pourquoi, il s’avère important, au-delà, de toute considération partisane encore moins politicienne, d’apporter une contribution citoyenne si modeste soit-elle pour la réussite du PROJET dans le sens de cette recherche de ruptures nécessaires et possibles pour faire du Sénégal une nation juste, prospère, souveraine et ancrée dans des valeurs fortes de Patriotisme, de Travail, d’Ethique et de Fraternité.

C’est le sens et l’esprit qui ont inspiré et présidé à la rédaction de ces quelques lignes. Ainsi, pour réussir ce premier quinquennat, il me semble primordial d’user de cette clé à huit dents suivantes :

  1. PROCEDER A UNE MACRO PLANIFICATION DES RESULTATS MAJEURS DU QUINQUENNAT

Il convient d’avoir, en grands traits, l’agenda de réalisation des ambitions pour le Sénégal avec des marqueurs importants au cours des cinq prochaines années. Cela aura un effet mobilisateur certain et l’avantage d’organiser, en conséquence, les efforts autour de la réalisation de ces objectifs majeurs. De plus, la définition d’objectifs majeurs à atteindre constitue un moyen de communication avec les populations et un baromètre pour mesurer la réussite du mandat.

Dans le même ordre d’idées, il convient de donner au PROJET un contenu répondant aux normes et standards de notre système de planification de manière à servir de référentiel de l’action publique dans toute sa diversité. Il s’agit, en définitive, de disposer d’une référence pour la mobilisation des ressources et des énergies.

  1. DONNER UN SIGNAL FORT DES A PRESENT EN POSANT DES ACTES FORTS DE RUPTURE

Il est attendu des nouvelles autorités la matérialisation de la rupture prônée. En effet, il est important de poser des actes forts de rupture dont les plus déterminants sont l’amélioration de l’efficacité et de l’efficience dans l’Administration, la promotion du mérite et de la culture du résultat et le renforcement de l’Etat de Droit.

En ce qui concerne l’amélioration de l’efficacité et de l’efficience dans l’Administration, il convient dans un premier temps de procéder à une rationalisation des dépenses et une optimalisation des recettes par à la fois l’élargissement de l’assiette fiscale et un meilleur recouvrement. Une plus grande lisibilité des résultats attendus des départements sectoriels et de leur niveau d’atteinte (scolarisation universelle, accès universel à l’eau potable, à l’électricité, etc.) est nécessaire. Avec l’avènement des budgets-programmes, cette question prend une dimension encore plus grande. Pour quel résultat substantiel l’argent du contribuable est alloué à tel secteur plus qu’à tel autre ?

Le second défi reste la célérité dans le traitement des dossiers à différents niveaux tant du point de vue horizontal (d’une structure à une autre) que du point vertical (d’un échelon inférieur à l’échelon supérieur). Dans le même ordre d’idées, le code des marchés publics doit être revu pour assurer plus de célérité et intégrer davantage la dimension performance qui est, il faut le rappeler, la première perspective et le premier mobile de dépense.

Pour ce qui est de la promotion du mérite et de la culture du résultat, l’acte fort tant attendu est l’instauration d’un appel à candidatures pour l’accès à certains postes de direction et limiter le nombre d’années maximum à rester à un poste. L’instauration de la concurrence dans certains postes de responsabilités associée à la limitation du nombre d’années favoriseront la légitimité des dirigeants et leur donneraient les coudées franches pour faire des résultats. L’alternance systématique sera ainsi instaurée avec la limitation du nombre d’années.

Contrairement à une opinion bien répandue, il n’est pas tard pour instaurer cette pratique déjà ancienne dans certains pays de l’Afrique subsaharienne. Il est vrai que le cadre juridique doit être préalablement mis en place et que la précipitation dans la prise de décisions majeures n’est pas à encourager. Il faut bien le dire, le Sénégal est à la traine à ce niveau.  En tout état de cause, il convient de promouvoir la performance et l’excellence, à travers des sanctions positives ou négatives, suivant le cas et de célébrer les agents et les structures performantes à travers des cérémonies présidées par les hautes autorités et inscrire ces événements dans l’agenda national à l’image de la cérémonie de remise de prix aux meilleurs élèves.

  • METTRE EN PLACE UN PROGRAMME DE DEVELOPPEMENT DES TERROIRS

Le caractère pressant de la demande sociale liée à la grande précarité individuelle et collective qui prévaut appelle de la part des autorités une réponse urgente, massive et soutenue pour améliorer les conditions de vie des populations et favoriser la promotion de moyens d’existence durables au niveau des différentes localités du pays.

Dans cette perspective et suivant l’esprit du projet unifié de cartographie et d’orientation des infrastructures socio-économiques de base contenu dans le PROJET, il convient d’améliorer l’approche du PUDC en intervenant dans tous les départements suivant une approche package de services et d’opportunités standards pour chaque niveau de collectivité territoriale. Il s’agit, par exemple, au niveau de chaque niveau de collectivité territoriale, d’identifier les cinq majeurs (EAU, ELECTRICITE, ROUTES, SANTE, EDUCATION) comme un ensemble indivisible de services minimum dont elle doit disposer. Ainsi les différentes interventions (qui du reste méritent d’être coordonnées) vont concourir au développement de ces cinq majeurs. C’est ce que les béninois ont développé depuis très longtemps et qu’ils appellent  le minimum social commun.

Il est très urgent de mettre en place ce programme et de le dérouler dès la deuxième année du quinquennat. Il s’agit de donner des réponses adéquates à des préoccupations bien précieuses des populations tant en milieu rural qu’un milieu urbain. Les ressources allouées aux collectivités territoriales doivent être prioritairement orientées vers ce programme.

  1. METTRE EN PLACE UNE STRATEGIE DE MISE A CONTRIBUTION DES COMPETENCES ET OPPRTUNITES DE LA DIASPORA SENEGALAISE

La diaspora sénégalaise s’est particulièrement illustrée dans l’avènement de l’alternance au Sénégal par son engagement multiforme. En effet, les sénégalais de l’extérieur ont toujours joué un très déterminant dans l’amélioration des conditions de vie des populations tant au niveau des familles que des collectivités.

Cette communauté, diverse dans ses composantes, mérite une attention particulière afin d’en tirer le meilleur profit au bénéfice du Sénégal et des sénégalais. C’est pourquoi, il serait utile (i) d’asseoir une stratégie d’intelligence économique impliquant la diaspora sénégalaise employée dans les institutions internationales et les grandes sociétés multinationales ; (ii)  de développer et de structurer davantage la coopération décentralisée comme complément non négligeable à l’action de l’Etat et de ses partenaires et de (iii) mener les études et investigations nécessaires à la bonne compréhension du phénomène migratoire avant d’envisager des mesures de quelle nature que ce soit. En effet, il convient de bien adresser le phénomène avec une meilleure connaissance des motivations, des situations économiques et sociales, des pays de destination des différentes personnes candidates à l’immigration irrégulière. L’adage le dit bien. Un problème bien posé est à moitié résolu.

  1. UNE POLITIQUE DE JEUNESSE BIEN ADRESSEE

Il est maintenant clair au niveau de tout un chacun que la jeunesse doit être au cœur des préoccupations des dirigeants qui, au-delà des slogans, doivent bien prendre en charge cette question avec détermination, réalisme et une responsabilité à toute épreuve.  Pour ce faire, il convient de la dépolluer des querelles politiciennes, très souvent d’ailleurs, mal placées.

C’est pourquoi, pour mieux appréhender le problème, il convient, dans un premier temps, de mener les études et investigations nécessaires à la bonne compréhension du phénomène de la jeunesse dans sa diversité et sa complexité.

Ainsi, sur la base d’une meilleure connaissance des problèmes et des enjeux, il reviendra aux Autorités, d’asseoir une politique de promotion de la jeunesse selon une approche systémique allant du préscolaire au supérieur quelle que soit la filière d’enseignement et quel que le secteur concerné.  Autrement dit, une bonne politique de jeunesse est celle-là qui transcende le découpage administratif des ministères et collectivités locales tout en gardant un fil conducteur unique d’un programme aussi cohérent que vaste.

Tout vaste et complexe qu’elle soit, la politique de jeunesse est à la portée des autorités qui en manifestent une volonté politique réelle de relever le défi.

  1. METTRE EN PLACE UNE STRATEGIE DE DEVELOPPEMENT DU SECTEUR PRIVE

Le développement du secteur privé avec la promotion de champions dans les secteurs clés de la compétitivité ou de la résilience de notre Economie commande, de la part des autorités, outre une volonté politique forte, de la générosité à voir émerger, se développer et s’étendre à travers le monde, des entreprises portées par des sénégalais soucieux de promouvoir le label sénégalais.

il est grand temps de se convaincre, une bonne fois pour toutes, que sans un secteur privé national dynamique, rien de durable ne peut être fait en matière de promotion de l’emploi des jeunes et de renforcement de la souveraineté économique. La transformation systémique de l’Economie passe nécessairement par la mise en place, à tous échelons, d’entités viables économiques et tenues avec rigueur et professionnalisme.

Dans cette perspective, Soutenir l’outil de production avec le renforcement des capacités et promouvoir la consommation des produits locaux et le recours à l’expertise locale doivent être de mise.

  • MAGNIFIER LE PATRIOSME ET LA FIERTE D’ETRE SENEGALAIS

La promotion des valeurs de patriotisme, d’éthique et de fraternité revient à donner à la dimension humaine, souvent négligée, toute son importance dans le processus de développement tant l’Homme en est à la fois acteur et bénéficiaire, à titre principal.

Ces deux dernières décennies ont été marquées par un accent particulier mis sur le développement d’infrastructures pour combler le retard accumulé depuis l’accession de notre pays à la souveraineté internationale. Cependant, il est, très vite, apparu nécessaire voire évident que la dimension humaine, cet aspect « soft » du développement doit retrouver toute sa place dans la dynamique de construction nationale.  Il est donc urgent de trouver un consensus national fort autour de ce que certains acteurs de la société civile ont appelé le sénégalais de type nouveau. Un sénégalais, citoyen du monde, fier de son passé, conscient des enjeux nationaux et des défis auxquels le monde actuel est confronté qui engage, au quotidien, avec détermination et patriotisme la lutte pour un mieux-être individuel et collectif.

C’est pourquoi et suivant l’approche systémique, il s’agit de repenser la relation entre le Citoyen et la société, la relation entre le Citoyen et son prochain et la relation entre le Citoyen et la Chose Publique.

Pour ce faire, il semble primordial de (i) recentrer certains enseignements sur une meilleure connaissance du Sénégal (son histoire, son économie, etc.) ; (ii) promouvoir ce qui fait la fierté d’être sénégalais et (iii) faire prendre conscience au peuple les enjeux de l’heure tant aux plans national, sous régional qu’international.

  • MAINTENIR UN LIEN PERMANENT ET QUASI CHARNEL AVEC LE PEUPLE

Il est souvent dit que les élections présidentielles constituent une rencontre entre un Homme et son Peuple. La présidentielle de 2024 en a été une parfaite illustration. Une relation forte et rarement aussi intense et que profonde a été établie entre les tenants du pouvoir en place et les populations autour d’un espoir, qui, il faut bien le dire, ne doit être trahi sous aucun prétexte.

C’est la raison pour laquelle, il est important que les plus hautes autorités communiquent régulièrement sur les tenants et aboutissants de la Vision ainsi que les contraintes majeures qui entravent ou retardent sa concrétisation. Il s’agira de rendre régulièrement compte au Peuple de ce qui est fait et de ce qui reste à faire mais également de faire prendre conscience au Peuple les enjeux de l’heure tant aux plans national, sous régional qu’international.

Réussir le quinquennat est possible, largement à la portée des nouvelles autorités. De toutes façons, ce n’est pas une option.

Par Babaciré DIA,  Economiste planificateur

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