La place de la Loi d’orientation sociale dans l’agenda législatif et règlementaire du gouvernement
Adja Aïda Diop, Mamadou Bilo Diallo et Makhourédia Thiam, trois candidats qui ont marqué l’édition 2024 de l’examen du Baccalauréat qui vient de baisser ses rideaux. Leur particularité commune est qu’ils sont tous des élèves en situation de handicap et ont tous réussi haut la main leur examen. Les deux premiers se sont distingués en sortant avec la mention «Très Bien» ; tandis que le dernier a marqué les esprits en passant l’examen à même le sol, sur une natte, s’il vous plaît.
Adja Aïda et Mamadou ont pu bénéficier de la solidarité de leurs camarades de classe et notamment de l’appui de leurs enseignants pour lesquels leurs parents n’ont pas tari d’éloges. En effet, Mamadou est à la fois tétraplégique et éprouve aussi des difficultés de locution. En dépit de tous ces obstacles, ses professeurs, qui n’ont reçu par ailleurs aucune formation pour la prise en charge de pareils apprenants, ont su lui offrir l’encadrement nécessaire lui ayant permis d’obtenir ses excellents résultats. Qui disait encore que l’enseignement est un sacerdoce ?
Pour le cas de Makhourédia, l’honneur revient à Madame la Proviseure du Lycée Sergent Malamine Camara, cheffe du centre d’examen abritant le jury du candidat handicapé. Elle a fait preuve non seulement d’humanisme, mais aussi de perspicacité en lui permettant de composer assis sur une natte, afin de le mettre à l’aise. A ce propos, on est tenté de se poser la question suivante : et l’Office du Bacca-lauréat dans tout cela ?
Avait-il pris des mesures afin de mettre ces candidats handicapés dans des conditions de réussite de leur examen ? Est-ce que l’Office du Bac dispose de statistiques fiables sur les types de handicap des candidats et comment les prendre en compte durant l’examen ? A-t-il prévu des aménagements pour éviter aux candidats en situation de handicap les difficultés auxquelles était confronté Makhourédia Thiam ? Etc.
Autant d’interrogations auxquelles nous sommes tenté de répondre par la négative, quand on sait que l’élève Makhourédia était pensionnaire du Centre Talibou Dabo qui, normalement, aurait dû recevoir une visite d’agents de l’Office du Bac afin de les préparer à l’examen. A notre avis, toutes ces questions auraient été résolues, si les décrets et arrêtés devant accompagner la mise en œuvre de la Loi d’orientation sociale relative à la promotion et la protection des droits des personnes handicapées avaient été pris. Malheureusement, tel n’est toujours pas le cas pour plusieurs raisons, mais toutes liées essentiellement à des lenteurs administratives et à un manque de volonté politique.
C’est la raison pour laquelle tous les Sénégalais devraient saluer et à sa juste valeur les mesures de changement de paradigme annoncées par le Premier ministre lors du Conseil des ministres du 3 juillet dernier, relatives notamment au processus d’adoption des lois et règlements qui régissent le fonctionnement de l’Etat. Il s’agit de la mise en œuvre d’une nouvelle doctrine en la matière, consistant à fixer comme préalable à l’examen d’un projet de loi en Conseil des ministres, l’élaboration des projets de décrets et d’arrêtés d’application.
Cette mesure arrive à son heure. Elle est d’autant plus à magnifier que nombreuses sont les propositions de réformes de l’Etat qui sont restées lettres mortes faute d’un suivi adéquat du processus d’adoption des décrets et arrêtés devant les rendre effectives.
L’exemple le plus patent durant ces quatorze dernières années, demeure la mise en œuvre de la Loi d’orientation sociale. Cette loi, adoptée depuis 2010, peine toujours à être effective sur le terrain, en l’absence des décrets et arrêtés devant assurer son opérationnalisation. La quinzaine de textes réglementaires prévus à cet effet sont soit toujours en cours d’élaboration, soit dorment encore dans les tiroirs du Secrétariat général du gouvernement (Sgg), après avoir bouclé tout le circuit administratif nécessaire.
C’est le cas du projet de décret pour la mise en place de la Haute autorité chargée de la promotion et de la protection des droits des personnes handicapées. C’est également le cas du projet de décret pour la création d’un fonds d’appui destiné à financer et à promouvoir la pleine participation, l’intégration et l’activité économique des personnes handicapées. Ces deux projets de décrets ont fait objet de circularisation pour observations dans les différents ministères concernés depuis 2017.
Par ailleurs, pour la mise en place du fonds, nous suggérons que l’Etat passe de la budgétisation à la fiscalisation qui permettra une pérennisation et une stabilisation de ce fonds. Il consistera à mettre une taxe ou à opérer une augmentation de 5 à 10 francs Cfa sur certains produits, notamment l’essence, la cigarette, le dédouanement des véhicules, entre autres. Ces mesures permettront de disposer de suffisamment de ressources pour procéder rapidement à un rattrapage dans la politique d’inclusion économique et sociale des personnes handicapées en accélérant la dissémination de structures comme le Centre Talibou Dabo et l’Inefja dans toutes les régions en vue d’assurer la scolarisation de tous les enfants handicapés, quel que soit leur lieu de résidence sur l’ensemble du territoire national.
Tout compte fait, ce retard dans la signature des décrets et arrêtés entache les efforts du gouvernement et semble donner un goût d’inachevé à toutes les mesures réglementaires et légales relatives au handicap. Il appartient donc aux personnes handicapées de comprendre que c’est à elles seules que revient la lourde responsabilité de rappeler à l’Etat ses engagements et de mettre en œuvre tous les moyens légaux pour amener les autorités à élaborer et publier ces textes.
La Fédération sénégalaise des associations de personnes handicapées (Fsaph), en tant qu’instance faîtière des associations de personnes en situation de handicap, essaie de s’évertuer à cette tâche depuis sa création en 1997. Elle est dotée aujourd’hui de ressources humaines et de l’expertise nécessaires, à même d’assurer le suivi de la mise en œuvre de toutes ces réformes. Il suffit juste au gouvernement de faire preuve de bonne volonté et de lui prêter une oreille attentive en vue de faire bouger les lignes.
Pour cela, il faut commencer par identifier dès maintenant la place que ladite Loi d’orientation sociale occupe dans le nouvel agenda législatif et réglementaire du gouvernement qui comprend, à ce jour, l’élaboration de 83 projets de lois, 294 projets de décrets et 110 projets d’arrêtés. Mais, qu’en est-il des 12 projets de textes restant pour l’effectivité totale des services et avantages octroyés aux personnes handicapées par ladite loi. Ont-ils été intégrés dans l’agenda ?
C’est peu probable, à notre avis, dans la mesure où la plupart est constitué d’arrêtés interministériels, pour l’adoption desquels il est indispensable de tenir des rencontres entre les ministères concernés. Des rencontres que ce nouveau gouvernement n’a certainement pas eu le temps d’organiser. C’est donc le moment de le lui rappeler et de veiller à ce que toute la panoplie de mesures prévues par la loi en vue d’améliorer les conditions de vie des personnes en situation de handicap soit effective.
La mise en œuvre des politiques sociales, notamment celles relatives à l’inclusion des personnes handicapées, relève plus de la volonté politique que de problèmes de conception ou encore d’expertise qui, aujourd’hui, sont tous résolus. En effet, tous les instruments juridiques, à l’image de la Loi d’orientation, et toutes les informations nécessaires pour la prise en charge du handicap dans toutes les politiques sont aujourd’hui disponibles. Les dernières en date se trouvent dans les résultats du cinquième Recensement général de la population et de l’habitat (Rgph-5). Selon le rapport du Rgph-5 2023, le taux de prévalence du handicap est évalué à 7, 3% au Sénégal. Il est en légère hausse par rapport à 2013 où il était ressorti à 5,9%, ce qui signifie que 73 Sénégalais sur 1000 souffrent d’un handicap. L’analyse de la prévalence du handicap dans diverses catégories socio-professionnelles a permis de cerner les caractéristiques socio-économiques et culturelles de ce groupe vulnérable. Les informations issues du recensement appellent à une attention particulière dans la prise en charge des personnes vivant avec un handicap dans les questions liées notamment à l’employabilité, à l’emploi, à l’éducation, à la formation et à la santé.
Ainsi, avec cette nouvelle orientation du Premier ministre, nous osons espérer que sous peu, les lignes vont enfin bouger afin de faire du handicap un critère qualité pour le développement.
Kabir AÏDARA
Coordonnateur technique du Service national de
l’Education et de l’Information sanitaire et sociale