Retrait de l’exécutif du conseil supérieur de la magistrature : avis divergents des juges

Les sorties des magistrats sur la présence du chef de l’Etat dans le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) attestent qu’ils n’ont une position identique. Si certains pensent que l’indépendance ne saurer se mesurer à la présence du chef de l’Etat, d’autres ont trouvé cette chefferie politique incommode.

La sortie du président de la République, Bassirou Diomaye Faye, sur le retrait de l’Exécutif du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), lors de la remise du rapport des assises de la justice avant-hier, jeudi 4 juillet, rappelle toute la divergence de vue sur le fonctionnement de cette institution judiciaire.

Critiqué par les défenseurs des droits de l’homme et certains magistrats eux-mêmes à cause de la présence du président de la République, le fonctionnement du CMS ne fait pas l’unanimité.

Dans un entretien qu’il avait accordé à Sud Quotidien en 2021, l’actuel médiateur de la République et ancien président de la Cour d’appel de Dakar, Demba Kandji a dit, « dans toutes les Constitutions du monde francophone en tout cas, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) assiste le Président de la République, garant de l’indépendance de la justice.

En France, au Sénégal, un peu partout, que le Président soit présent au Conseil avec son ministre ou ne le soit pas, dans toutes les constitutions, le Conseil supérieur de la magistrature est un organe qui assiste le Président de la République, seul garant de l’indépendance de la justice ».

Dans les colonnes de Sud Quotidien, le magistrat avait jugé, « Le Conseil supérieur de la magistrature avant d’être un organe exclusivement dédié à la magistrature est un organe qui appartient également à l’Exécutif qu’on le veuille ou non.

Parce qu’il assiste le Chef de l’Exécutif.

Je me demande pourquoi les gens ne réfléchissent pas à ça ? Quoi qu’on fasse, qu’il y soit, ou présent au moment des délibérations ou qu’il n’y soit pas, les délibérations issues du conseil seront entérinés par lui (Président de la République).

C’est comme ça que cela se passe. Maintenant, s’il est bon qu’il n’y soit pas, il faut s’arranger pour qu’il n’y soit pas. Je n’ai rien contre mais il y a une instance du conseil dans laquelle ni lui, ni son vice-président ne se trouvent.

C’est le conseil délibérant sous sa formation disciplinaire. Il n’y a que le magistrat pour juger le magistrat. Et même là, quand les magistrats ont fini de juger, il faut la signature de l’Exécutif pour que la sanction prenne vie ».

L’indépendance de la justice ne saurait se mesurer à la présence du chef de l’Etat avait estimé Mamadou Badio Camara en tant que Premier président de la Cour Suprême, lors de la rentrée solennelle des Cours et tribunaux de 2017.

« Il importe de souligner que, face au principe d’indépendance, il y a la responsabilité qui incombe aux magistrats.

En matière disciplinaire notamment, la responsabilité du magistrat peut être engagée pour manquement à l’honneur, à la délicatesse, à la dignité et, en définitive, à l’obligation de réserve qu’imposent les fonctions», avait-t-il soutenu.

Toujours selon Mamadou Badio Camara, «avoir la responsabilité d’appliquer la loi, au nom du peuple, de juger ses semblables, de disposer de leur liberté et de leurs biens, doit être considéré comme un sacerdoce, qui n’a pas de prix».

Il réfutait, par ailleurs, l’idée selon laquelle, les magistrats sont les exécuteurs des décisions du gouvernement. «Il ne faut pas en rajouter en donnant l’impression d’agiter le chiffon rouge d’un gouvernement des juges, qui ne saurait prospérer.

Dans une démocratie, l’exécutif a l’initiative des projets de loi, le législatif a l’initiative des propositions de loi et du vote des lois, le judiciaire applique les lois. L’État de droit a pour fondement le respect de la séparation des pouvoirs».

La présence de l’Exécutif ne garantit pas une indépendance

Au temps de la présidence de Souleymane Téliko, l’Union des magistrats sénégalais a toujours réfuté la subordination du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) au pouvoir politique.

Lors d’un atelier de réflexion sur l’indépendance de la justice en mars 2021, avec comme thème : «Etat de droit et indépendance de la justice, enjeux et perspectives de réformes», Téliko avait jugé que, « Le service public de la justice peut, certes, souffrir de dysfonctionnements liés au manque d’équipements, de locaux ou de personnel ; il n’en perdra pas pour autant, nécessairement, sa crédibilité.

Mais, dès lors que, aux yeux du public, elle donne l’impression de manquer d’impartialité ou d’indépendance, la Justice perd une bonne partie de ce qui fait sa force : la confiance des justiciables». Rappelons qu’à cette date, le pays a été fortement secoué par le dossier Adji Sarr contre Ousmane Sonko.

Dans son argumentaire à l’époque, il avait aussi pensé que « le paradoxe du CSM, qui est aussi son principal handicap, c’est qu’il est chapeauté et piloté par celui-là même dont il est censé limiter l’influence».

L’heure est donc venue, disait-il, «de procéder à un changement de paradigme, à travers, entre autres mesures, l’autonomisation du CSM et l’instauration de la procédure d’Appel à candidatures, qui permettront à cet organe d’assumer sa mission, au mieux des intérêts de la justice et des justiciables».

Mieux, selon Souleymane Téliko, «sans une indépendance garantie et assumée, la justice perd en crédibilité et en autorité». Le président de l’Ums est d’avis que ce n’est pas la force qui fait la justice mais, plutôt, la justice qui fait la force.

Par conséquent, soutient-il, «travailler à préserver ce lien primordial de confiance constitue un devoir pour chacun de nous. Un devoir qui incombe en premier lieu aux acteurs de la justice qui doivent adopter, en toute circonstance, une posture de neutralité et incarner la figure de tiers impartial et désintéressé, aux décideurs et responsables de tous bords qui doivent tout mettre en œuvre pour préserver la respectabilité de l’institution judiciaire et, le cas échéant, l’ajuster aux standards modernes d’une justice indépendante et impartiale».

Pour Souleymane Téliko, les pouvoirs du ministre de la Justice sont exorbitants et ne cadrent pas avec l’indépendance de la justice. Pour lui, parler de l’indépendance de la justice, revient à mettre en place un système indépendant et de faire en sorte qu’aucun pouvoir ne puisse s’immiscer dans le traitement des affaires judiciaires.

Le magistrat d’ajouter que le principal problème est le manque d’autonomie. Il soutient dans ce sens que c’est le Garde des Sceaux, ministre de la Justice qui décide de l’avancement des magistrats selon des critères qu’il a lui-même définis.

L’exécutif quant à lui, déplace les magistrats à sa guise. Le défi majeur à la réforme de la justice est l’absence de volonté politique. Lors de cette même rencontre, le procureur Aliou Ndao, avait dessiné sa vision d’une justice indépendante. «A mon humble avis, pour arriver à une indépendance réelle de la justice, il faut obligatoirement atteindre les quatre objectifs suivants : premièrement l’indépendance de l’autonomie budgétaire de la justice à l’image du pouvoir législatif.

On ne peut pas comprendre que le juge, un pouvoir indépendant ; et que ces moyens soient déterminés par le pouvoir exécutif. Autrement, c’est le pouvoir exécutif qui donne aux juges les moyens. Donc, il y a une dépendance budgétaire de la justice à l’égard du pouvoir exécutif. C’est vraiment inadmissible à mon avis. Deuxième objectif : il me semble nécessaire de retirer au ministre de la justice son pouvoir dans la gestion de la carrière des magistrats parce que tous les problèmes viennent de là.

Tous les problèmes viennent du pouvoir de proposition de nomination des magistrats à cause du ministre de la justice.

Troisièmement : accorder aux magistrats le droit de se syndiquer. On ne peut pas comprendre que toutes les corporations de cette justice puissent se syndiquer et que les magistrats soient face à une interdiction d’aller vers une syndicalisation. Au Mali, les magistrats sont syndiqués, au Burkina Faso les magistrats sont syndiqués, pourquoi pas le Sénégal ? Enfin : réformer en profondeur le conseil supérieur de la magistrature».

Fatou NDIAYE

SUDQUOTIDIEN

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