DU TRAVAIL ET EMPLOIS DECENTS DANS L’AGRICULTURE ET LA PECHE

Depuis la covid 19 le Sénégal rencontre des difficultés pour relancer avec force les secteurs porteurs de valeurs ajoutées et enregistre un faible taux de croissance économique voisinant 4%, une inflation à 9,2% et une dette cumulée de 75% du PIB en 2022. Une situation aggravée de nos jours par des chocs externes telle que la guerre en Ukraine et un environnement sous régional instable à cause des crises politiques. L’année 2023 peut être considérée comme transitoire dans la mesure où des dispositions budgétaires allant dans le sens de gérer les risques financiers sont très vite prises par la Direction de la Programmation budgétaire et financière (DPBF) sous la supervision de Monsieur Cheikh DIBA, actuel Ministre de l’économie et des finances. Sur ce parcours parsemé d’embuches, comment réunir les éléments nécessaires pour la création d’emplois décents afin de réduire la pauvreté et en même temps garantir un niveau de croissance économique soutenable ?

D’après l’ANDS la population sénégalaise résidente est estimée à 18032473 habitants dont plus de 50% constitués de jeunes en 2023. Un taux de chômage de 20,1% avec une dominante pour les femmes en milieu rural (32%). La population active est la somme des chômeurs et des personnes en emploi, celle qui participe au marché du travail. Ce dernier n’est pas en équilibre car les personnes à la recherche d’emplois n’ont pas encore du travail. En conséquence, l’Etat est confronté à la résolution de deux types de chômage : l’un est conjoncturel, en d’autre termes lié au ralentissement de l’activité économique de 2021 et 2022 ; l’autre est structurel c’est-à-dire aux évolutions démographiques et aux diverses contraintes du marché du travail. Pour le premier type de chômage qui est conjoncturel, l’Etat doit mobiliser des ressources supplémentaires pour stimuler l’investissement dans des secteurs ou filières. Pour le deuxième type de chômage qui est structurel, l’Etat a intérêt d’aller dans le sens d’une transformation économique profonde en changeant de paradigmes et d’options. Cela veut dire d’avoir une approche systémique entre les ministères sectoriels pour atteindre le plein emploi. Le plein emploi ne se signifie pas absence de chômage, en France on considère que le plein emploi est atteint à partir d’un taux de chômage de 4,5%. Pour améliorer l’analyse de l’indicateur du chômage,  le Bureau International du Travail (BIT) a développé le concept de « déficit d’emplois » qui signifie les personnes qui souhaiteraient travailler mais qui n’ont pas d’emplois. Compte tenu de la complexité de l’analyse du marché travail et de l’emploi, la pluralité des acteurs et la combinaison des moyens semblent être la stratégie la plus sûr pour lutter contre le chômage par la création d’emplois décents.

La suite de ma réflexion sera axée sur des indications précieuses pour agir concrètement  sur le marché du travail. Ces indications correspondent à des leviers qu’il faut utiliser pour créer de la richesse et  du travail décent dans deux secteurs stratégiques de notre économie : l’agriculture et la pêche. Selon le BIT « le travail décent résume les aspirations des êtres humains au travail, c’est-à-dire l’accès à un travail productif et convenablement rémunéré, la sécurité sur le lieu de travail et la protection sociale pour les familles, de meilleures perspectives de développement personnel et d’insertion sociale, la liberté pour les individus d’exprimer leurs revendications, de s’organiser et de participer aux décisions qui affectent leurs vie, l’égalité des chances et de traitement pour tous, hommes et femmes » . C’est l’objectif 8 du nouveau programme de développement durable pour 2030, plein emploi productif et travail décent avec plus de justice sociale et de protection sociale.

Levier 1. Créer du travail décent en milieu agricole

Concevoir en urgence des programmes publics à vocation agricole pour ramener la part de l’agriculture à 70% de la population active avec une contribution de 40% du PIB. Cela nous permettra de résorber le déficit d’emplois par un retour massif vers le monde rural tout en assurant la sécurité alimentaire. Affecter des ressources considérables dans l’agriculture pour stimuler la création d’emplois peut permettre d’avoir par an prés de 2000 milliards de FCFA de valeur ajoutée en volume et une contribution de plus 75% dans le secteur primaire. Réviser et réorienter le Programme de relance et d’Accélération de la Cadence de l’Agriculture Sénégalaise (PRACAS2). Associer l’Institut Sénégalais de Recherche Agricole (ISRA) et le Centre pour le Développement de l’Horticulture (CDH) pour la formation professionnelle des jeunes sur les techniques de production, les semences et la conservation des récoltes. Accompagner cette politique par la mise en place dans les régions agricoles d’infrastructures de stockage des produits cultivés. Dans la vallée, les agriculteurs perdent chaque année 30% de leur culture d’oignons faute d’infrastructures. Avec une bonne formation des jeunes et un dispositif de stockage, le Sénégal pourrait atteindre 200000 tonnes de pomme de terre par an et atteindre dans cette filière l’autosuffisance alimentaire par l’emploi de plus 500 milles jeunes. Si toutes les conditions sont réunies, l’agriculture pourra utiliser régulièrement un nombre considérable de jeunes.

Levier 2 : Créer du travail décent dans le secteur de la pêche.

Les pêcheurs représentent aux environs 15% de la population active (63000 emplois directs pêcheurs) dont 94% sont fournis par la pêche artisanale. Il faut ramener ce taux  d’activité à 25% par la levée de toutes les contraintes liées à ce secteur. Renégocier les licences de pêche et mener des concertations avec les différents acteurs concernés. Il faut atteindre au moins un million de pêcheurs, 350000 pirogues et 180 navires industriels pour assurer le plein emploi dans ce secteur. Pour rappel le Sénégal a 718km de côtes avec un plateau continental de 23800 km carré. Son réseau hydraulique très dense, le fleuve Sénégal (1700km), le fleuve Gambie (477km), le fleuve Casamance (350km) et le fleuve Sine Saloum (130km). La pêche est un véritable moteur de croissance économique. La pêche génère une valeur ajoutée environ à 80 milliards dont 60% sur le segment de la capture et 40% sur la transformation soit 11% di PIB primaire et 3,2% du PIB total, 200 milliards FCFA de recettes par an soit 30% des recettes totales d’exportation. C’est une nécessité d’établir des conventions de formation avec des écoles spécialisées avec l’appui de la marine nationale pour une bonne connaissance des métiers de mer en direction de la jeunesse.

En conclusion, une bonne politique de création de travail décent dépend de trois conditions à notre avis : premièrement une élaboration claire et précieuse de la politique d’orientation en matière d’emplois, deuxièmement une stratégie claire pour la collaboration sectorielle et l’utilisation efficaces et efficiente des moyens mis à la disposition, troisièmement la maitrise d’une démarche managériale optimale. L’emploi des jeunes pose problème dans tous les pays. En Afrique subsaharienne, il existe à peu prés 62millions de jeunes qui n’ont ni formation ni éducation et qui migrent pour trouver un revenu de subsistance. C’est pour cela que l’Etat du Sénégal doit être focus sur la politique de travail décent pour une croissance économique inclusive et soutenable dans un environnement stable et attractif. Conscient de cette problématique, le Secrétaire général de l’ONU, Monsieur Antonio GUTERRES disait : « le monde du travail ne peut pas, et ne doit pas rester le même après la crise de la covid 19. L’heure est venue de coordonner l’action mondiale, régionales nationale pour créer les conditions de travail décent pour tout le monde. »

Alpha YOUM

Spécialiste de Gestion publique et Droit social

Section: 

libreparole

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