Vincent Duclert et le Rwanda
«C’est certain, l’opération Amaryllis était en mesure d’arrêter le génocide à Kigali»
C’est une déclaration qui a suscité beaucoup de réactions. À deux jours des commémorations du 30ᵉ anniversaire du génocide des Tutsi au Rwanda, Emmanuel Macron a estimé hier, jeudi, que « la France aurait pu arrêter le génocide » de 1994, mais qu’elle « n’en a pas eu la volonté ». Des propos que le président français devrait préciser dimanche dans une déclaration diffusée sur les réseaux sociaux. Comment interpréter et analyser ces propos ? La France et la communauté internationale auraient-elles pu réellement intervenir pour mettre un terme aux massacres ? L’historien Vincent Duclert, qui a présidé la commission chargée de faire la lumière sur le rôle de la France au Rwanda entre 1990 et 1994, auteur du livre La France face au génocide des Tutsi au Rwanda, est ce matin notre grand invité Afrique.
RFI : Emmanuel Macron avait reconnu en 2021 la responsabilité de la France dans le génocide des Tutsis, suite aux conclusions de votre rapport. Ce 4 avril 2024, nouvelle étape : le président français a estimé que la France aurait pu arrêter le génocide avec ses alliés occidentaux et africains, mais « elle n’en a pas eu la volonté », dit-il. Cette phrase, c’est un vrai pavé dans la mare, non ?
Vincent Duclert : Oui, tout à fait. Déjà, effectivement, le 27 mai 2021, Emmanuel Macron avait fait une avancée considérable, historique, en reconnaissant la responsabilité accablante des autorités politiques dans le génocide. Mais il avait tenu à préciser que ces autorités politiques avaient tout fait pour éviter le génocide, ce qui était un peu particulier. Il y avait vraiment eu un effet de balance, c’est-à-dire qu’il fallait rester un tout petit peu encore dans le narratif des anciennes autorités. Et on peut comprendre qu’Emmanuel Macron a eu une certaine prudence aussi, qui est tout à fait légitime, et qui n’enlève rien à son courage, il faut le reconnaître, d’avoir dit la vérité.
Et là, en fait, c’est une information qui éclaire le discours en vidéo qu’il va diffuser le 7 avril au matin. Donc ce sont des éléments de ce discours qui va installer quand même, je pense, un nouvel acte de l’effort des pouvoirs publics français pour reconnaître toute la vérité de ce qui a été réalisé par les anciennes autorités. Et là, c’est important, parce que les autorités de l’époque, essentiellement le président de la République François Mitterrand, n’ont pas du tout tout fait pour éviter le génocide. S’ils avaient fait ceci, le génocide aurait été arrêté.
C’est-à-dire qu’elle aurait pu, la France, intervenir dès le 7 avril, ou plus précisément entre le 10 et le 15 avril ?
En tout cas, on le sait, il faut souligner quand même que les militaires sur le terrain ont même été traumatisés par la manière dont ils ont été impliqués, finalement, au Rwanda, auprès d’un régime génocidaire et que ce n’était pas leur rôle. Et ils ont fait savoir qu’ils étaient prêts à d’autres actions et à d’autres missions et que c’est certain que l’opération Amaryllis était en mesure éventuellement d’arrêter le génocide à Kigali, avec toutes les armées occidentales qui étaient présentes. Il y avait tous les moyens disponibles déjà pour arrêter le processus génocidaire entre 90 et 93. Mais, là, clairement, il parle, je pense, de la phase paroxysmique, celle qui commence le 7 avril 1994. Et là, effectivement, tous les éléments sont réunis pour qu’on qualifie de génocide des Tutsis et qu’on mette des moyens militaires qui étaient sur place. On rappelle quand même qu’il y avait une opération d’évacuation, donc le lendemain du déclenchement du génocide, avec des forces spéciales françaises, des paras belges, des Casques bleus, des commandos italiens, les marines américains au Burundi. Tout ça, ça faisait quand même des forces considérables qui, effectivement, peut-être, n’attendaient qu’un ordre du politique pour intervenir contre les massacres et protéger les populations.
C’est-à-dire que, si on comprend bien, lorsque les Français et les Belges envoient leurs forces spéciales pour évacuer leurs ressortissants, elles auraient pu intervenir avec la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (Minuar) pour essayer d’empêcher les exactions. C’est ça, concrètement, que veut dire Emmanuel Macron ?
Bien sûr, absolument, c’est tout à fait le sens de la pré-déclaration – puisqu’il y aura effectivement la déclaration du 7 avril. Mais il souligne aussi qu’il y a une difficulté, ou en tout cas une volonté, de ne pas voir le génocide. On sait, par exemple, aussi que les Nations unies, avec une forte pression de la France et de la Belgique, vont réduire la Minuar, qui passe de 2500 hommes à 250, donc ça accélère en fond le génocide. Après, il y a l’opération Turquoise, là aussi, qui n’est pas dirigée vers l’arrêt du génocide, il faut être très clair. Et ce que souligne Emmanuel Macron, c’est que le pouvoir de François Mitterrand a ignoré, voire combattu, les alertes, toutes les possibilités d’arrêter ce génocide. C’est pour ça que mon livre s’appelle Le Grand scandale de la Ve République. C’est une faillite, je veux dire, de la capacité de la France à effectivement être à la pointe de l’Histoire pour agir. Et la France était quand même leader sur le Rwanda. Et ce qui est très intéressant, je crois, aussi dans la déclaration de Macron, c’est qu’il dit quand même qu’un génocide n’est pas une fatalité. Et reconnaître cette faillite, qui est d’abord une faillite française mais aussi une faillite internationale, c’est courageux. Moi, j’ai été surpris en fait, je ne vous le cache pas, mais aussi assez fier de la teneur de cette déclaration, parce qu’elle aggrave quand même les responsabilités que lui-même, déjà, avait reconnu. Cette reconnaissance de responsabilité, je crois que, d’une certaine manière, elle grandit la France aujourd’hui, et c’est ainsi qu’on sort des traumatismes du passé.
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