Frappes sur des humanitaires à Gaza: Varsovie exige des explications, Londres «consterné»
La Pologne veut des explications de la part d’Israël après la frappe sur le convoi humanitaire de World Central Kitchen, où un Polonais a perdu la vie. Cette mort a suscité beaucoup d’émotion et selon le Premier ministre Donald Tusk, soutenir Israël devient de plus en plus compliqué. De son côté, le Premier ministre britannique se dit « consterné » par l’attaque durant laquelle trois citoyens britanniques ont été tués. Rishi Sunak réclame à Tel Aviv une enquête transparente. Jusqu’ici pourtant, Londres s’était montré très conciliant vis-à-vis d’Israël.
La mort du Polonais Damian Soból, parmi les victimes du convoi humanitaire à Gaza, a beaucoup fait réagir en Pologne, relate Martin Chabal, notre correspondant à Varsovie. Pour le Premier ministre Donald Tusk, qui s’est exprimé sur X, il est difficile aujourd’hui pour les Polonais, qui s’étaient énormément mobilisés après les attentats du 7 octobre, d’être toujours aussi solidaires.
Le ministre des Affaires étrangères, Radoslaw Sikorski, demande, lui, à ce que des compensations soient versées par Israël aux familles des victimes. Il a aussi repris l’ambassadeur israélien en Pologne en lui demandant de faire preuve d’humilité après avoir traité d’antisémite un homme politique d’extrême droite qui a qualifié cette frappe de « crime de guerre ».
Et si certains observateurs ont peur de voir une montée de l’antisémitisme en Pologne avec ces déclarations, pour le ministre des Affaires étrangères c’est déjà le cas depuis qu’Israël « abuse de sa force ».
La Pologne se sent donc très concernée par cette affaire. Elle a d’ailleurs exigé une coopération totale entre la justice polonaise et israélienne pour déterminer clairement ce qu’il s’est passé. Le procureur de la ville du Polonais mort dans cette frappe a même ouvert une enquête indépendante.
« Londres est devenu plus critique »
Traditionnellement, le gouvernement britannique soutient Israël et se contente de suivre les initiatives américaines, rapporte notre correspondante à Londres, Émeline Vin. L’attaque du 1ᵉʳ avril va-t-elle suffire à infléchir cette position ? Martin Shaw, professeur en relations internationales à l’université de Sussex, n’en est pas convaincu. « La position britannique évolue depuis que David Cameron est devenu ministre des Affaires étrangères [en novembre]. Le gouvernement tend à exprimer son inquiétude quant à l’impact de l’opération israélienne sur les civils palestiniens. Londres est devenu plus critique, pas fortement critique, mais plus critique. Cet incident va certainement renforcer cette tendance. Cependant, je ne pense pas que ce seul incident aura un impact ; il en aura que si la communauté internationale, menée par l’administration Biden, décide de réévaluer son attitude. »
Quant à l’opinion publique, même si d’importantes manifestations pro-Palestiniennes se tiennent depuis octobre et qu’une importante minorité dénonce les agissements de l’armée israélienne, une certaine fatigue informationnelle s’installe, sur la question des otages par exemple.
« Les responsables politiques continuent d’en parler, poursuit Martin Shaw, mais ce n’est plus un sujet d’inquiétude pour le grand public. La plupart de gens, même ceux qui suivent l’actualité politique, n’ont plus cette question en tête. L’attention s’est tournée vers l’énorme nombre de victimes en Palestine et les conditions humanitaires. »
♦ Les opérations humanitaires impactées
World Central Kitchen l’avait annoncé immédiatement après la mort de ses collaborateurs : l’organisation suspend ses opérations dans la bande de Gaza. Une décision aux effets immédiats pour de nombreux civils : World Central Kitchen distribuait une aide alimentaire cruciale. C’est aussi elle qui était en charge de la livraison d’aide humanitaire par voie maritime depuis Chypre.
Les Émirats arabes unis, qui étaient le principal bailleur de cette aide acheminée par la mer, ont, eux aussi, annoncé interrompre ce volet de leurs opérations. Le pays réclame d’Israël qu’il garantisse la sécurité des travailleurs humanitaires. Ces deux décisions devraient entraîner une interruption de facto de ce couloir maritime tout juste mis en place : un seul bateau était parti de Chypre il y a trois semaines.
Ces frappes israéliennes de lundi ont également entraîné les autres organisations humanitaires actives dans la bande de Gaza à repenser leurs opérations. Certaines ont décidé de les interrompre totalement, d’autres de ne plus se rendre dans le Nord, la partie la plus dangereuse aujourd’hui mais aussi celle où la situation humanitaire est la plus délicate. Des décisions qui s’ajoutent aux restrictions déjà imposées par Israël : l’Unrwa, l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, qui est le principal acteur humanitaire dans l’enclave palestinienne, avait ainsi annoncé il y a dix jours qu’elle n’obtenait plus d’autorisation israélienne pour livrer de l’aide humanitaire dans le nord de l’enclave assiégée.