Cinq questions pour mieux comprendre la lourde défaite électorale d’Erdogan en Turquie

Le président turc Recep Tayyip Erdogan et son parti islamo-conservateur AKP ont subi une lourde défaite lors des élections municipales, dimanche. Istanbul, Ankara, Izmir, Adana, Antalya… le parti d’opposition social-démocrate CHP a fait carton plein dans les plus grandes villes du pays, dont Bursa, vue comme un fief conservateur, ainsi que dans plusieurs autres provinces d’Anatolie considérées comme acquises au pouvoir. Que signifient ces résultats pour la Turquie d’Erdogan? Éléments de réponse avec le professeur en politique internationale Dirk Rochtus (KU Leuven).

Pourquoi ces élections municipales turques sont-elles considérées comme un échec pour le président Erdogan?

“Parce que son parti, l’AKP, a subi une lourde défaite inattendue. Alors qu’on avait prédit une course au coude-à-coude entre l’AKP conservateur d’Erdogan et le parti d’opposition CHP (social-démocrate, ndlr), ce dernier l’a nettement emporté. En particulier dans les grandes villes, avec même 60% des voix dans la capitale politique Ankara. Mais c’est à Istanbul qu’on a recensé la victoire la plus significative. Erdogan, qui y a été maire (de 1994 à 1998, ndlr), avait misé sur cette ville. De plus, en raison de son importance touristique et économique, Istanbul est le cœur battant de la Turquie. Et avec plus de 15 millions d’habitants, presque un cinquième de la population turque totale y réside. C’est là que le CHP a obtenu une avance de plus de 10% (51,1% contre 39,6% pour l’AKP, ndlr). L’AKP a même perdu du terrain dans la campagne turque – en Anatolie – où le parti d’Erdogan était traditionnellement fort. Cette fois-ci, il a également été battu par le CHP là-bas.”

Comment expliquer cette victoire de l’opposition?

“Sans aucun doute, la situation économique désastreuse actuelle en Turquie, pour laquelle Erdogan semble être largement tenu responsable. L’inflation a atteint un niveau record de 67%. La moitié de la population doit vivre avec le salaire minimum (environ 530 euros par mois, ndlr). Et le Turc moyen a de plus en plus de mal à s’en sortir, alors qu’Erdogan fait peu ou rien contre cela. Il a à peine osé toucher aux taux d’intérêt ces dernières années. Mais en ne prenant pas de mesures, l’inflation continue évidemment d’augmenter davantage. Outre cette impasse économique, le parti d’Erdogan s’est également trouvé confronté à la concurrence du nouveau parti islamique ‘Parti de la Prospérité Nouvelle’, qui vient d’être créé et qui a obtenu 6% des voix, enlevant sans doute des voix à Erdogan. Est-ce que le tremblement de terre de février 2023 (qui a fait au moins 53.537 morts officiellement, ndlr) a joué un rôle dans ce résultat électoral? Cela n’a certainement pas aidé l’AKP. D’autant plus que la tête de liste de l’AKP à Istanbul pour ces élections était Murat Kurum. Au moment du séisme, il était encore le ministre turc de l’Urbanisation. C’est pourquoi il a été associé à l’architecture déficiente, non sécuritaire et aux barons de la construction négligents en Turquie.”

La position d’Erdogan va-t-elle rapidement se fragiliser?

“Pas immédiatement. De toute façon, il restera président jusqu’aux nouvelles élections présidentielles de 2028. Sa réaction surprenante de perdant fair-play doit être vue sous cet angle. Beaucoup trouvent remarquable qu’il reconnaisse la victoire du CHP, mais Erdogan n’avait presque pas d’autre choix. Et en même temps, il réalise sans doute qu’il apparaît ainsi positivement aux yeux de la population turque. En ‘respectant la volonté de la nation’, il apparaît généreux, et cela ne peut que l’aider en vue des élections présidentielles de 2028. Il a déjà dit qu’il ne se présenterait plus, mais franchement, j’ose en douter. Sans Erdogan, l’AKP s’effondrerait comme un soufflé. Personne au sein de ce parti n’a le même charisme qu’Erdogan.”

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Qui est maintenant le plus grand adversaire politique d’Erdogan?

“Un adversaire redoutable s’est déjà manifesté en la personne d’Ekrem Imamoğlu. Il est actuellement maire d’Istanbul et est en outre un politicien très charismatique et dynamique. En tant que figure de proue du CHP, cette victoire électorale ne fera que le rendre encore plus populaire, tandis que son parti aura encore quatre ans pour continuer à se ressourcer et se rajeunir. Je m’attends donc à ce que, lors des élections de 2028, Imamoğlu soit le principal challenger du poste de président. À condition qu’aucun bâton ne lui soit mis dans les roues d’ici là: il a récemment été déjà traîné en justice car il aurait insulté un comité électoral.”

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Et qu’en est-il de la population turque?

“Aussi surprenants que soient les résultats des élections, ils influencent presque exclusivement l’équilibre des forces politiques en Turquie. Cela n’aura que peu ou pas d’effet sur la vie quotidienne. Pour le citoyen turc ordinaire, le malaise économique risque de persister, si Erdogan continue à faire comme d’habitude. À moins que l’AKP, à la suite de cette défaite électorale, ne décide de prendre un virage économique radical.”

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