« L’Afrique ne doit pas rater le virage de la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU »

Le Point Afrique : Sous quelle forme la question de la représentation de l’Union africaine va être abordée lors du sommet des chefs d’État ?

Parfait Onanga-Anyanga : L’Afrique est le continent le moins représenté au sein des institutions qui ont émergé à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Nous sommes désormais au XXIe siècle et cette injustice historique persiste car la majorité des États africains n’étaient pas présents lors de la conférence de San Francisco où est née l’ONU en 1945. La réforme qui est intervenue en 1965 a seulement permis l’élargissement du nombre de membres non-permanents au sein du Conseil de sécurité, qui a la primauté du maintien de la paix et de la sécurité dans le monde. Au sein de l’Union africaine (UA), règne un fort sentiment qu’il faut remédier à cette situation. C’est ainsi qu’a été établi un Comité de dix pays (C-10), avec la mission de porter le plaidoyer pour une représentation équitable de l’Afrique au sein du Conseil de sécurité et de la communauté internationale, mais aussi de mener des consultations sur le continent afin de parvenir à un consensus sur l’option la plus appropriée.

La majorité des questions du Conseil de sécurité portent sur l’Afrique, qui doit également prendre sa juste place à la table de décision. La bonne nouvelle, c’est qu’un consensus partagé par l’ensemble des grandes puissances est en train d’émerger pour aller vers ces réformes. De leur côté, les États membres de l’UA se sont accordés pour réclamer au moins deux postes de membres permanents au Conseil de sécurité, ainsi que cinq membres non-permanents. L’article 23 de la Charte des Nations unies ne prévoit pas une telle représentation régionale. Cependant, en raison de la singularité de l’histoire contemporaine africaine, le continent demande cette exception. Cette revendication pour une meilleure représentation porte enfin sur la totalité des instances internationales, y compris sur le plan de la gouvernance économique et financière.

Quelles avancées à ce sujet pourraient être décidées à l’issue du sommet ?

Le sommet ne statuera pas particulièrement sur la question de la réforme du Conseil de sécurité, mais il recevra le rapport du président du Comité des Dix. Cette fonction est actuellement assurée par le président de la Sierra Leone, Julius Maada Bio, qui va présenter aux chefs d’État les conclusions des consultations menées et la réaffirmation de la position commune africaine sur la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU, évoquée lors d’un sommet en Guinée équatoriale en novembre dernier. Les chefs d’État vont probablement renouveler leur confiance à ce comité et demander qu’il poursuive ses efforts en vue de faire valoir tous les mérites de la position africaine. La communauté internationale a tout intérêt à ce que cet organe, le Conseil de sécurité, devienne moins anachronique en s’assurant que toutes les régions soient représentées, singulièrement l’Afrique, quelle que soit l’option adoptée. L’enjeu c’est d’éviter une fragmentation plus accrue de l’ordre mondial et de renforcer le multilatéralisme.

Pour l’UA elle-même, pourquoi est-il si important d’être mieux représentée sur la scène internationale ?

L’Afrique est constituée d’un grand groupe de 54 pays reconnus par les Nations unies. D’ici 2050, elle devrait devenir la région la plus peuplée au monde. Elle est, en outre, dotée d’une jeunesse très dynamique qui demande de plus en plus à prendre part aux décisions qui la concerne, mais aussi aux choix mondiaux. L’UA a adopté un certain nombre de cadres normatifs qui témoignent de sa volonté d’apporter « des solutions africaines aux problèmes africains », c’est-à-dire de prendre part aux questions qui l’affectent. Malgré les énormes difficultés qu’il rencontre, ce continent a l’avenir devant lui et ne peut donc pas demeurer exclu de la prise de décisions.

L’organisation mondiale doit mieux refléter la multipolarité grandissante du monde. Dans ce contexte, les questions d’équité et de démocratie constituent des garanties de stabilité. L’Afrique doit, par conséquent, avoir voix au chapitre en apportant sa contribution non plus uniquement sur les sujets qui la concerne, mais également sur les thématiques transversales tels les pandémies, le terrorisme ou encore le changement climatique. La communauté internationale reconnaît bien qu’aucun pays ni aucune région ne peuvent à eux seuls résoudre les grands enjeux de ce monde. Alors, à la table de la grande famille de l’humanité, il faut s’assurer que l’Afrique apportera dorénavant sa contribution.

Qu’est-ce qui a empêché pour l’heure une meilleure représentation de l’UA ?

Je crois que c’est essentiellement l’Histoire. La majorité des pays africains ont acquis leur souveraineté dans les années 1960. Depuis, la marche vers l’autonomisation et l’intégration s’est organisée d’abord au sein de l’Organisation de l’unité africaine, puis avec la création de l’UA en 2002. Un cadre normatif aussi important que l’Agenda 2063 a pu être adopté avec une volonté affichée de prendre son destin en main. Cela passe évidemment par une représentation plus responsable et plénière. En bonne observatrice des négociations et des délibérations sur l’échiquier mondial, l’Afrique propose souvent des positions communes sur de nombreux sujets internationaux. Et pour cause, dans un contexte de compétition entre les grandes puissances, la jeunesse relative des États africains ne leur donne pas individuellement assez de poids sur la scène internationale.

À ce titre, la question de l’intégration régionale via l’UA s’apparente à une question de survie pour espérer obtenir une meilleure représentation, une meilleure représentativité et une meilleure prise en compte. Il n’y a pas d’autre option que de se serrer les coudes et d’accroître la capacité à négocier du continent avec les autres parties du monde. Il est impératif de traiter ainsi l’Afrique comme un cas particulier. D’autant que cette région est souvent exposée aux chocs résultant des grands bouleversements mondiaux auxquels elle ne contribue pas forcément. L’exemple le plus parlant, ce sont les effets pervers du réchauffement climatique, alors même que le continent ne produit que 2 à 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

Environ 60 % des conflits de la planète se déroulent en Afrique : quels moyens de prévention et de résolution l’UA pourrait mettre en place si elle obtenait un siège permanent au conseil de sécurité de l’ONU ?

L’UA n’a pas attendu d’être représentée en tant que membre permanent du Conseil de sécurité pour instaurer un dispositif normatif ambitieux pour la promotion de la paix et la sécurité, la démocratie et la gouvernance, les droits de l’homme? en Afrique. Les cadres normatifs foisonnent, que ce soit au sein de l’UA ou des organisations économiques régionales. Le continent dispose, par ailleurs, d’outils remarquables pour essayer d’endiguer les conflits. Mais force est de constater que cela reste une entreprise extrêmement compliquée dans un contexte où les processus internes de construction des États sont toujours en cours. L’Afrique a toutefois enregistré des progrès considérables en dépit de l’actuelle marche à reculons avec la multiplication des changements anticonstitutionnels ? qui sont souvent hélas de graves déficits de gouvernance ? et des conflits sur le continent.

Depuis 2017, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, et le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki, ont adopté un cadre de coopération renforcée sur les questions de paix et de sécurité en Afrique. Depuis, les deux instances ont entrepris d’associer leurs analyses, leurs démarches et leurs visites sur le terrain. Les deux dirigeants se retrouvent au moins trois fois par an pour échanger sur ces sujets. Depuis le mois de novembre, un nouveau mécanisme de coordination dans le domaine des droits de l’homme a été adopté pour renforcer davantage les actions menées par l’ONU et l’UA dans la prévention et la gestion des crises, tout en consolidant la paix dans les pays où elle a malheureusement été rompue.

Et puis, la représentation est une chose. Il faut également démocratiser les méthodes de travail. Dans l’idéal, il faudrait tendre vers une utilisation parcimonieuse du droit de véto en décourageant son usage, surtout lorsqu’il s’agit de situations où des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité sont en train d’être commis. Tant que ce droit existera, tout nouveau membre permanent du Conseil de sécurité devra néanmoins en disposer. Il y a enfin une nécessité d’aller vers une plus grande transparence dans le travail du Conseil de sécurité, y compris concernant les pays à son ordre du jour. L’héritage fait que les anciennes puissances coloniales sont encore un peu à l’initiative dans la rédaction des résolutions se rapportant à la paix et à la sécurité des pays africains. Ces États participent toutefois de plus en plus à la co-rédaction de résolutions. Le moment viendra où ces nations, mieux préparées et mieux outillées, seront à l’initiative des décisions qui visent directement leur région.

En quoi le Sommet pour le futur, qui aura lieu en septembre prochain, constitue une opportunité à ne pas manquer pour permettre à l’Afrique de mieux faire entendre sa voix au sein des instances internationales ?

L’Afrique sera certainement la grande bénéficiaire d’un monde multilatéral plus intégré, plus juste, plus équitable, qui prend soin des préoccupations de tous les membres de la communauté internationale et s’efforce de ne laisser personne à la traîne. Elle a la volonté de prendre sa part dans la construction de ce nouveau monde. Dans le passé, le continent n’était pas associé à la prise de décisions qui façonnaient pourtant le monde et avaient des conséquences directes sur son propre destin. Ce Sommet de l’avenir devrait permettre de bâtir un nouveau pacte sur la paix et la sécurité, le développement durable, les sciences, la technologie et l’innovation, la révolution de l’intelligence artificielle, la jeunesse? Toutes ces questions sont inscrites à l’agenda de ce rendez-vous auquel le secrétaire général de l’ONU contribue depuis plusieurs années.

C’est un processus qui doit être inclusif, dans lequel les femmes et les jeunes doivent prendre toute leur place. Ce pacte pour le futur constituera une déclaration politique d’importance qui permettra d’amorcer cette transition vers un XXIe siècle doté d’institutions à la mesure des enjeux de notre monde. L’Afrique ne peut pas se permettre de rater ce virage. Nous espérons que la communauté internationale saura apporter une réponse équilibrée qui consolidera les instances de gouvernance internationale, rendra justice aux régions les moins représentées et redonnera espoir à cette humanité qui n’a que trop souffert. Nous sommes embarqués dans la même barque secouée par des vents puissants venus de toutes les directions. Il n’est plus possible de limiter les réponses aux intérêts de quelques grandes puissances qui forment une minorité démographique.

On vit dans un monde où la perspective de recours aux armes nucléaires est de nouveau revendiquée et on assiste, impuissants, à la sophistication de ces engins de destruction massive : c’est ahurissant ! L’humanité a besoin de marquer une pause pour amorcer un saut qualitatif et c’est précisément ce que propose ce Sommet de l’avenir. Les consultations d’ores et déjà amorcées par la Namibie et l’Allemagne consacrent une approche holistique de la prise en charge des défis actuels, car toutes ces questions sont interconnectées. Aujourd’hui, nous disposons de connaissances pointues dans tous les domaines clés. Il faut maintenant aller vers des décisions et des recommandations très concrètes. Le secrétaire général de l’ONU et l’ensemble de la famille onusienne sont déterminés à obtenir des résultats à la hauteur des enjeux majeurs de notre temps dont dépend largement l’avenir des générations futures.

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