Comment Mayotte est devenue un territoire d’exception en France pour le droit des étrangers
Le ministre de l’Intérieur français a annoncé la suppression à venir du « droit du sol » à Mayotte. Une réforme qui devra passer par une révision constitutionnelle. Mais cette annonce consacre le fait que l’île, qui a pourtant un statut de département, a toujours été l’objet d’un traitement différent de l’Hexagone, et même des autres départements d’Outre-mer.
Gérald Darmanin a annoncé, ce dimanche 11 février, une révision constitutionnelle pour supprimer le « droit du sol » à Mayotte. Il a également indiqué un durcissement des conditions du regroupement familial. Des déclarations qui actent une fois de plus le traitement différencié réservé au 101e département français. Et qui viennent même le renforcer, souligne Marie-Laure Basilien-Gauche, professeur de droit constitutionnel, au micro d’Adrien-Guillaume Padovan. « Mayotte est déjà un département mis à part avec des règles dérogatoires, des régimes exceptionnels qui viennent limiter les droits des migrants. Une telle loi poserait un très gros problème du point de vue de l’indivisibilité de la République », s’inquiète-t-elle.
La mesure est « radicale », concède le ministre, mais elle « coupera littéralement l’attractivité » de l’archipel mahorais. Le petit territoire de l’océan Indien est confrontée à une forte pression migratoire, venue essentiellement des Comores, mais aussi de la région des Grands Lacs, qui accentue les difficultés économiques et sociales du plus pauvre des départements français. Rendant la situation explosive.
Ces annonces, que des collectifs de Mahorais appelaient de leurs vœux, ont donc été saluées à droite et à l’extrême-droite, tandis que la gauche a exprimé son inquiétude. Car ce n’est pas la première mesure exceptionnelle annoncée par Paris pour tenter de régler les problèmes de l’île. Au fil des années, l’État a progressivement durci sa politique migratoire, en multipliant les exceptions. « Le droit des étrangers a toujours été différent à Mayotte, explique l’économiste Antoine Maths, qui a travaillé sur les politiques économiques et sociales dans l’île. Après, en tant que département français, Mayotte a dû se rapprocher des règles de droit de la République unie et indivisible, du reste de la France et même des autres départements d’outre-mer, mais on a maintenu, et même à un moment introduit, des distinctions. »
Une histoire particulière
Pour mieux comprendre, il faut rappeler l’histoire de l’île. Au début des années 1970, Mayotte fait partie de l’archipel des Comores, alors territoire d’Outre-mer français ayant acquis une certaine autonomie après avoir été une colonie. En 1974, les Comores organisent une consultation d’autodétermination. Si globalement, l’archipel se prononce en faveur de son indépendance, Mayotte vote, elle, pour rester dans la République française. En dépit du droit international qui dit que la décolonisation doit se faire dans le respect de l’intégrité territoriale, la France choisit de tenir compte des résultats à Mayotte séparément. La communauté internationale n’a d’ailleurs jamais reconnu le rattachement de l’île à la France.
À partir de là, la situation se complique : les Comores sont l’un des pays les plus pauvres au monde, régulièrement en proie à l’instabilité. Mayotte devient donc attractive et sa population augmente. En même temps, si Mayotte s’est « séparée » des Comores, elle a conservé des liens forts – familiaux, commerciaux – avec les autres îles.
Dès 1995, la France met donc en place le « visa Balladur », réservé aux Comoriens qui veulent se rendre à Mayotte. Destiné déjà à freiner l’immigration, il est particulièrement difficile à obtenir. Les traversées clandestines augmentent. La départementalisation de l’île, en 2011, va encore accentuer le phénomène. Et si la législation de Mayotte a dû s’aligner sur les lois de la République, ses habitants sont toujours loin de bénéficier des mêmes droits.
Des dérogations acceptées par le Conseil constitutionnel
Jusqu’à toucher aux fondamentaux de la République. En 2018, la loi asile et immigration restreint le droit du sol à Mayotte. Dans l’Hexagone, si un enfant nait de parents étrangers, pour obtenir la nationalité française à ses 18 ans, il doit avoir habité en France pendant au moins cinq ans depuis l’âge de 11 ans. On est donc déjà loin du « droit du sol » stricto sensu qui voudrait qu’un enfant né sur le territoire français soit automatiquement français. Et pour un enfant né à Mayotte de parents étrangers, c’est encore plus compliqué : il faut désormais ajouter à ces conditions de résidence, la preuve que l’un de ses parents séjournait régulièrement sur le territoire français depuis au moins trois mois avant sa naissance. Mayotte bénéficiait donc déjà d’un « droit du sol » sur-mesure.
Des exceptions concédées par la Constitution française, qui prévoit que des adaptations puissent être faites « en fonction des caractéristiques et contraintes particulières de ses collectivités d’Outre-mer ». « Le Conseil constitutionnel accepte que certains territoires de la République, et en particulier des territoires d’Outre-mer, fassent l’objet de droits dérogatoires, dès lors que la dérogation est justifiée par la situation particulière, mais aussi un intérêt général, précise Lisa Carayon, maitresse de conférence en droit et membre de la Cimade, qui vient en aide aux personnes migrantes, au micro d’Amélie Beaucour. C’est parfois pour accorder des droits plus importants à certains territoires. Par exemple, certains délais de procédure sont rallongés en Guyane pour prendre en compte les différences de circulation que rencontrent les citoyens du territoire. Ou pour prendre en compte des situations culturelles particulières. »
Autre dérogation, plus ancienne encore, mais qui serait supprimée, a promis Gérald Darmanin, si le droit du sol était aboli à Mayotte : les « titres de séjour territorialisés ». Alors qu’un titre de séjour obtenu en métropole permet à un étranger d’aller et venir partout sur le territoire, un titre de séjour délivré à Mayotte n’est valable que dans l’île. Pour voyager dans l’Hexagone, il faut donc un visa. Un dispositif « qui condamne près de 40 000 personnes à se maintenir sur un territoire qui n’a rien à leur offrir », regrette Marjane Ghaem, avocate, membre du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti).
Et on peut citer encore d’autres différences avec le droit hexagonal : délais plus courts pour les demandes d’asile, absence de recours en cas d’obligation de quitter le territoire français (OQTF)… La loi de 2018 a aussi restreint la carte donnant la possibilité à un étranger mineur de voyager aux seuls enfants nés à Mayotte.
Le projet de loi immigration, adopté en janvier, prévoyait également de durcir les conditions d’accès à la nationalité à Mayotte – il aurait fallu justifier d’un an de titre de séjour au lieu des trois mois – en étendant cette disposition à la Guyane et à Saint-Martin. « Elle a été censurée par le Constitutionnel, note Lisa Carayon, pas sur le fond, mais sur le fait que ces dispositions étaient ce qu’on appelle un « cavalier législatif », c’est-à-dire qu’elles n’avaient pas suivi une procédure correcte au regard de leur adoption. »
Mais le droit des étrangers et l’accès à la nationalité n’est pas le seul domaine pour lequel les lois différent avec la métropole. Les minimas sociaux, comme les prestations sociales ne sont pas les mêmes dans l’île, le RSA ou le SMIC horaires par exemple, sont plus faibles.