Fatou Dyana Ba, Directrice du Bureau de mise à niveau des Entreprises: «Nous avons contribué à l’émergence de champions nationaux»

À la tête du Bureau de mise à niveau des entreprises (Bmn) depuis deux ans, Fatou Dyana Bâ fait, dans cet entretien, le bilan de 20 ans d’accompagnement des entreprises, au nombre de 800, avec plus de 34 milliards de FCfa de primes octroyées. Elle évoque aussi les défis dans un contexte marqué par l’exploitation des hydrocarbures et la mise en œuvre de la Zlecaf. 

Propos recueillis par Ibrahima Khaliloullah NDIAYE 

Le Bureau de mise à niveau (Bmn) célèbre, cette année, ses 20 ans d’existence. Quel bilan en tirez-vous ? 

Le Programme de mise à niveau a été lancé au Sénégal en 2004 ; ce qui constituait une première en Afrique subsaharienne. Il a beaucoup évolué depuis le démarrage : d’un programme initial destiné aux grandes entreprises, nous avons revu progressivement nos procédures pour aller vers la grande masse des Pme qui constituent 99 % de notre tissu économique. Ceci nous a permis d’embrasser plus large. Si nous étions, au démarrage, principalement concentrés sur des entreprises de la capitale, nous avons, à la faveur de certains programmes, déconcentré nos activités et sommes actuellement présents sur l’ensemble du territoire.

Concernant les résultats, nous pouvons dire que le bilan est largement positif, avec des impacts appréciables en termes d’investissements privés et de croissance dans des secteurs stratégiques comme l’industrie, la production et la transformation du riz, le tourisme- hôtellerie, le secteur de la boulangerie, etc. Nous sommes très satisfaits puisque l’accompagnement du Bmn a contribué à l’émergence de champions nationaux avec des entreprises qui font notre fierté. Nous pouvons citer la Sedima, la Laiterie du Berger, Les Mamelles Jaboot, l’hôtel Terrou-Bi, l’hôtel Kadjadoumagne à Ziguinchor…

Au total, plus de 800 entreprises ont été accompagnées depuis notre démarrage. Nous leur avons octroyé 34 milliards de FCfa de primes, dont plus de 25 milliards de FCfa déjà décaissés. Ce sont également des investissements de l’ordre de 135 milliards de FCfa réalisés par les entreprises. Il faut souligner que le Programme de mise à niveau concourt à stimuler l’investissement privé national avec un effet de levier. Sur le volet de la création d’emplois, nous sommes en moyenne sur des taux allant de 15 à 30 % et même parfois au-delà sur des secteurs où il y a une forte intensité de main-d’œuvre.

Comment se décline l’accompagnement du Bmn ? 

Le schéma démarre par un diagnostic fait au sein de l’entreprise pour nous assurer qu’elle est d’abord éligible. Ensuite, nous l’aidons à identifier ses points faibles et les leviers de croissance sur lesquels elle peut s’appuyer pour s’améliorer. C’est ce qu’on appelle l’appui technique qui consiste en un diagnostic des différentes fonctions de l’entreprise. À l’issue de cette phase, nous voyons comment améliorer tous ces aspects et aider l’entreprise à gagner en compétitivité et aller à un niveau supérieur. Cela passe par ce qu’on appelle un plan de mise à niveau qui est proposé à l’entreprise. C’est un plan d’investissement pour corriger les imperfections. Il est composé d’investissements à réaliser aussi bien sur le plan matériel qu’immatériel. L’entreprise va disposer d’un délai pour réaliser son projet d’investissement. C’est là où interviendra le deuxième aspect de l’accompagnement du Bmn, à savoir l’aspect financier. Il faut préciser que nous ne sommes pas une structure qui fait du financement, mais nous accompagnons les entreprises pour qu’elles puissent lever des financements en mettant à leur disposition des primes.

Quels sont les critères d’éligibilité auxquels vous faites allusion ? 

Nous avons la mise à niveau pour les grandes entreprises ou mise à niveau globale, et la mise à niveau pour les Pme. Un des critères est d’être en activité, d’être formellement constitué, d’avoir donc un registre de commerce, un Ninea en bonne et due forme. Il faut également que l’entreprise soit dans un secteur éligible. Ce sont-là des critères mis en place pour nous assurer d’accompagner le secteur productif de l’économie allant de l’industrie au tourisme en passant par l’hôtellerie, le transport, les Btp, les Tic. Ne sont pas éligibles : les entreprises évoluant dans des activités de négoce, de commerce, d’export/import, de services financiers. Un autre critère d’éligibilité est le niveau du chiffre d’affaires. Nous accompagnons les entreprises qui ont moins de 30 milliards de FCfa de chiffre d’affaires pour le plafond haut. Pour le plancher, il n’y a pas de minimum défini. Il faut aussi au moins une année d’activité pour les Pme et au moins deux ans pour les entreprises qui ont plus de 500 millions de FCfa de chiffre d’affaires.

Quid de l’appui non financier aux entreprises ? 

Nous avons abordé l’appui technique du Bmn qui débouche souvent sur un plan d’investissement. Il y a les investissements matériels et immatériels. Pour tout ce qui est immatériel, c’est l’assistance technique qui concourt à accompagner l’entreprise dans son projet de développement. Ce sont des investissements consentis, très souvent difficilement, par les entreprises puisque relevant de l’assistance technique, des missions de conseil minimisées un peu par celles-ci. Elles sont donc suppléées par le Bmn qui appuie beaucoup sur ce volet. Ce ne sont pas souvent des questions d’équipements, mais plutôt d’organisation, de formation et de certification sur lesquelles il faut agir. C’est ce que nous appelons les actions immatérielles et qui peuvent également relever de la mise en place de manuels de procédures, de l’acquisition d’outils de gestion, de logiciels, mais aussi d’assistance sur le plan marketing… L’accompagnement du Bmn est très important à ce niveau puisque nous prenons en charge 70 % du montant de ces investissements pour les pousser à réaliser ces types d’investissements qui concourent fortement à l’amélioration de leur compétitivité.

Comment comptez-vous accompagner les entreprises sénégalaises à capter les retombées du contenu local dans le pétrole et le gaz? 

Nous avons effectivement des entreprises qui ont cette ambition de se développer dans le cadre de l’exploitation du pétrole et du gaz. Elles souhaitent avoir des marchés de sous-traitance pour travailler pour les grandes entreprises pétrolières et gazières qui s’installent au Sénégal.  Nous en avons dans notre portefeuille et elles sont dans des activités de laboratoire et de métrologie et proposent des services au secteur pétrolier et gazier qui nécessite beaucoup de précision. Elles nous ont sollicités pour avoir plus d’équipements et de formation. Nous avons d’autres entreprises qui sont dans la métallurgie et la mécanique et qui ont senti la nécessité de se mettre à niveau pour pouvoir répondre aux exigences de ce secteur.

Comment s’articule la mise à niveau des entreprises avec les priorités économiques du Gouvernement ? 

Dans les orientations stratégiques du Bmn, nous veillons à nous aligner sur les orientations et politiques publiques de l’État en termes de structuration de l’économie. Ainsi, en 2012-2013, nous nous sommes alignés sur les axes définis par la Stratégie de croissance accélérée et actuellement, nous sommes alignés sur les ambitions et projections du Plan Sénégal émergent (Pse). Cela veut dire que nos orientations sont d’aller vers la souveraineté économique et alimentaire, mais aussi dans le sens d’une plus grande industrialisation. De même, développer notre production locale, notamment celle agricole, et aller vers plus de transformation. Notre portefeuille est fortement dominé par les entreprises qui sont dans des activités de transformation de produits locaux. Nous avons plusieurs projets et programmes qui ont trait à ce volet agricole, particulièrement dans la production et la transformation. Nous pouvons citer le cas du programme Provale-Cv, mais également du projet des Agropoles. Nous avons des conventions en cours avec le Programme national des Agropoles, surtout avec l’Agropole sud et le programme Agropole centre. Nous avons aussi énormément travaillé sur la chaine de valeur riz. Si nous prenons la zone nord, nous avons accompagné une cinquantaine d’entreprises dans la production, la transformation et la valorisation de cette céréale. Nous sommes satisfaits de ces appuis qui nous ont permis d’augmenter les niveaux de production de ce produit tant prisée dans notre pays. Notre ambition est de faire davantage et d’atteindre l’autosuffisance en riz et tous les autres produits concernés. Nous intervenons, en outre, dans le secteur de la boulangerie pour aider les acteurs à améliorer leurs outils de production, à être plus compétitifs et à faire face aux cours mondiaux du blé.

L’autre axe de vos interventions concerne l’efficacité énergétique. Quelles sont vos réalisations dans ce domaine ? 

Depuis 2010, le Bmn a intégré dans ses interventions le volet de la production propre avec une mise en exergue de tout ce qui est efficacité énergétique et préservation de l’environnement. C’est pour accompagner les entreprises à prendre en compte ce volet en les appuyant pour une production moins nocive pour l’environnement. Nous avons ainsi appuyé une dizaine d’entreprises pour des investissements dans le cadre de l’efficacité énergétique, mais aussi en les incitant à aller vers des investissements comme des moteurs à haut rendement qui réduisent la consommation énergétique, mais aussi des systèmes de traitement d’air ou encore la mise en place du système d’énergie solaire, une énergie verte.

Comment comptez-vous aider les entreprises nationales à tirer profit de la Zlecaf ? 

Le fil conducteur de la mise à niveau reste la compétitivité. Quand nous parlons de la Zlecaf (Zone de libre-échange continentale africaine), cela veut dire que nous allons nous retrouver dans un marché ouvert avec plus de 1,2 milliard de consommateurs. Ceci peut être vu comme une opportunité pour nos entreprises, mais également une menace puisqu’elles devront compétir avec d’autres sans protection douanière. Elles seront confrontées à des entreprises qui ont des avantages que nous n’avons pas. L’idée, c’est d’accompagner nos entreprises pour les armer face à cette concurrence. En quoi faisant ? Nous devons les outiller et les aider à acquérir des équipements performants, les former et les appuyer, afin que, sur le plan des coûts de production, elles puissent les réduire. L’autre point, c’est qu’elles puissent accéder à d’autres marchés puisque nous avons au moins 50 % de nos échanges commerciaux qui concernent le marché africain. Il convient donc de renforcer ces potentialités du marché africain, pour que nos entreprises tirent leur épingle du jeu.

SOURCE LESOLEIL

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