France: face à la fronde, le gouvernement repousse sa réforme de l’agriculture

Rattrapé par la fronde des agriculteurs, le gouvernement a décidé, dimanche 21 janvier, de reporter « de quelques semaines » son projet de loi sur l’agriculture, pour répondre à la demande de « simplification » du secteur, alors que manifestations et blocages se poursuivent dans les campagnes.

À trois jours du Conseil des ministres où il devait présenter un projet de loi promis de longue date « en faveur du renouvellement des générations en agriculture », le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau a acté son report.

« Donnons-nous quelques semaines », a déclaré le ministre de l’Agriculture au « Grand Jury » RTL/Paris Première/M6/Le Figaro, précisant que l’objectif était de voir le texte débattu au Parlement « au premier semestre 2024 ». Marc Fesneau a justifié ce délai afin d’ajouter « un paquet de simplification » aux mesures déjà annoncées pour faciliter l’installation de nouveaux chefs d’exploitations.

Marc Fesneau a promis de lutter contre le « sentiment de déclassement » des agriculteurs, trop souvent en proie à des « injonctions » contradictoires, notamment liées aux règles européennes, tout en appelant chacun « à la responsabilité ». Prenant acte d’un « moment d’exaspération » avec la multiplication des manifestations de colère dans les campagnes, le ministre a assuré « être au côté des agriculteurs » face à une triple crise, de confiance avec la société, de la norme notamment européenne et du modèle agricole face au dérèglement climatique.

« On a une crise qui vient d’abord de l’Europe. Ça a commencé aux Pays-Bas, puis en Allemagne, en Pologne […]. Il y a une forme de crise de foi des agriculteurs. Ils n’y croient plus. Ils ont le sentiment qu’on leur donne des injonctions, celle de produire plus, des produits de qualité, mais pour lesquels il n’y a pas la rémunération » suffisante, a-t-il dit. « C’est une crise de la norme, européenne ou nationale. La “surnormation” […] produit de l’exaspération. Il y a parfois aussi une exaspération [liée à] la crise du modèle. Je pense à l’Occitanie, où le dérèglement climatique pose des problèmes profonds », a ajouté le ministre de l’Agriculture.

Élections européennes

En disant vouloir compléter son projet de loi d’un volet « simplification » des règles, le ministre de l’Agriculture répond à l’une des plaintes des agriculteurs. Premier signe d’apaisement face à une situation périlleuse. Si pour le moment, une autoroute est bloqué depuis 5 jours dans la région de Toulouse, l’exécutif craint la transformation du mouvement en manifestations massive dans les grandes villes, comme en Roumanie ou en Allemagne.

L’enjeu politique est énorme à six mois d’élections européennes, promise à une victoire de l’extrême droite française dans un contexte d’hostilité croissante aux politiques agricoles vertes.  À droite, le patron des députés Les Républicains Olivier Marleix dit soutenir les actions de blocages.La tête de liste Rassemblement nationale aux Européennes, Jordan Bardella, lui, est allé dès samedi défendre la patriotisme économique devant des viticulteurs en Gironde.

À gauche aussi, le vote agricole est courtisé. La cheffe des députés insoumis Mathilde Panot dit partager les revendications sur les revenus trop faibles, tout comme le leader communiste Fabien Roussel.

Les raisons de la colère des agriculteurs en France

Depuis l’automne, la grogne s’amplifie : parti du Tarn, un mouvement, pacifique, de retournement des panneaux signalétiques des communes, a essaimé partout en France. Une façon de dire qu’« #OnMarcheSurLaTête », slogan repris de Narbonne à la frontière belge. Le ton s’est durci ces derniers jours avec, depuis jeudi soir 18 janvier en Occitanie, le blocage de l’autoroute A64 mais aussi des rassemblements devant administrations ou sur des ronds-points rappelant la fronde des « gilets jaunes ». 

Des règles et des normes de plus en plus lourdes

« La pénibilité physique a laissé peu à peu la place à une pénibilité morale qui est due notamment à l’édiction de règles et de normes de plus en plus lourdes à supporter (…) à un moment donné la coupe déborde », a lancé samedi Étienne Gangneron, président de la chambre d’agriculture du Cher au ministre de l’Agriculture Marc Fesneau. Les syndicats dénoncent la lenteur du gouvernement à mettre en œuvre la « simplification » administrative promise. « Les agriculteurs qui nous appellent ne savent même plus ce qu’ils ont le droit de faire ou non » et ne se sentent « pas accompagnés comme il faut face aux défis climatiques, géopolitiques et sanitaires », a déclaré à l’AFP Véronique Le Floc’h, présidente de la Coordination rurale, deuxième syndicat agricole. Ces contraintes, auxquelles s’ajoutent des indemnisations jugées « trop tardives » pour des filières en crise (viticulture, élevage), ruinent « l’attractivité » dont le secteur a besoin pour renouveler ses chefs d’exploitations vieillissants.

   
Le rejet du « Pacte vert » européen

Si la France est la première bénéficiaire de la Politique agricole commune (PAC) avec 9 milliards d’euros d’aides par an, ses exploitants contestent avec la dernière énergie la stratégie de verdissement de l’agriculture européenne. Élément central du Pacte vert de l’UE, un projet législatif visant à réduire de moitié d’ici à 2030 l’utilisation des produits phytosanitaires chimiques (par rapport à la période 2015-2017), a été rejeté au Parlement européen fin novembre. Mais les agriculteurs, qui se sont réjouis du renouvellement de l’autorisation de l’herbicide controversé glyphosate, redoutent de voir le retour de ce projet et entendent peser avant les élections européennes de juin. Les agriculteurs français dénoncent aussi le refus de Bruxelles de prolonger en 2024 la dérogation permettant de mettre en culture les terres en jachère (environ 4 % des terres agricoles) alors que « la tension alimentaire provoquée par la guerre en Ukraine se poursuit ». 

Concurrence déloyale

« Le coût de l’énergie a explosé, les coûts des intrants ont augmenté, tout comme ceux de la main-d’œuvre ou de l’alimentation animale. La guerre en Ukraine perturbe les flux avec des importations énormes en Europe de céréales, de volaille ou de sucre. Ça perturbe toutes les filières, ça fait baisser les prix », a expliqué à l’AFP Christiane Lambert, présidente du Comité des organisations professionnelles agricoles de l’Union européenne. « On sert à nos enfants dans les cantines des aliments importés qu’on nous interdit de produire en France », a-t-elle affirmé. La négociation de traités de libre-échange (Mercosur) couplée à l’imposition de mesures restrictives nourrit l’exaspération, souligne-t-elle, même si les éléments déclencheurs sont différents : « la baisse du cheptel » aux Pays-Bas, la « taxation du carburant » en Allemagne.

Pesticides et carburant, des moyens de production

Malgré de bons rendements, la chute des cours et le maintien de charges élevées a fait baisser les revenus des céréaliers, qui estiment qu’on « va dans le mur » avec la nouvelle stratégie du gouvernement de réduction des pesticides Ecophyto 2030. « Pas d’interdiction sans solution » martèle la FNSEA, son mantra pour les pesticides, le partage de l’eau ou le relèvement progressif de la fiscalité sur le gazole non routier (GNR), « négocié en responsabilité » avec Bercy.

(Avec AFP)

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