Élections générales en RDC: où sont les femmes?

La République démocratique du Congo (RDC) élit son président ce 20 décembre 2023. Jamais une femme n’y a occupé cette fonction, ni celle de Première ministre ou n’a dirigé le Sénat (deuxième personnage de l’État). En RDC, la représentativité féminine en politique reste un souci majeur qui s’inscrit dans un problème plus global de droits des femmes, malgré les efforts entrepris ces dernières années.

De notre envoyé spécial à Kinshasa,

« Pas question ! Pas question de faire de la politique ! » Exaucée, 23 ans, n’oubliera jamais la réaction de ses parents quand elle leur a annoncé en 2018 qu’elle voulait s’engager. Surtout celle apeurée de sa mère. « À chaque fois qu’il y avait des marches et des activités de contestation, elle faisait des cauchemars, un ou deux jours avant », raconte aujourd’hui cette étudiante en médecine, qui fait partie de l’équipe de campagne de Martin Fayulu, l’un des principaux candidats à la présidentielle du 20 décembre 2023 en République démocratique du Congo (RDC). « Mon père, lui, m’a dit : « Je sais comment la barbarie caractérise la sphère politique congolaise. Je ne peux que t’accompagner mais je te demande d’y aller doucement ». »

Cinq ans plus tard, Exaucée écume le pays pour le compte du parti Engagement pour la citoyenneté et le développement (Ecide). Sa détermination reste intacte. Tout comme son envie de voir les mœurs évoluer. « Autour de moi, il n’y a pas beaucoup de femmes qui font de la politique, déplore-t-elle. Personnellement, à maintes reprises, j’ai fait face à des constructions sociales discriminatoires, selon lesquelles la place d’une femme est à la cuisine, qu’elle ne doit pas parler devant les hommes. En fait, une femme politique, c’est une femme libre et qui jouit d’une liberté de mouvement sans conditions ».

Cette liberté de vouloir agir, décider, elle se paie souvent au prix fort en RDC, selon Marie-Josée Ifoku. Comme en 2018, cette dernière sera également la seule femme en lice pour la présidentielle 2023, après le retrait d’une autre prétendante, Joëlle Bile. La patronne du mouvement Alliance des élites pour un nouveau Congo théorise : « Le système de gouvernance a été conçu dans l’esprit de compétition des muscles, terrain favorable des hommes. Violence verbale, ruse, jusqu’à la violence physique sur les plateaux de télévision et dans les cabinets politiques, ne sont pas le fort des femmes, qui préfèrent éviter au lieu de s’engager dans un combat avec les armes des autres. Écartées de l’éducation et soumises à des options fixées par la coutume, la jeune fille congolaise est déjà paralysée pour envisager entrer dans la politique. »

Une comparaison défavorable avec les pays voisins

Certains chiffres traduisent ce problème de représentativité en République démocratique du Congo. Surtout un : zéro, comme le nombre de femmes ayant dirigé le pays, le gouvernement ou le Sénat. Jusqu’à présent, seules deux femmes y ont été vice-Premières ministres (Élysée Munembwe Tamukumwe et Ève Bazaiba Masudi). Certes, des premières ont eu lieu ces dernières années, comme lorsque, en 2019, Jeanine Mabunda Lioko a pris la tête de l’Assemblée nationale.

Mais la RDC pâtit de la comparaison avec ses neuf voisins – Congo-Brazzaville excepté – où au moins une femme a déjà été chef de l’État, du gouvernement ou vice-présidente : la Tanzanie est par exemple dirigée par Samia Suluhu ; en Angola, Esperança Da Costa est l’actuelle vice-présidente de João Lourenço ; en Ouganda, Jessica Alupo occupe la même fonction.

Sur le terrain législatif, la situation n’est guère plus reluisante : d’après les données de l’Union interparlementaire (IPU), qui regroupe des représentants de parlements nationaux issus de 180 pays, avec 13,2% de députées, la RDC est loin en dessous de la moyenne mondiale (26,7%) et de l’Afrique subsaharienne (27,1%), très loin du Rwanda voisin (61,3% de députées).

Un problème plus global

Le faible engagement et/ou accès des femmes en politique s’inscrit cependant dans un contexte plus global de violences et de discriminations régulièrement dénoncées par structures interétatiques, organisations non gouvernementales ou de la société civile. Pour preuve, le très mauvais classement congolais dans différents baromètres, comme celui du Georgetown Institute for Women, Peace and Security (GIWPS), organisme fondé en 2011. La RDC y pointe au 174e rang « en termes d’inclusion, de justice et de sécurité des femmes », sur les 177 pays mesurés. Seule la Centrafrique, 175e, fait pire, sur le continent.

Elena Ortiz, responsable de recherches et auteure principale au GIWPS, souligne par exemple que « seulement un cinquième des femmes ont accès à leur propre compte en banque », que « seules 37% des femmes possèdent un téléphone portable (ce qui est le deuxième taux le plus bas au monde après le Pakistan) ». Elle poursuit : « Les taux de violence basée sur le genre ont augmenté ces dernières années parallèlement à la poursuite du conflit. L’ONU affirme que plus de 90 000 femmes et filles ont eu recours à des soins médicaux en raison de violences sexistes – en particulier de viols – cette année. Ce chiffre est probablement considérablement sous-estimé, étant donné les difficultés auxquelles les femmes sont confrontées pour accéder aux services ainsi que leur réticence à se manifester en raison d’éventuelles stigmatisations ou représailles. »

Elena Ortiz voit néanmoins quelques signes positifs. « La perception des femmes en termes de sécurité s’est améliorée, ces dernières années, selon les estimations du GIWSP. Le nombre de femmes qui déclarent se sentir en sécurité lorsqu’elles marchent seules dans leur quartier le soir est passé de 36% en 2017 à 47% en 2023 ».

Ces problèmes d’inégalités ont en tout cas donné lieu à des évolutions juridiques. Depuis 2006, la Constitution de la RDC consacre par exemple la parité. Il y a aussi la loi du 1ᵉʳ août 2015 qui prévoit que « la femme est représentée d’une manière équitable dans toutes les fonctions nominatives et électives au sein des institutions nationales, provinciales et locales ».

Marie-Josée Ifoku perçoit cette évolution légale. Mais elle la relativise : « La loi garantit une participation égalitaire homme-femme dans la gestion de la chose publique. Il y a même une loi sur la parité dans ce sens. Mais l’imaginaire populaire ne voit toujours pas de bon œil la femme en politique, en pensant que c’est une affaire d’hommes. Par conséquent, les femmes qui y entrent ne sont pas toujours bien considérées par certains hommes qui ne savent pas apprécier les compétences des femmes. Alors, ils les réduisent à des objets de plaisir et à des figurantes pour donner une image de promotion de la femme. »

Mettre fin à la masculinité toxique

C’est dans ce contexte que le président actuel, Félix Tshisekedi, a lancé une campagne contre la masculinité toxique. Le chef de l’État s’est même fait le héraut de la « masculinité positive » en septembre dernier en évoquant le problème à la tribune des Nations unies et, en tant que chef en exercice de l’Union africaine (UA), en lançant un appel à « l’élimination des violences faites aux femmes et aux filles en Afrique ».

Un travail que le ministère du Genre, dirigé par Mireille Masangu, est censé mener. Dans un communiqué adressé à RFI, celui-ci reconnaît que « par rapport à la participation au processus électoral en cours, il y a régression par rapport à 2018. Cependant, la volonté politique du président Félix à promouvoir la femme à la participation politique et aux instances de prises des décisions est manifeste ».

Reste que les mentalités doivent encore changer pour que des femmes accèdent davantage au pouvoir, à en croire un sondage mené en 2022 par le Groupe d’études sur le Congo (GEC, basé à New York) et l’institut congolais de recherches Ebuteli, avec le Bureau d’études, de recherche et de consulting international (Berci). À la question : « jusqu’à quel point soutenez-vous les femmes qui servent l’État au poste de présidente de la République », seuls 32% des sondés affichent leur soutien.

SOURCE RFI

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