Le régime iranien multiplie les intimidations contre les familles des victimes du vol PS752

De notre correspondant au Canada, RFI

Le 8 janvier 2020, un Boeing de la compagnie Ukraine International Airlines est abattu par deux missiles iraniens peu de temps après son décollage de l’aéroport de Téhéran. Les 176 personnes à bord, dont 85 ressortissants canadiens, sont décédées dans la tragédie. Après avoir nié pendant plusieurs jours, les autorités iraniennes, face aux preuves irréfutables, ont reconnu leur responsabilité dans le crash.

Depuis lors, une association des familles des victimes a vu le jour pour obtenir justice sur les actions du régime iranien. Alors que les informations de la boîte noire ont été récupérées par le Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile de Paris, l’enquête a été menée par l’État iranien lui-même. Un rapport de l’aviation civile iranienne (CAO), publié le samedi 11 juillet 2020, pointait « un manquement dû à une erreur humaine dans le suivi de la procédure », dans un contexte militaire tendu avec les États-Unis après l’assassinat du général Qassem Soleimani.

Recrudescence du harcèlement

Les familles des victimes ne cessent, depuis, de lutter au sein de l’Association des familles des victimes du vol PS752. Navaz Ebrahim s’est engagée très rapidement dans l’association et en est désormais la présidente : « J’ai perdu ma sœur et mon beau-frère sur ce vol. Ils se rendaient à Londres, au Royaume-Uni, ce soir-là. Ils faisaient partie des quelques passagers britanniques présents. Dans les deux mois qui ont suivi la tragédie, nous nous sommes réunis, et nous avons travaillé, depuis, en faisant notre deuil en même temps. »

Le Canada fait partie des pays impliqués pour obtenir un procès à la Cour internationale de justice et une enquête indépendante. Fin novembre 2023, sur X (ex-Twitter), Affaires mondiales Canada a dénoncé une « campagne de harcèlement et d’intimidation » à l’encontre des familles des victimes du vol PS752.

Dans un échange de mails avec RFI, le ministère canadien des Affaires étrangères précise que « la priorité du Canada est toujours de faire la lumière sur cette tragédie et de réclamer justice en demandant des comptes à l’Iran et en exigeant réparation, tout en continuant à apporter aux familles et aux proches des victimes le soutien dont ils ont besoin. »

En effet, outre une recrudescence des coups de téléphone incessants de la part du régime iranien pour intimider directement les familles endeuillées, Navaz Ebrahim décrit des actions répressives contre des proches des familles encore sur le territoire iranien, comme Manzar Zarrabi. Elle a perdu son fils, sa belle-fille, sa fille et sa petite-fille de cinq ans dans la destruction de l’avion.

Manzar assistait aux funérailles de la lycéenne Armita Garavand – tombée dans le coma dans des circonstances controversées dans le métro de Téhéran et morte fin octobre – quand elle a été battue et emprisonnée pendant deux jours. « Elle tenait des photos de ses proches morts dans le crash de l’avion lors des funérailles. Ils lui ont pris les pancartes des mains et ont commencé à la battre, à la traîner par terre et à la pousser dans la voiture pour l’emmener en prison », dénonce Navaz Ebrahim.

Des proches des familles des victimes du vol PS752 ont également été empêchés de rejoindre le Canada au départ de l’Iran pour commémorer les quatre ans du drame. Leurs passeports ont été confisqués et des poursuites ont été engagées devant le tribunal révolutionnaire. D’autres cas sont référencés par l’association, mais préfèrent rester anonymes de peur des représailles.

Un long processus judiciaire

Comment expliquer une telle recrudescence des attaques envers les familles des victimes ? Pour Navaz Ebrahim, il y a plusieurs facteurs. D’abord, le récent succès de l’ouverture d’un procès à la Cour internationale de justice : « En juillet dernier, notre affaire a été portée devant la Cour internationale de justice par les quatre pays concernés [Canada, Ukraine, Royaume-Uni et Suède, dont les ressortissants ont perdu la vie dans ce crash, NDLR]. Même avant cette étape majeure, il y a eu beaucoup de harcèlements systématiques contre les familles. Mais, depuis, nous remarquons un harcèlement beaucoup plus fréquent, plus audacieux. » Les familles des victimes espèrent obtenir des mesures conservatoires à la Cour internationale de justice pour que l’Iran arrête ses campagnes de harcèlement.

Dans un contexte de contestation du régime iranien dans le pays, la volonté de prévenir toute manifestation à la date anniversaire peut aussi être une des raisons de cette augmentation, affirme la présidente de l’association. Pour autant, elle espère que les familles continueront à dénoncer les actes de répression, ouvertement. « Nous espérons que les autres personnes harcelées, qui souhaitent rester anonymes, se manifesteront et nous permettront de parler ouvertement de leur identité et de leur cas de harcèlement. Nous pourrons ainsi renforcer notre première demande, des mesures conservatoires, à la Cour internationale de justice », espère Navaz.

Malgré la peur, les risques de représailles, les familles des victimes du vol PS752 ne prévoient pas d’arrêter leur lutte en Iran, comme au Canada ou au Royaume-Uni. « Ils pensent qu’ils peuvent nous faire peur, mais ils provoquent le résultat inverse. Cela nous pousse à nous battre encore plus fort, parce que nous n’avons rien à perdre. Nous sommes arrivés jusqu’ici, nous allons continuer notre combat et rien ne nous arrêtera », assure Navaz Ebrahim. 

La procédure judiciaire à la Cour internationale sera encore longue : les quatre pays concernés (Canada, Ukraine, Suède et Royaume-Uni) ont un an pour préparer leurs arguments contre le régime iranien, qui disposera ensuite à son tour d’un an pour présenter sa défense.

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