Enquête – Féminicides au Sénégal : Silence, on tue

La liste de leurs noms ne cesse de s’allonger. Ces femmes violentées et tuées dans des conditions atroces n’émeuvent pourtant pas le cœur des Sénégalais. En quelques jours, 4 nouvelles victimes sont venues s’ajouter à la liste. Mais les autorités du pays restent muettes, sans empathie pour cette souffrance profonde que vit plus de la moitié de la population.

Dans la religion musulmane, un mort n’est enterré qu’avec 7 mètres de percale blanche. C’est ce symbolisme que les femmes du Collectif des féministes du Sénégal ont choisi d’utiliser. A Ndar, où elles se sont retrouvées à la fin de la semaine dernière pour la 2e édition du Forum exclusivement féminin (Fef), elles ont réagi promptement à l’annonce d’un énième meurtre de femme. Autour de ce tissu blanc, elles se sont assises en brandissant des pancartes avant d’inscrire le nom des dernières victimes sur ce tissu immaculé. «Ce sont des êtres humains qui sont partis», s’indigne Coumba Touré, une des organisatrices. Son coup de gueule se comprend quand on sait que pendant cette dernière semaine, pas moins de 4 cas de meurtre et de tentatives de meurtre contre des femmes ont été enregistrés. Et cela, dans le plus grand silence des autorités et citoyens du pays. Selon Coumba Touré, auteure et féministe, la coupe est pleine et les femmes n’en peuvent plus de toutes ces violences que subissent leurs sœurs. Rien que sur la période entre janvier et novembre 2019, 14 cas de meurtre de femmes ont été répertoriés par le Comité de lutte contre les violences faites aux femmes. Depuis, il faut le dire, la liste s’est encore allongée.

Cette dernière semaine a été le sommet avec le meurtre de 3 femmes et une tentative de meurtre sur une autre. Fatou Samb, 17 ans, enlevée sur le chemin de l’école, violée et tuée, S. Barro, abattue d’une balle dans la tête tirée à bout portant par son mari qui ne voulait pas la laisser quitter un ménage violent où elle a passé les 5 dernières années. L’année 2022 a déjà démarré de la plus mauvaise des manières pour les femmes de ce pays.

En mars 2022, Abass Sow tente d’égorger sa deuxième épouse au prétexte qu’elle avait refusé de rejoindre le domicile conjugal et ne voudrait pas d’enfant avec lui. Elle est sauvée de justesse par les voisins. Quelques jours plus tard, le pays sombre dans une gueule de bois mémorable après la découverte du corps de l’étudiante Seynabou Ka Diallo, portée disparue quelques jours plus tôt. Son copain finira par avouer le meurtre. Il a étranglé la jeune fille avant de glisser son corps dans une valise qu’il ira jeter à quelques kilomètres de l’université Gaston Berger de Saint-Louis. En mai de la même année, ce sont des malfaiteurs qui s’attaquent à Marième War, une dame de 60 ans, violée puis tuée à Tivaouane Peulh. Même hors du pays, les femmes sénégalaises ne connaissent pas de répit. A Casablanca, où elle vivait avec son mari, Fatoumata Baldé est tuée froidement par ce dernier devant son enfant. Toujours en mai de cette année, le meurtre de Kiné Gaye, poignardée à de nombreuses reprises, plonge l’opinion dans l’émoi. Mais très vite, la vindicte populaire se détourne de Khassim Ba, l’assassin, pour cibler l’épouse de ce dernier. En effet, le meurtrier justifie son acte par le désir d’offrir à son épouse un baptême royal. En juillet, c’est à Touba que la jeune Ndèye Diop est découverte morte, son corps glissé dans un fût. Abdourahmane Mbacké, son assassin, l’a d’abord poignardée avant de l’étrangler pour éviter que la grossesse dont il est l’auteur, ne soit rendue publique. Mais le père de la victime décide finalement de ne pas porter plainte. Même si cela n’éteint pas l’action publique, le geste choque l’opinion. Et la semaine dernière, ce fut la ronde macabre des Unes avec le dernier cas du genre, Oumar Sano qui a tenté d’éventrer sa femme parce qu’elle aurait demandé le divorce.

Face à ce décompte macabre, le rapport d’Onu Femmes sur la situation du féminicide dans le monde prend tout son sens. Ce rapport publié en 2019 souligne en effet que l’Afrique est la région où les femmes ont le plus de risques de se faire tuer par un partenaire intime ou un membre de la famille, avec un taux d’homicides conju­gaux/familiaux de 3,1 pour 100 000 femmes. Et le bonnet d’âne revient au Sénégal. «En Afrique, le Séné­gal est considéré comme le pays le plus dangereux pour les femmes avec un taux de 87% de victimes», note le même rapport.

SOURCE LEQUOTIDIEN

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