Renaissance du rail en Afrique et au Sénégal: Les raisons d’un regain d’intérêt

Délaissés durant des années alors qu’ils avaient été déterminants dans l’urbanisation de plusieurs villes africaines, notamment au temps de la colonisation, les chemins de fer sont revenus au cœur des priorités des pays africains. Qu’est-ce qui explique ce regain d’intérêt pour le secteur ferroviaire ? Éléments de réponse.

Elhadji Ibrahima THIAM – LESOLEIL

Qui n’a pas entendu parler du « Dakar-Niger », du nom de cette ligne de chemin de fer qui, au temps de la colonisation, reliait la capitale de l’Aof à Koulikoro (ville malienne au bord du fleuve Niger) ? À l’époque, elle était la plus importante liaison ferroviaire de l’Afrique noire française. Ce chemin de fer était considéré comme un bon exemple de voie de pénétration de l’Afrique occidentale au sud du Sahara, et l’influence qu’il a, à ce titre, exercée sur la vie de vastes contrées fut considérable. Pour la plupart des lignes allant des ports maritimes vers l’arrière-pays, leur développement dans le temps a été exclusivement lié à l’existence de ressources minières et au transport de matières premières de l’intérieur vers les ports, à destination des métropoles européennes. Après les indépendances, les chemins de fer ont continué à assurer le même rôle dans les pays qu’ils reliaient en matière de transport de marchandises, mais aussi de voyageurs. Ainsi, en 1960, le Sénégal hérita du plus important patrimoine ferroviaire de l’Afrique de l’Ouest, apprend-on du Ministre sénégalais en charge du Développement des chemins de fer Pape Amadou Ndiaye dans une vidéo projetée au cours du Forum international pour le financement des projets ferroviaires qui se tient depuis jeudi passé à Dakar. Dans la foulée, la ligne Dakar-Niger laissa quelques héritières et/ou fait des émules. La ligne Dakar-Bamako, malgré de nombreux changements de dénominations, tenta d’exister encore des années.Mais, au fil du temps, le secteur ferroviaire subit la concurrence féroce de la route qui la supplantera presque définitivement. « Le chemin de fer est délaissé dans la plupart des pays africains à l’exception du Maroc, de la Tunisie, de l’Égypte, de l’Afrique du Sud où le rail continue de bénéficier de toute l’attention qu’il faut ; ces pays ayant pu continuer à développer et à moderniser leurs réseaux ferroviaires », constate l’Union internationale des chemins de fer (Uic) dans un document partagé à ce Forum. Au moment où les pays du Maghreb et l’Afrique du Sud font tout pour maintenir un réseau ferroviaire performant, d’autres pays africains doivent faire face à certains défiés liés notamment à la gouvernance, à la vétusté des infrastructures et du matériel roulant, au déficit de mobilisation de ressources financières et de la formation pour sa modernisation afin d’accompagner la croissance économique des Nations.Prise de consciencePourtant, remarque l’Uic, depuis quelque temps, on est en train d’assister, sur le continent, à une prise de conscience sur l’atout que constitue le rail dans la chaîne de mobilité et dans l’intégration africaine et le développement des échanges tels qu’exprimés dans la Zlecaf. Ce regain d’intérêt pour les chemins de fer est, aujourd’hui, incarné par des compagnies ferroviaires nationales ou sous concession. Du côté du Sénégal, cette renaissance du rail est symbolisée par la Société nationale des chemins de fer du Sénégal (Cfs) qui tente de rétablir la connexion avec le Mali. D’autres lignes qui relient les côtes à l’hinterland existent, comme celle entre Abidjan (Côte d’Ivoire) et Ouagadougou (Burkina), opérée par Sitarail, ou encore celle reliant Douala à Ngaoudéré et qui doit se prolonger jusqu’à N’Djamena (Tchad), gérée par Camrail. Au Gabon, on a la Setrag qui gère le Transgabonais reliant le port minéralier d’Owendo à Franceville.Mohamed A. Chérif, Responsable-pays de la Bad au Sénégal, admet que le délaissement des chemins de fer par les pays africains et par les institutions financières internationales est un fait, mais aujourd’hui, ajoute-t-il, tout le monde s’est rendu compte qu’on ne peut pas faire le développement juste avec les infrastructures routières. « Dans les pays où il y a de bonnes routes, leur entretien coûte très cher et le volume transporté par les trains est souvent plus élevé que celui des camions. Aussi, de plus en plus, on constate que les institutions financières s’intéressent, à nouveau, au secteur ferroviaire et appuient les Gouvernements à mobiliser les financements nécessaires via surtout le partenariat public-privé. On est arrivé à un moment où il faut combiner les deux systèmes de transport. Et c’est dans ce sens-là qu’on pourrait avoir un développement d’infrastructures capables de supporter l’intégration régionale et le commerce intra-africain », soutient-il.Au cours de la session ayant porté sur la relance des chemins de fer en Afrique, il est ressorti des échanges que le rail offre beaucoup d’avantages comparatifs par rapport à la route. Un avantage confirmé par des chiffres que le Chef du Gouvernement du Sénégal, Amadou Bâ, a avancés lors de la cérémonie d’ouverture. En effet, selon le Premier ministre, le coût par kilomètre de voie ferroviaire réhabilitée est inférieur de 50 % à celui d’une route à deux voies. Par ailleurs, ajoute-t-il, le rail a aussi une meilleure longévité. « Les routes doivent être entièrement refaites tous les 7 à 10 ans, contre 15 à 20 ans pour les voies ferrées », affirme-t-il. Et puisque la question du développement durable est, aujourd’hui, au cœur des enjeux liés au changement climatique, Amadou Bâ souligne que la consommation d’énergie et l’empreinte carbone par tonne transportée du train sont, en outre, inférieures à celles de la route et des avions, le gain pouvant atteindre en moyenne 80 %. Il en conclut « qu’un chemin de fer performant engendre toujours des bénéfices économiques multiples avec un impact positif sur le niveau des activités portuaires, une accessibilité vers les régions enclavées et une réduction de la facture énergétique ».Un nouveau dynamisme des compagnies ferroviaires Le nouvel engouement pour le train a eu le don, aujourd’hui, de booster l’ardeur des compagnies ferroviaires nationales. Au Sénégal, depuis la nomination de Malick Ndoye à la tête de Cfs, le rail sénégalais est en train de renaître de ses cendres. Cela s’est traduit par la reprise, même si c’est à titre symbolique, du trafic entre Thiès et Touba lors du Magal et entre Thiès et Tivaouane durant le Gamou. Ce, au moment où les travaux de réhabilitation des voies ferrées jusqu’à Tambacounda avancent à grands pas. En Côte d’Ivoire, indique Simplice Essoh, Directeur du Développement de la société ferroviaire ivoirienne, la Sitarail, maillon essentiel pour les économies du pays, du Burkina, mais aussi du Mali, a proposé aux Gouvernements ivoirien et burkinabé, avec le soutien des bailleurs de fonds, un nouveau plan d’investissements dédié au renouvellement de la voie ferrée, à la modernisation du matériel roulant et au développement d’une offre de transport de voyageurs de qualité. Quant à Camrail du Cameroun, elle a dépassé le stade des propositions. À ce jour, elle a déjà renouvelé entièrement plus de 330 km de voie, rénové 68 ponts et réhabilité 1800 ouvrages hydrauliques.Côté matériel roulant, la société de chemin de fer du Cameroun a été la première dans la zone Afrique centrale à se doter d’ateliers centraux de maintenance, selon Pascal Mini, son Directeur général, venu participer au Forum de Dakar où il espère dénicher quelques opportunités qui permettront à Camrail de se développer.

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