Sous les glaciers, des terres neuves à sanctuariser ?
« Une course contre la montre »: près du Mont-Blanc, un groupe de scientifiques plaide inlassablement pour les glaciers mais aussi pour les espaces vierges nés de leur fonte, déterminés à les protéger de futures convoitises.En cette brûlante journée d’octobre, le spectacle à Tré-la-Tête est désolant: encaissé dans une étroite vallée sur le flanc ouest du géant blanc, le quatrième plus important glacier de France s’écoule à gros bouillons dans un lac gris-bleu qui s’est formé à son pied, puis dans un torrent qui cascade jusque dans la vallée des Contamines-Montjoie (Haute-Savoie).A quelque 2.000 mètres d’altitude, le lac, comme les roches qui l’entourent, marquées de longues stries laissées par les raclements du glacier, ou les « gouilles », petites mares cerclées de joncs sauvages, sont apparus au grand jour ces dernières années, au fur et à mesure que la masse glaciaire recule.Fichier vidéoCes espaces sont peu à peu « colonisés par le vivant », explique le glaciologue Jean-Baptiste Bosson, coordinateur du projet Ice&Life.Ce groupe de scientifiques engagés basé à Annecy mène à la fois des études de terrain et des recherches sur l’évolution de l’ensemble des glaciers dans le monde, plaidant pour leur protection et pour celle des écosystèmes primaires nés de leur retrait.Peu protégés à ce jour, les espaces glaciaires et post-glaciaires sont un « impensé total » alors qu’ils ont un « rôle majeur » à jouer dans l’atténuation et l’adaptation face au changement climatique, insistent-ils: ils peuvent par exemple filtrer et stocker l’eau, séquestrer du carbone et favoriser la biodiversité. »Sanctuaire du vivant « »On a fait fondre les glaciers, on n’a pas réussi à les préserver. Peut-être a-t-on une deuxième chance (en protégeant) la nature qui émerge du retrait glaciaire », souligne M. Bosson qui parle de « sanctuaire du vivant ».Le glacier des Bossons dont la masse est en recul, le 30 juillet 2023 au-dessus de Chamonix, eh Haute-SavoieLe glacier des Bossons dont la masse est en recul, le 30 juillet 2023 au-dessus de Chamonix, eh Haute-Savoie AFP Emmanuel DUNANDAlors qu’autour du Mont-Blanc s’étalent des paysages remodelés par l’homme au fil des millénaires, ces zones glaciaires sont vierges de toute influence humaine.Ainsi, en contrebas, un jeune pan de « forêt primaire » est apparu dans l’ancien sillage du glacier. Plus haut, de petites fleurs colorées colonisent progressivement les abords du lac.Pour le géographe Kenzo Héas, il s’agit d’espèces « pionnières » qui peuvent donner à terme « un terreau fertile pour d’autres types d’écosystèmes comme des pelouses, des landes et pourquoi pas des forêts ».Ici, « c’est la Nature qui décide et elle prend les meilleures décisions ! », résume M. Bosson
Mais ces espaces et l’eau ou les minerais qu’elles recèlent risquent d’attirer très rapidement « d’immenses convoitises » d’entreprises ou de domaines skiables, s’inquiète-t-il.Il faut donc les protéger au plus vite, en les dotant par exemple d’un statut particulier qui pourrait faire l’objet d’un traité international. Comme la plupart des zones concernées sont dans le domaine public et n’auraient donc pas besoin d’être rachetées, « il y a là un vrai coup à jouer, un faible coût économique et politique pour un immense bénéfice », fait-il valoir.Ice&Life prévoit déjà de « mettre des solutions sur la table » dès le sommet One planet – Polar summit qui penchera en novembre sur la situation des pôles et des glaciers. Le sujet sera aussi sous les projecteurs en 2025, déclarée par l’ONU « Année internationale de la préservation des glaciers ».Les glaciers sont « d’extraordinaires alliés pour prendre conscience et catalyser une réaction collective », note M. Bosson car ils « émerveillent la société ».