«La technologie et le vivant ne doivent pas s’opposer mais être en symbiose»

Les technologies, qu’elles soient digitales, sociales ou du vivant, occupent une place de plus en plus importante dans le quotidien des agriculteurs. Leurs objectifs ? Accroître la résilience, la durabilité et la rentabilité du secteur tout en œuvrant à la réduction des externalités négatives.


Le 23 mai, Gembloux Agro-Bio Tech accueillait le premier « Rendez-vous franco-belge de l’agritech ». Cet événement, coorganisé par l’établissement universitaire, l’Ambassade de France en Belgique, la Chambre de Commerce et d’Industrie France Belgique et Business France, avait pour objectif d’offrir à l’ensemble des acteurs de l’agritech l’opportunité de se rencontrer et de faire le point sur les évolutions récentes du secteur de part et d’autre de la frontière.

À cette occasion, un état des lieux de l’agritech et des stratégies adoptées en France et en Belgique a notamment été dressé, en présence d’un panel d’experts franco-belge.

Un secteur très soutenu… en France

Du côté français, Virginie Bernois, conseillère agriculture, alimentation et forêts au sein du Secrétariat général pour l’investissement, est la première à prendre la parole. Et de nous apprendre qu’outre-Quiévrain, le secteur de l’agritech est fortement soutenu, tant sur le plan politique qu’en matière de financement, grâce au programme d’investissement France 2030. « Celui-ci a pour objectif de répondre au défi de la transition, par le biais de l’innovation. Dans ce cadre, le gouvernement français souhaite investir plus de 2,3 milliards d’euros dans le domaine agroalimentaire », détaille-t-elle. Le secteur de l’agritech bénéficie, bien sûr, d’une partie de ce budget.

« France 2030 permet de mettre en place un processus d’accompagnement, allant de la recherche et de l’innovation, aux mains des acteurs de l’agritech, jusqu’au déploiement des nouvelles technologies sur le terrain et à leur acceptation et appropriation par les agriculteurs. Car s’il faut faire en sorte que des solutions nouvelles voient le jour, il est tout aussi essentiel qu’elles soient adoptées par celles et ceux qui pratiquent l’agriculture au quotidien. »

Plusieurs programmes ont vu le jour dans ce cadre. Ils doivent, entre autres, permettre aux centres de recherches de mener de nouveaux projets, aux sociétés et start-up de l’agroéquipement de transformer leurs prototypes en engins de présérie (dernière étape avant un déploiement à grande échelle), aux agriculteurs d’acquérir de nouveaux matériels innovants grâce à des subventions gouvernementales… « Le but, grâce à l’agritech, est de rendre l’agriculture française plus durable et plus résiliente, en réduisant ses émissions de CO2 et sa consommation d’eau et d’énergie, d’une part, et en améliorant le bien-être des cheptels et des agriculteurs, d’autre part. »

Écouter et former les utilisateurs

Un tel niveau de financement n’existe pas en Belgique. Jürgen Vangeyte, directeur scientifique au sein de l’Ilvo (Instituut voor landbouw –, visserij- en voedingsonderzoek, le pendant flamand du Cra-w) estime néanmoins que la recherche et l’innovation ont un rôle à jouer pour rendre nos systèmes alimentaires plus durables et ce, à travers toute l’Europe.

À condition de trouver des solutions à divers problèmes mis en exergue par les acteurs de l’agritech. Premièrement, M. Vangeyte vise la disponibilité des données agricoles et leur interprétation. « C’est une question de confiance. Si l’on veut que les agriculteurs partagent leurs données et aient recours aux solutions digitales, ils doivent pouvoir conserver le contrôle et la propriété de leurs données », avance-t-il.

Il convient également de résoudre un problème de répartition de la valeur ajoutée qui se fait aux détriments des agriculteurs, selon ces derniers. « Ils ont l’impression que le gain de valeur ajoutée, permis grâce aux investissements dans l’agritech, se fait ailleurs qu’à leur niveau… ». L’adoption des technologies par les acteurs de terrain est aussi pointée du doigt et doit être améliorée, notamment en réalisant, en conditions réelles, les tests adéquats permettant de valider et démontrer la plus-value de telles solutions.

Yves Madre, directeur général du Think Tank Farm Europe embraye : « Si la transition demande un investissement financier, ce constat montre qu’il faut également investir dans la formation des utilisateurs ». Et d’ajouter : « Je plaide pour la mise en place d’un plan européen en la matière, pour un soutien efficace à la transition digitale de l’agriculture. Les plans nationaux constituent un premier pas, mais ne suffisent pas. »

S’inspirer du vivant

Si l’on pense données, digitalisation, voire drones ou capteurs, l’agritech ne se limite pas à cela. « C’est un domaine pluriel qui regroupe ces éléments mais qui peut également s’inspirer du vivant, car la nature constitue une importante source d’enseignements », nuance Justine Lipuma, vice-présidente de La ferme digitale, une association française qui a pour objectif de promouvoir l’innovation et le numérique en agriculture.

Mme Lipuma donne ainsi l’exemple de la société Mycophyto, dont elle est à la tête. « Nous menons des recherches sur les associations symbiotiques entre espèces végétales et champignons mycorhiziens. L’objectif est d’identifier les meilleures associations « plantes-champignons » selon les conditions pédoclimatiques rencontrées afin que la culture soit plus résistante aux bioagresseurs, à la sécheresse… La « tech », c’est aussi partir du vivant pour répondre aux problèmes rencontrés par les agriculteurs. »

Yves Madre abonde dans la même direction. « Les réponses peuvent être digitales, mais aussi biologiques ou variétales », dit-il. À ce titre, le directeur de Farm Europe estime que les nouvelles techniques de sélection variétale peuvent faire partie des solutions à la transition agricole et souhaite que les prochaines législations européennes leur confèrent davantage de poids.

Et Justine Lipuma d’ajouter : « Dès qu’une solution est éprouvée et validée sur le terrain, il faut œuvrer pour la rendre rapidement accessible au plus grand nombre d’agriculteurs, afin qu’ils puissent en tirer les bénéfices ».

Dans la continuité, elle estime encore que la technologie peut être sociale. « Éduquer les citoyens afin qu’ils consomment des fruits qui pourraient être tachés et, ainsi, éviter le gaspillage alimentaire, n’est-ce pas une forme d’innovation sociale ? »

Restaurer la confiance

Les technologies, si elles ont un rôle à jouer au niveau de la fourche, peuvent apporter une plus-value du côté de la fourchette. Ce que confirme Jürgen Vangeyte : « La technologie a créé un certain fossé entre les agriculteurs et les consommateurs, mais peut également contribuer à le combler ».

En effet, selon l’expert, elle permettrait de restaurer la transparence et la confiance qui doivent unir les parties. « Les agriculteurs peuvent avoir recours à divers outils numériques pour informer les consommateurs quant à leur production et à leurs efforts en matière de durabilité, mais aussi pour assurer la traçabilité de leurs productions. De leur côté, les consommateurs pourraient donner leur feedback. C’est en cela que la technologie œuvrerait au rapprochement entre les parties. »

Et Virginie Bernois de conclure : « La technologie doit, in fine, être au service d’une vision, à savoir fournir une alimentation saine et durable, à une population grandissante, tout en réduisant drastiquement les externalités négatives de l’agriculture. La technologie et le vivant ne doivent pas s’opposer mais être en symbiose afin d’atteindre cet objectif ».

J. VandegoorL’agritech, en bref

Il n’existe pas encore de définition unanime pour l’agritech, ce néologisme constitué des termes « agriculture » et « technologie ». Il est cependant communément admis que l’agritech regroupe l’ensemble des technologies, notamment digitales mais pas exclusivement, permettant d’accroître les rendements et la rentabilité tout en réduisant le recours aux intrants et l’impact de l’activité agricole sur l’environnement.

SOURCE sillonbelge.be

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