Long supplice des déplacés de la langue de barbarie (Saint-Louis) : une vie au bagne !

Unis par des liens familiaux, car étant tous d’anciens habitants du populeux quartier de Guet-Ndar, dans la langue de Barbarie à Saint-Louis, les relogés de la cité Bamba Diéye de Khar Yalla et ceux de Diougoup, partagent le triste destin de vivre loin des siens dans des conditions difficiles. L’avancée de la mer est passée par là. A Guet-Ndar, il y a de cela quelques années, des familles entières ont été chassées par les folles vagues et turpitudes d’un océan en furie. Aujourd’hui, plongées dans la précarité et la promiscuité, elles occupent des logements sociaux et mènent une vie de «bagnard». Un vilain décor laissant paraître des fosses septiques qui déversent partout leurs lots d’immondices, des toilettes de fortune où il faut faire la queue pour s’en servir, des odeurs nauséabondes… Autant de problèmes que cette population à majorité féminine rencontre depuis plusieurs années. Bienvenue dans une vie au bagne !

Mois d’août, en plein hivernage, les pluies qui se sont abattues sur le Sénégal n’ont pas épargné la vieille ville de Saint-Louis. Contrairement aux paysans et pasteurs/éleveurs du monde rural qui remercient le ciel pour une pluviométrie généreuse, pour les populations relogées des cités Bamba Dièye, Diougoup et Khar Yalla, chaque goutte de pluie qui tombe est synonyme d’inquiétude et d’angoisse. Par ici, ça coule, ça mouille et ça plonge dans le désarroi. Le mot d’ordre et lâché : «relevez le bas des habits pour éviter de les tremper dans des flaques d’eaux visibles partout». C’est le début d’une galère !

Nous retrouvons Khady Bèye Sène, présidente des femmes des relogés de Diougoup au site de transformation des produits halieutiques, dénommé «Sine». Elle fait partie du millier de femmes transformatrices qui s’activent sur les lieux. Anciennement installé aux abords du bras du fleuve à Guet-Ndar, Sine a été délocalisé à côté du célèbre cimetière St-Louisien Thiaka Ndiaye, lieu de repos éternel de plusieurs dignitaires de la ville tricentenaire.

Une fois le seuil du portail franchi, Sine, point de convergence des «jambaars» (guerrières), appellation en hommage aux femmes transformatrices d’ici, se découvre avec ses installations «barbares». On se perd dans ce site de transformation aux allures de ghetto, tellement il est grand, brouillon à tout point de vue, et insalubre.    En cette matinée mardique, le centre est déserté par la majeure partie de ses occupants et il est plongé dans un calme plat que seules les vagues déferlantes qui viennent s’échouer sur une plage vide, osent perturber.

Ses hangars, croulant sous le poids de l’âge, enveloppés de plastiques déchiquetés, ne protègent aucun poisson en séchage. Les étals sont presque vides. La matière première se fait rare, très rare. C’est ce lieu de travail rempli d’incertitudes que des femmes, à l’image de Khady Bèye Sène, fréquentent au quotidien pour gagner leur vie.

Elles viennent de très loin, relogées qu’elles sont à environ une trentaine de km du site, elles bravent chaque jour l’insécurité, la longue distance, la bousculade dans les bus et arrivent épuisées dans un lieu de travail où il ne reste presque rien. Les premiers à arriver étant les premiers servis, les femmes de Diougoup ne s’en sortent plus. L’éloignement de leurs domiciles plombe toutes leurs activités, faites essentiellement de transformation de produits halieutiques.

DIOUGOUP, UN CAMP À L’IMAGE DES DÉPLACÉS DE GUERRE

Pour se rendre à Diougoup, il faut emprunter la route de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (UGB). Ses étales et tentes de fortune sont visibles à quelques encablures de l’université. Par ici, nous ne sommes pas dans un camp de déplacés de guerre d’un pays où l’insécurité règne en maître. Tout au contraire, nous sommes à Saint-Louis du Sénégal et plus de trois cent (300) tentes servent de domiciles à des déplacés de l’érosion côtière, depuis 2015.

Sept (07) longues années que la présidente des femmes de Diougoup, Khady Bèye Sène, ne lie qu’à des difficultés. «Beaucoup de personnes adultes ont perdu leur santé, victimes de maladies cardio-vasculaires à cause de la chaleur des tentes.                Le comble, ces soutiens de familles tenaillés par la maladie sont obligés de toujours vivre ici», regrette Khady.

Il est 12 heures et le soleil est au zénith, imposant ses rayons ; il règne une chaleur d’enfer sous ces bâches. Franchir le seuil d’une tente est un vrai supplice. De grosses gouttes de sueur perlent sur les visages des téméraires qui osent relever le défi. Les fortes températures à l’intérieur des bâches qui, au départ étaient aménagées comme installations provisoires, ne sont pas les seuls maux que les infortunés de Diougoup doivent subir. Le site manque d’eau, mal ravitaillé qu’il est par deux bornes fontaines que partagent trois cent huit (368) ménages.

A ce manque criard d’eau, vient s’ajouter un déficit de toilettes, faisant ainsi de l’hygiène un vœu pieux. A Diougoup, trois (03) familles se partagent une toilette, une fréquence qui crée un temps d’attente long, surtout chez les personnes âgées. Les fosses septiques, qui ne sont que des réservoirs d’eau utilisés dans les centres urbains, se remplissent vite. Au bout de 15 jours, il faut débourser une somme d’argent conséquente pour déplacer un camion pour la vidange.

Ces abris provisoires qui s’éternisent et qui sont devenus, par la force du temps, les demeures de ces «réfugiés climatiques», manquent d’aération. «C’est en pleine nuit que l’on parvient à entrer dans nos chambres. Ce n’est pas possible d’y faire quelque chose pendant la journée», souligne une dame, portant un bébé dans le dos, en sueur.

Bref, le fardeau de ces déplacés de Guet-Ndar est plus supporté par les femmes. A en croire les habitants, les hommes sont presque toujours en mer. Ils se plient à ses humeurs et parcourent l’Atlantique qu’ils écument de tous bords à la recherche de poissons.

Avec l’absence de ces derniers qui ne reviennent souvent qu’après des captures de poissons, les femmes sont obligées de partir loin, parfois très loin pour trouver de quoi nourrir les nombreuses bouches à leur charge. «Je ne peux pas prendre un taxi, pour 2500 francs CFA la journée. Je préfère prendre les bus pour un total de 250 francs CFAA 22 heures, quand nous revenons chez nous, nous vivons toute sorte de difficultés pour trouver une voiture», dit Khady Bèye Sène.

Diougoup n’est pas facile d’accès, ce qui oblige les femmes à se réveiller tôt le matin pour aller à Guet-Ndar, leur ancien quartier (d’origine). Elles se bousculent dans les bus Tata. Et, par-là, il faut user de ses coudes ; les véhicules sont bondés de monde, surtout aux heures de pointe. Une fois de retour au site de recasement, elles marchent sur une longue distance avant de rejoindre leurs concessions. Alors qu’elles regagnent leurs domiciles le plus souvent vers 22 heures, les femmes de la localité sont exposées à de nombreux risques à cause de la pénombre, car Diougoup ne dispose pas d’éclairage.

KHAR YALLA OU LA LONGUE «ATTENTE D’UN DIEU HYPOTHÉTIQUE»

A la cité de relogement Khar Yalla, la stagnation des eaux de pluie rend l’insalubrité chronique. Les algues verdâtres attestent la longue présence des réceptacles. Comble du décor, les fosses septiques sont vidées dans ces mares qui se trouvent pourtant à côté des habitations ; et ce n’est pas par méconnaissance du danger, mais plutôt faute d’une solution alternative, selon les habitants. Cette cohabitation avec la saleté donne aux moustiques le droit d’imposer leur loi mesquine de piqueur devant l’éternel, une dictature à laquelle même les vieux n’échappent pas. Ils sont emprisonnés dans la mosquée au crépuscule pour satisfaire les prières nocturnes, obligés qu’ils sont de refermer portes et fenêtres pour répondre à l’appel du Seigneur, sans avoir à faire avec une armada de piquants.

Ce diktat des moustiques est presque toujours précédé d’un défilé de mouches. Si pendant la nuit, les moustiques sont impitoyables, la journée, de grosses mouches occupent les lieux et n’ont cure des visiteurs. Elles volent, survolent, se posent surtout et symbolisent ainsi les mauvaises conditions d’hygiène qui sévissent à Khar Yalla. «Nous avons été chassés par la mer, maintenant une autre eau nous impose sa dictature», soupire Soda Ndiaye.

Khar Yalla porte le nom du député Cheikh Bamba Diéye, puisque c’est au temps où il était maire de la ville de Saint-Louis que les logements en question ont été construits. Depuis qu’ils accueillent ces déguerpis de Guet-Ndar, les modifications ne sont plus autorisées. Ils sont faits de trois pièces et leur octroi est temporaire. Les familles, au nombre de soixante-huit (68), ne disposent que de permis d’occuper temporaires. La cité n’a pas d’éclairage et l’installation d’un réseau d’adduction d’eau n’a eu lieu qu’aux dernières élections législatives, une exigence de la population avant de se rendre aux urnes, raconte-t-on.

Alors que les maisons sont plongées dans la pénombre, une fois que le soleil se couche, les femmes continuent de subir les supplices des accouchements au bord de la route, une difficile réalité chez ces habitants. A la tombée de la nuit, il est très difficile de rejoindre la route goudronnée faute de véhicules, disent les populations. Khar Yalla ne dispose pas d’une école française, seule une école coranique dont l’humidité du local empêche la concentration des apprenants, symbolise l’éducation dans ce quartier. Les ordures cohabitent avec la population dans ce quartier exclu du système de collecte de la ville, pour on ne sait quelle raison.

Comme à Diougoup, mener une activité génératrice de revenus est très difficile à Khar Yalla. «Nous vivions dans la langue de barbarie, avec nos maris pêcheurs. Tôt la matinée, nous partions au quai de pêche pour gagner nos vies. C’est en 2015 que l’avancée de la mer, nous a pris nos demeures. Et depuis, nous n’avons plus d’activités. Le commerce ne marche pas dans les sites de relogement parce que presque chaque matin, la cité est désertée».

A Khar Yalla, avec l’aide de partenaires internationaux, les jeunes filles ont obtenu des machines à coudre. Malheureusement, elles ne peuvent pas s’en servir avec aisance, faute d’espace et d’électricité.

KHAR YALLA ET DIOUGOUP : LA MARMITE NE BOUE PAS

«’’Balaa Nga lekk sonu’’ (on souffre avant de trouver de quoi manger, en wolof). Il faut que l’on se déplace à Guet-Ndar, recueillir l’aide de parents restés là-bas, revendre du poisson, pour avoir de quoi faire bouillir la marmite», fulmine ce vieux à la voix faible, tenaillée par l’âge. Il n’est pas rare d’entendre ce genre de supplique chez les relogés de Guet-Ndar.

Sous le mythique pont Faidherbe, le marché de Tengueth étale son désordre. Aux premières heures de la matinée, les femmes s’affairent à l’achat des condiments, légumes et autres produits nécessaires pour la préparation du repas de midi. C’est dans ce marché distant de plusieurs kilomètres que des dames venues de Diougoup se ravitaillent. Entre coûts du transport et cherté des produits, elles ne parviennent pas à tirer leur épingle du jeu de la vente de légumes. Une partie des recettes est engloutie dans la marmite et encore faudrait-il attendre que la journée soit avancée et que les clients fassent leurs achats pour espérer avoir de quoi payer le riz et l’huile. «Nous vivons d’énormes difficultés. Nous ne parvenons pas à gérer les trois repas quotidiens. Je vendais du charbon, mais mon activité est tombée à l’eau», se désole la ménagère Amy Dia.

Dans les deux sites de recasement, il n’y pas d’électricité, les téléphones portables sont chargés ailleurs, moyennant 100 francs CFA. L’éclairage se fait à partir de groupes électrogènes qui ne tiennent pas une longue durée. Aux cités Khar Yalla et Diougoup, chaque déplacement vient rappeler la misère que vivent ces infortunés, chassés par l’avancée de la mer.

Aucune lueur d’espoir ne scintille pour ces habitants. Des logements en dur sont en train d’être construits, ce qui ne milite pas à résoudre le problème. Les familles risquent d’être aussi entassées qu’elles le sont présentement, prédisent certains connaisseurs.

Malgré leurs souffrances, ces populations tiennent à leur dignité car étaler leur misère n’est pas leur jeu favori. Pour espérer recueillir quelques mots de ces déplacés, il faut toujours être accompagné d’une personne (intermédiaire) digne de confiance.

Le soleil déballe ses derniers rayons lumineux et piquants sur ces cités langoureuses où de braves femmes et hommes tentent d’exister, avec dignité. Un prétexte pour nous de prendre congé des lieux, sous un ciel qui s’apprête à envelopper les deux cités de «déplacés climatiques» d’une nuit de canicule assaisonnée aux ingrédients maléfiques de piqures de moustiques et d’odeurs pestilentielles. C’est le quotidien des cités Diougoup et Khar Yalla de Saint-Louis.

Fatou NDIAYE

SUDQUOTIDIEN

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