UE-Chine, un conflit inévitable? “Ils nous affaiblissent peu à peu”
La Chine est en colère contre l’Union européenne. La raison du courroux de Pékin?
L’ouverture d’une enquête par la Commission sur les subventions publiques chinoises aux automobiles électriques, une concurrence potentiellement déloyale selon Bruxelles. L’Europe se dirige-t-elle tout droit vers une guerre commerciale avec la Chine? Jonathan Holslag, professeur de politique internationale à la VUB, met les Européens en garde. “Si nous ne faisons rien, nous ferons face à un véritable raz de marée.” Entretien.
L’UE soupçonne ouvertement la Chine de fausser le marché des voitures électriques. D’où vient cette soudaine fermeté des Européens?Jonathan Holslag: “En réalité, la Commission poursuit sa stratégie définie il y a quelque temps. Elle veut se présenter comme un organe qui offre des réponses aux grands défis géopolitiques de notre époque. La pandémie de coronavirus, la guerre en Ukraine et le nouveau nationalisme économique des Américains ont fait comprendre à nos dirigeants que l’Union européenne devait elle aussi se ressaisir. Cette position plus ferme à l’égard de la Chine fait partie de cette stratégie.”
Est-ce une bonne nouvelle?“Si la Commission met ses menaces à exécution, alors oui, c’est une bonne nouvelle. Malheureusement, avec l’UE, les actes ne suivent pas tout le temps les paroles.”Les Chinois ne prennent donc pas ces menaces au sérieux?“Les Chinois ont anticipé cette campagne contre leurs voitures électriques et ils disposent déjà de plusieurs leviers pour contourner les éventuelles sanctions européennes. C’est ce qu’ils ont fait, avec succès, avec les panneaux photovoltaïques. Pékin a réussi à contourner les sanctions en faisant pression sur les États membres et les entreprises. La même chose se produit aujourd’hui: la Chine investit dans l’UE et notamment dans des usines en Hongrie afin de pouvoir peser sur les décisions européennes.”
Les Chinois ont fait part de leur inquiétude après les déclarations d’Ursula von der Leyen. Si l’UE décidait finalement d’imposer des droits de douane supplémentaires sur les voitures chinoises, assisterions-nous à une guerre commerciale entre Bruxelles et Pékin?“Si nous prenons des mesures fortes, il y aura évidemment des répercussions. Personnellement, je vois trois scénarios capables de se réaliser, et ils sont tous négatifs. Dans le premier scénario, nous entrons dans un conflit commercial “classique”, où nous nous bombardons mutuellement de droits de douane. L’économie des deux parties en sera durement affectée.
Dans le deuxième scénario, la Chine parvient à surmonter ses problèmes économiques et sa population s’enrichit, ce qui l’incite à favoriser son marché intérieur. Dans ce cas, les importations bon marché en provenance de Chine deviendraient subitement nettement plus chères. Un troisième scénario est celui d’un conflit militaire et diplomatique avec Taïwan. Si cela se produit, le choc sera énorme, pour le monde entier et pour l’UE en particulier. Nous entrerons alors dans une ère glaciaire économique.”
Ce scénario est peu probable, n’est-ce pas?“Au contraire, c’est celui qui a le plus de chances de se réaliser.”N’êtes-vous pas trop pessimiste ?“Nous ne pouvons pas continuer à détourner notre regard éternellement. Les Américains et les Chinois se préparent à un conflit depuis des années.”
Le Pentagone a publié un rapport alarmant sur Taïwan à la fin de l’année dernière et un général américain a déclaré qu’une guerre était réaliste en 2025. Mais n’est-ce pas une manœuvre des Américains pour nous effrayer?“Je ne pense pas que ce soit le cas. Depuis un certain temps, les Américains essaient de se désengager le plus possible de l’économie chinoise. Par exemple, les entreprises américaines investissent déjà beaucoup moins en Chine. Les États-Unis sont devenus beaucoup plus protectionnistes depuis Trump et Biden poursuit sur cette voie. Ils veulent être plus résistants aux conséquences d’une éventuelle guerre dans le détroit de Taïwan car ils sont bien conscients des graves conséquences qu’un tel conflit provoquerait. Dans l’UE, je ne constate pas cette urgence. Ou plutôt, on prétend vouloir être moins dépendants de la Chine, mais on n’agit pas. C’est là toute la différence avec les États-Unis.”
Pourquoi l’Europe ne pourrait-elle pas faire ce que font les Américains vis-à-vis de la Chine?“Parce qu’au sein de l’UE, nous sommes trop dépendants des produits chinois bon marché. Que ce soient les consommateurs, les gouvernements et les entreprises. Nettement plus que les Américains, qui ont bien mieux protégé leur industrie et leur technologie. Les Chinois ont réussi à nous “endormir”. Je compare souvent cette situation aux guerres de l’opium au XIXe siècle. Les Britanniques considéraient alors la Chine comme un empire décadent et ont déversé massivement de l’opium sur leur marché. De nombreux Chinois sont devenus dépendants et la balance commerciale a ainsi penché en faveur des Britanniques. Je pense que nous nous trouvons aujourd’hui dans un scénario similaire. Les Chinois ont inondé notre marché de produits bon marché et nous en sommes devenus dépendants. Notre économie ne peut survivre sans eux. Les Chinois nous affaiblissent petit à petit. Dans quelques années, ce sont eux qui détermineront les règles, et non plus l’UE.”
Un toxicomane peut toujours suivre une cure de désintoxication…“En effet, mais le sevrage n’est jamais agréable et provoque des symptômes de manque. Si vous regardez l’histoire, c’est typique d’une société riche et prospère. Une telle société considère sa prospérité comme une évidence et ne voit plus sa propre vulnérabilité. En revanche, si les choses dégénèrent bientôt autour de Taïwan, l’impact économique sur l’UE sera jusqu’à 20 fois plus important qu’après l’éclatement de la guerre en Ukraine. Dans un conflit avec la Chine, ce ne sera plus seulement du gaz dont il faudra se passer, mais bien de centaines de produits et matières premières. J’insiste: nous entrerions dans une ère glaciaire économique.”