ITW – Production de blé, émigration, Dac…: Djimo Souaré retourne aux champs

Coordonnateur du Programme des domaines agricoles communautaires (Prodc), Djimo Souaré explique dans cet entretien les évolutions des Dac, leur importance pour réduire le chômage des jeunes tentés de plus en plus par l’émigration irrégulière.

Quelle est la situation du Prodac aujourd’hui ?
Le Prodac va bien. Et il fait son chemin. Nous avons une mission de création d’emplois et de participer à la souveraineté alimentaire. Donc, nous sommes dans l’aménagement des terres et dans l’incubation. Et actuellement, nous travaillons dans tous les Domaines agricoles communautaires (Dac) existants, fonctionnels, pour aménager des terres et réaliser des fermes.

Aussi, nous avons un programme d’incubation des jeunes qui nous viennent des différentes régions du Sénégal pour les former aux métiers de l’agriculture, à l’entrepreneuriat, à la gestion des entreprises agricoles. Nous allons cette année lancer deux initiatives importantes. Un projet d’incubation. Nous incubons à Keur Momar Sarr, dans la région de Louga et dans la région de Kédougou, plus de 150 jeunes pour améliorer leur employabilité, leur permettre d’acquérir les techniques agricoles et améliorer leur leadership. Nous avons aussi une autre initiative du Prodac, le programme d’appui aux producteurs dans les zones agricoles, des zones d’implantation des lacs. Et pour cette année, nous avons accompagné plus de 3000 bénéficiaires pour une superficie de plus de 6000 hectares, et cela nous a permis d’entretenir plus de 25 000 emplois dans les zones rurales. Donc, c’est dire que c’est un programme qui, aujourd’hui, se porte bien.

Quels sont les Dac fonctionnels, ou bien ils fonctionnent tous ?
Nous avons trois portefeuilles de projets de première génération. Donc, ce sont 5 Dac. Séfa à Sédhiou, Keur Momar Sarr à Louga, Kédougou, Keur Samba Kane et Sangalkam en banlieue dakaroise. Nous avons aujourd’hui trois Dac qui sont fonctionnels : Séfa (Sédhiou), Keur Momar Sarr  (Louga) et Kédougou. Concernant Sangal-kam et Keur Samba Kane, les travaux sont en cours et réalisés à peu près à 80%. Et nous accueillons une deuxième idée où nous faisons un travail d’aménagement des terres et accompagnons les producteurs de ces zones au niveau de ces Dac, Séfa, Keur Momar Sarr et Keur Samba Kane.

Quelles sont les principales activités qui sont effectuées ?
Au niveau de ces Dac, nous avons les centres de formation de services agricoles qui incitent les jeunes aux métiers de l’agriculture et qui accompagnent aussi les producteurs locaux. Nous avons par exemple des tracteurs et des infrastructures qui permettent réellement d’améliorer la rentabilité des producteurs dans ces zones-là. Et au niveau-même de ces Dac-là, nous avons des groupements d’entrepreneurs agricoles qui sont issus de ces zones qui font de la production et qui sont accompagnés par le Prodac. Et on met toutes les infrastructures à leur disposition. Et ça permet vraiment de booster leur production. Nous avons aussi des jeunes incubés qui sont là et certains sont originaires des zones d’implantation des Dac, d’autres originaires d’autres localités du pays. C’est dire qu’aujourd’hui, il y a beaucoup d’activités qui sont menées au niveau de ces Dac.

Et pour les autres, la finalisation est en cours ?
Pour Keur Samba Kane et Sangalkam, les travaux ont été réalisés à 80%. Donc, les Dac de la première génération réalisés avec l’entreprise israélienne Green 2000 qui est actuellement en contentieux avec l’administration fiscale. Ce qui fait que les travaux ont été arrêtés. Mais, nous essayons de trouver des solutions alternatives pour faire des productions dans ces Dac-là. Dans le cadre du programme hivernal, nous avons lancé des campagnes à Keur Samba Kane et à Sangalkam pour accompagner les producteurs de ces zones, et nous espérons en 2024 terminer et livrer ces Dac. A côté, il y a les Dac de la deuxième génération, qui ont été financés par la Banque islamique de développement (Bid) à hauteur de 59 milliards dont 47 pour la Bid et le reste pour la contrepartie de l’Etat du Sénégal. A un moment, les activités ont été freinées, mais actuellement, nous avons vraiment repris les choses en main et les travaux ont démarré dans la région de Louga, à Boulel (Kaffrine), Niombato (Foundiougne) et à Facourou (Kolda). Les travaux ont démarré et nous espérons au 31 décembre 2024, que ces Dac seront livrés. Et cela permettra de réinsérer les jeunes incubés dans les Dac.

Est-ce que ce n’est pas également le moment de penser à améliorer le portefeuille, à faire des travaux sur des routes pour une plus grande exploitation ? On voit que notre pays est souvent confronté à des ruptures de stock comme l’oignon et autres…, est-ce qu’il ne faudrait pas essayer de voir ce qu’il y a à faire pour améliorer notre production dans d’autres secteurs ?
C’est ce que nous sommes en train de faire parce que nous avons deux missions. Une mission de création d’emplois à travers l’incubation, mais aussi, nous voulons la mission de participer à la souveraineté alimentaire. Dans le cadre du programme d’appui dans les zones des Dac, nous avons fait focus sur une spéculation : le maïs. Le  Sénégal importe chaque année, plus de 400 mille tonnes de maïs. Et nous avons vraiment fait focus sur le maïs pour au moins participer à améliorer la production de maïs au Sénégal. Et pratiquement dans la zone du sud-est, nous avons vraiment emblavé des produits de maïs pour participer à cela et c’est l’essence-même du programme, c’est-à-dire participer pleinement à la souveraineté alimentaire.

Pourquoi pas le blé, qui est en expérimentation à Sangalkam ?
Le blé est en expérimentation à Sangalkam. J’ai reçu des boulangers et producteurs qui sont intéressés par le Dac de Keur Momar Sarr, dans la région de Louga, près du Lac de Guiers. Et nous travaillons sur un projet de convention avec eux, pour expérimenter le blé qui est au niveau du Dac de Keur Momar Sarr.

Par rapport aux objectifs initiés, est-ce qu’on peut dire qu’on a atteint les objectifs que l’Etat avait fixés en lançant ce projet-là ?
C’est un programme extrêmement important sur lequel le Président fonde beaucoup d’espoir. Le Programme des domaines agricoles communautaires a été créé en 2014 et a pour objectif la création au minimum de 300 mille emplois. Au départ, il était prévu de réaliser 10 Dac à travers le Sénégal, et cela devrait permettre de créer 30 mille emplois directs au niveau des Dac et 270 mille hors Dac parce que 30 mille emplois directs, ce sont 90 mille incubés au niveau des Dac. Et dans ces 90 mille, chaque incubé devrait retourner dans sa région d’origine pour après formation, avoir son propre projet, et incuber à son tour deux jeunes, ce qui revient à 270 mille plus les 30 mille, ça fait 300 mille emplois. Et c’est un objectif que l’on peut atteindre, et qu’on va atteindre. Quand on aura en 2024 9 Dac opérationnels, les 5 de la première génération et les 4 de la deuxième génération, nous avons aussi en ligne de mire 3 autres projets de Dac. C’est le troisième portefeuille de projets à Matam, Notto Diobasse et à Tambacounda.

Donc, en fin 2024, nous voulons 9 Dac opérationnels et cela va nous permettre d’aller vers l’atteinte de ces  objectifs. Maintenant, un programme est une dynamique. Nous avons eu à rencontrer des difficultés dans le déroulement et dans l’exécution du programme, le Covid-19, mais aussi le contentieux avec l’entreprise israélienne Green 2000, mais nous sommes dans une bonne dynamique. Donc, je suis sûr qu’avant la fin de l’année 2024, nous allons vers l’atteinte des objectifs et incuber 5000 jeunes. Donc, cela participera à l’atteinte de nos objectifs.

Avez-vous une idée du nombre de jeunes qui ont été incubés ?
Depuis 2014, des centaines de jeunes ont été incubés. Bien sûr, un programme, c’est une dynamique, nous avons eu à rencontrer des difficultés, mais nous sommes sur la bonne voie. Avant la fin de l’année 2023, nous allons incuber plus de 300 jeunes. Et avec la réception des Dac de deuxième génération, nous sommes en train de faire des aménagements au niveau des Dac de première génération qui vont augmenter  nos capacités d’accueil. Donc, nous allons incuber plus de 5000 jeunes. Et chaque année, nous allons faire des investissements en travaillant avec d’autres partenaires et structures de l’Etat. Nous préparons une convention avec l’Agence nationale d’insertion et de développement agricole (Anida), qui a plus de 672 fermes à travers le Sénégal. Donc, de notre côté, nous allons faire ce travail d’incubation parce que notre cœur de métier est l’incubation. Et pour que ces jeunes-là soient redéployés dans les fermes, nous allons travailler avec les instruments financiers comme la Der et le Fongip pour accompagner les jeunes incubés au niveau de ces Dac dans leur région d’origine. Il y a aussi dans le cadre de la formation avec la 3Fpt, une convention qui est en cours. Donc, il y a un travail de complémentarité à faire avec les autres structures de l’Etat et comme ça, nous arriverons à atteindre les objectifs qui nous ont été assignés.

Il faudra peut-être aller beaucoup plus loin pour fixer ces jeunes dans leur terroir. On voit la «Jakartisation de Dakar». Pour tous ces jeunes-là, soit ils ne sont pas informés de ça, soit ne sont pas outillés. Que va-ton faire pour fixer tous ces jeunes-là dans leur terroir où se trouvent les Dac et les incuber…
C’est la mission principale du Prodac : fixer les gens dans leur terroir. C’est pour cela que le chef de l’Etat a aménagé de vastes étendues de terre dans les régions du Sénégal, pour intéresser les jeunes aux métiers de l’agriculture. Donc, c’est vraiment l’objectif du Prodac. Et nous sommes en train de jouer notre partition à ce niveau-là. Nous allons augmenter notre capacité pour accueillir le maximum de jeunes, les former et leur montrer que c’est possible. Et à travers l’agriculture, on peut vivre dignement dans sa ville ou son village d’origine, et ce travail est en train d’être fait. A ce niveau-là, je pense que l’Etat a mis en place pas mal d’instruments. Dans les zones rurales, comme le Prodac, l’accompagnement des 3Fpt, l’Anida, l’Onfp, je pense que ces projets de l’Etat arrivent en maturation et ce sera une réponse aux problèmes de l’emploi au Sénégal.

Peut-être avez-vous aussi une réponse à apporter par rapport à l’émigration irrégulière et à lutter contre le phénomène. Vous êtes aussi dans ce domaine-là ?
La question de l’emploi est complexe. La question de la migration l’est beaucoup plus encore, parce qu’il y a beaucoup de paramètres en jeu. Mais notre rôle aujourd’hui, c’est de donner de l’espoir aux jeunes Sénégalais. C’est ce qu’on est en train de faire, à travers le programme des domaines agricoles communautaires, accueillir les jeunes, les former, leur montrer qu’ils peuvent porter des projets rentables qui leur permettraient de vivre dignement dans leur région d’origine. Donc, nous participons pleinement à la lutte contre le chômage des jeunes et nous voulons montrer aux jeunes que c’est bien possible de réussir ici au Sénégal. Aujourd’hui, le chef de l’Etat a lancé beaucoup d’initiatives en direction des jeunes, et si ce projet arrive à maturation, nous allons régler le chômage et fixer les jeunes ici au Sénégal. Donc, c’est vraiment notre mission. Chaque année, 200 mille jeunes entrent dans le marché de l’emploi, et le Prodac jouera sa partition. Ce qui est essentiel, c’est de redonner espoir aux jeunes.

Est-ce que les jeunes qui sont dans les zones où sont implantés les Dac sont suffisamment informés et sensibilisés de la présence de ces structures-là, ce qu’elles font pour changer leur situation ?
Nous communiquons dans les zones d’implantation des Dac à travers des radios communautaires et nous organisons des journées de sensibilisation pour donner les informations qu’il faut à la jeunesse, à travers aussi nos réseaux sociaux. Nous  communiquons vraiment pour montrer aux jeunes notre disponibilité à les accueillir, les former pour les accompagner, pour en faire des entrepreneurs agricoles.

En tant que coordonnateur du Prodac, quelles sont les perspectives ?
Déjà en 2024, nous espérons vraiment que nous allons rendre opérationnels et fonctionnels les 5 Dac de la première génération et terminer les travaux pour les 4 autres de la deuxième génération, et trouver des financements pour  le troisième portefeuille de projets pour les Dac de Matam, Notto Diobasse et Tambacounda.

Et en 2024 déjà, quand nous aurons 9 Dac fonctionnels, nous pourrons vraiment accroître nos capacités d’accueil, incuber et former le maximum de jeunes possible et leur offrir des possibilités d’emploi au sein des Dac, et les accompagner pour ceux qui seront appelés à retourner dans leur village d’origine et à créer leur propre business, pour ainsi jouer leur partition dans la lutte contre le chômage.

En parlant de lien, est-ce qu’il ne faudrait pas aussi essayer de voir au niveau étatique avec les différentes composantes qui tournent autour de l’agriculture ?
Au sein des Dac, nous avons des infrastructures, des tracteurs, des machines pour la transformation des produits agricoles. Mais en parallèle, nous travaillons avec les structures de l’Etat. Donc, ensemble, il y a cette collaboration avec les structures de l’Etat, parce que nous avons la même mission, c’est-à-dire répondre aux besoins des populations.

Souvent on a des soucis, c’est la post-production. Comment gérer tout ça ?
C’est une chaîne. Nous sommes dans la production, dans la formation et dans l’accompagnement aussi. Et à ce niveau-là, tout est organisé. Nous sommes tout le temps en contact avec les potentiels acheteurs, pour que la production puisse vraiment être écoulée.

Vous êtes également président du Conseil départemental de Goudiry, qui est une zone frappée par l’émigration aussi….
C’est une zone de départ. Donc, c’est un département qui était en retard en termes d’infrastructures. Bon, il y a eu des améliorations. Et le chef de l’Etat, qui a compris l’équité territoriale, qui, il faut le dire, nous a beaucoup aidés et accompagnés. Des centaines de kilomètres de pistes ont été réalisées dans le département de Goudiry. Des villages ont été électrifiés, dotés de forages, d’infrastructures de santé. Donc, il y a une nette amélioration à ce niveau-là. C’est un département à fort potentiel, c’est d’autant plus vrai qu’il constitue le plus vaste au Sénégal, avec plus de 17 mille km2. C’est un département où la pluviométrie est assez bonne. Maintenant, à ce niveau-là, il y a une amélioration en termes d’accès aux infrastructures. Il faut que l’Etat nous accompagne davantage pour qu’on puisse mettre en place de grands projets pour accompagner les jeunes de Tambacounda. Et le président de la République nous a instruits, lors du dernier Conseil des ministres de Tambacounda, de réaliser un Dac communautaire à Tamba. Donc, nous travaillons sur ça et je suis sûr que nous arriverons à stopper l’émigration irrégulière en redonnant espoir à nos jeunes, en les accompagnant pour qu’ils puissent vraiment être des entrepreneurs compétents et valoriser le potentiel de la région.

Souvent les collectivités territoriales ont des soucis de ressources. Comment faites-vous pour les prendre en charge ?
Au niveau du Conseil départemental que je préside, nous recevons les ressources de l’Etat. Les fonds de dotation et d’équipements, mais nous misons beaucoup sur la coopération décentralisée mais aussi sur un potentiel qui est important comme les migrants qui sont installés depuis des années en France. Et nous avons à travers la coopération décentralisée avec nos parents immigrés en France, en Espagne et à travers d’autres pays du monde, participé à la réalisation d’infrastructures dans notre département. Nous avons, avec l’Association des ressortissants du département de Goudiry, réalisé un lycée moderne. Et actuellement, nous sommes aussi sur un projet de centre de santé moderne avec l’Association de la Fédération des associations de la région de Tambacounda. Donc, c’est un ensemble et chacun joue sa partition. Et il y a l’Etat qui a un rôle à jouer, les collectivités territoriales, mais nous ne devons pas nous limiter aux transferts des fonds de l’Etat, mais trouver des partenaires stratégiques comme à travers la coopération décentralisée pour améliorer les conditions de vie de nos populations.

Les attentes des populations sont toujours élevées en dépit de la limitation des mandats ?


Ce n’est pas facile. Mais les gens ont pu constater depuis quelques années que nous sommes sur la bonne voie. Il y a eu des améliorations. Maintenant, ce que nous demandons à l’Etat, c’est d’achever la réforme de l’Acte 3 de la décentralisation parce que, il faut le dire, les départements ne disposent pas de fiscalité. Sur le plan interne, nous ne pouvons compter que sur les ressources transférées. Et à ce niveau-là, nous sommes dans des zones où il y a énormément de potentialités de ressources forestières et autres. Je pense qu’à ce niveau-là, il faut revoir cela et permettre aussi à une collectivité territoriale de pouvoir disposer de ressources pour mieux impulser les politiques de développement.
Propos recueillis par Bocar Sakho ([email protected])

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