Que faut-il retenir du deuxième Sommet Russie-Afrique?
Après une première édition à Sotchi en 2019, la Russie organisait à Saint-Pétersbourg un Sommet Russie-Afrique les 27 et 28 juillet 2023. Qu’est-ce qui est ressorti de cette rencontre ? Éléments de réponse.
Isolé sur la scène internationale depuis le lancement de son offensive militaire en Ukraine en février 2022, la Russie a organisé son deuxième sommet Russie-Afrique. Les délégations de 49 pays africains, dont 17 chefs d’États, étaient réunies à Saint-Pétersbourg les 27 et 28 juillet 2023. Depuis plusieurs années, la Russie mène sur le continent africain des offensives diplomatiques et économiques assumées. D’un autre côté, le groupe privé paramilitaire russe Wagner offre ses services de sécurité aux pays et aux dirigeants qui font appel à lui. Dans ces pays, Wagner exerce une forme de prédation sur des ressources et richesses.
Pour la Russie, l’Afrique est devenue très clairement le support pour une démonstration de force sur la scène diplomatique internationale.
Francis Laloupo, journaliste et enseignant en géopolitique
À l’issue de cette rencontre, une déclaration commune a été adoptée. Elle prévoit une coopération accrue dans les domaines de l’approvisionnement alimentaire, de l’énergie et de l’aide au développement. Elle appelle à “créer un ordre mondial multipolaire plus juste, équilibré et durable, s’opposant fermement à toute forme de confrontation internationale sur le continent africain”, selon le texte publié sur le site du Kremlin. “Pour la Russie, l’Afrique est devenue très clairement le support pour une démonstration de force sur la scène diplomatique internationale”, analyse Francis Laloupo, journaliste et enseignant en géopolitique sur le plateau du 64 minutes de TV5MONDE.
17 chefs d’État présents
Le nombre de dirigeants africains présents lors de ce sommet est nettement moins important que lors du premier. 17 d’entre eux ont répondu présent. En 2019, 45 chefs d’États étaient présents autour de Vladimir Poutine à Sotchi et 54 pays africains étaient représentés.
On aurait tort de penser que l’Afrique pouvait se déplacer en bloc face au partenaire russe.
Francis Laloupo, journaliste et enseignant en géopolitique
Trois présidents n’ont pas souhaité apparaître sur la photo de famille. Il s’agit du président congolais Félix Tshisekedi, de son homologue comorien Azali Assoumani, qui est aussi président de l’Union Africaine et du président de Guinée-Bissau Umaro Sissoco Embalo. Ils ne souhaitaient pas apparaître aux côtés de putschistes. “C’est dans la logique de principe de l’Union Africaine, estime Francis Laloupo. Les pays où on a pu observer des putschs depuis 2020 sont sous le coup de sanctions de la part de l’Union Africaine.”
“On aurait tort de penser que l’Afrique pouvait se déplacer en bloc face au partenaire russe, poursuit le journaliste. Ceux qui sont présents ne sont pas du même bloc politique, il y a une diversité de sentiments et de sensibilités. Le discours du chef d’État sénégalais Macky Sall est très différent par exemple du discours du Capitaine Traoré, président de transition du Burkina Faso ou de celui d’Assimi Goïta du Mali.”
La guerre en Ukraine au centre des discussions
Le conflit entre la Russie et l’Ukraine fait partie des points importants évoqués lors de ce sommet. Vladimir Poutine a affirmé examiner “attentivement” les propositions africaines pour trouver une solution à ce conflit. « Cela signifie beaucoup, car avant, les missions de médiation étaient monopolisées par des pays ayant soi-disant une démocratie avancée. Maintenant, l’Afrique est prête à aider à résoudre des problèmes semblant hors des zones d’intérêt prioritaire« , explique le président russe. “Nous considérons avec respect vos initiatives et les étudions attentivement”, poursuit-il.
Quand il dit qu’il va considérer les initiatives de paix des pays africains, je pense que c’est purement déclaratif.
Francis Laloupo, journaliste et enseignant en géopolitique
Vers quoi cette déclaration du président russe va-t-elle mener ? “Quand il dit qu’il va considérer les initiatives de paix des pays africains, je pense que c’est purement déclaratif, estime Francis Laloupo. Vladimir Poutine a eu plusieurs occasions d’engager des pourparlers de paix avec l’Ukraine, ça n’a pas été fait jusqu’à présent.” Mi-juin, une délégation africaine s’était rendue en Ukraine, puis en Russie, pour proposer sa médiation dans le conflit en Ukraine, sans toutefois parvenir à des résultats immédiats. L’Ukraine avait alors rejeté l’offre africaine, estimant qu’elle gèlerait le conflit sans assurer un départ des troupes russes.
Le Kremlin avait lui jugé que le plan africain était « très difficile à mettre en œuvre« , tout en assurant que Vladimir Poutine avait « manifesté son intérêt pour l’examen« . Les propositions de paix africaines prévoyaient notamment une « désescalade des deux côtés« , la »reconnaissance de la souveraineté » des pays telle reconnue par l’ONU et des « garanties de sécurité » pour toutes les parties.
Inquiétude autour des céréales
Le sommet Russie-Afrique est intervenu plus d’une semaine après l’expiration de l’accord céréalier qui permettait l’exportation de grains ukrainiens par la mer Noire, malgré le conflit avec la Russie. L’expiration de cet accord suscite l’inquiétude des pays africains. Pour cette raison, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi a appelé le 28 juillet Moscou et Kiev à “trouver des solutions urgentes” sur l’exportation des céréales ukrainiennes vers l’Afrique. “J’aspire à parvenir à une solution consensuelle sur l’accord d’exportation des céréales, en tenant compte des demandes et intérêts de toutes les parties, pour mettre fin à la flambée des prix”, réclame le président égyptien.
C’est comme s’il fallait faire allégeance massivement avant de profiter d’un geste de générosité.
Francis Laloupo, journaliste et enseignant en géopolitique
La veille, Moscou a promis de livrer gratuitement des céréales à six pays africains. Dans son discours d’ouverture du sommet Russie-Afrique, Vladimir Poutine annonçait que son pays pourra “dans les mois qui viennent” livrer gratuitement jusqu’à 50 000 tonnes de céréales au Zimbabwe, à la Somalie, à l’Erythrée, au Mali, à la Centrafrique et au Burkina Faso. “Le discours de Vladimir Poutine est totalement édifiant”, estime Francis Laloupo. Pour les pays qui ne sont pas concernés par la promesse du président russe, “c’est comme s’il fallait faire allégeance massivement avant de profiter d’un geste de générosité”, poursuit-il.
Entre la Russie et les pays africains, qui a obtenu des avantages de cette rencontre ? “Je pense que chacun y trouve son compte, explique Francis Laloupo. Il y a certains dirigeants qui sont fortement alliés à la Russie et qui tirent profit de ce sommet et d’autres qui y sont pour des raisons simplement protocolaires, comme le président comorien ou Macky Sall.”