Collisions en cascade et radiations: pourquoi la multiplication des satellites inquiète les scientifiques
Embouteillages dans l’espace. Les experts s’inquiètent du nombre croissant d’objets en orbite autour de la Terre. Depuis 2019, SpaceX a dû procéder à plus de 50.000 manœuvres d’évitement avec ses satellites Starlink. Les scientifiques redoutent un scénario catastrophe semblable à celui du film “Gravity”, avec des collisions en chaîne, créant ainsi de plus en plus de débris spatiaux.
Les satellites Starlink de SpaceX ont été contraints de faire plus de 25.000 manœuvres d’évitement entre le 1ᵉʳ décembre 2022 et le 31 mai 2023 pour éviter des approches potentiellement dangereuses d’autres engins spatiaux et de débris orbitaux, selon un rapport déposé auprès de la Commission fédérale des communications (FCC) des États-Unis. C’est environ le double du nombre de manœuvres signalées par SpaceX au cours du semestre précédent, qui s’étendait de juin à novembre 2022. Depuis le lancement du tout premier vaisseau en 2019, les satellites de la société d’Elon Musk ont été contraints de se déplacer plus de 50.000 fois pour éviter des collisions.
Cette augmentation spectaculaire inquiète les experts, qui craignent que la sécurité des opérations dans l’environnement orbital devienne bientôt incontrôlable.
Orbite saturé
Actuellement, la constellation Starlink de première génération est composée de plus de 4.000 satellites en orbite, et Elon Musk prévoit de l’étendre à près de 12.000 vaisseaux au cours des prochaines années. La deuxième génération pourrait quant à elle en compter jusqu’à 30.000.
Mais d’autres entreprises ont également les yeux rivés vers l’espace. Amazon et son projet Kuiper ou encore la Chine avec Guowang tentent, eux aussi, d’obtenir des créneaux orbitaux. De quoi faire exploser les chiffres: le nombre d’objets spatiaux en orbite autour de la Terre pourrait ainsi franchir le cap des 100.000 d’ici à la fin de décennie.
“Si nous prévoyons d’avoir 100.000 satellites actifs d’ici à la fin de la décennie, le nombre de manœuvres effectuées collectivement par tous les opérateurs d’engins spatiaux sera tout simplement énorme. Ce sera comme conduire sur l’autoroute et faire une embardée tous les 10 mètres pour éviter une collision”, explique Hugh Lewis, professeur d’astronautique à l’université de Southampton au Royaume-Uni et spécialiste de l’impact des méga-constellations sur la sécurité orbitale, dans les colonnes du site spécialisé Space.com.
Scénario catastrophe
“Actuellement, tous les six mois, le nombre de manœuvres effectuées double”, expose encore Hugh Lewis. “Il a été multiplié par 10 en seulement deux ans, et si l’on fait des projections, il y en aura 50.000 au cours du prochain semestre, puis 100.000 au cours du suivant, puis 200.000, et ainsi de suite.”
Si la tendance se poursuit, d’ici 2028, les satellites Starlink devront donc manœuvrer près d’un million de fois par semestre pour minimiser le risque de collisions orbitales.
Si les autorités ne limitent pas le nombre de satellites en orbite, les collisions deviendront bientôt un élément normal de l’activité spatiale. Et ces collisions entraîneraient une croissance rapide du nombre de débris spatiaux totalement incontrôlables… qui conduiraient à des collisions de plus en plus nombreuses. C’est ce qu’on appelle le syndrome de Kessler, dépeint dans le film “Gravity”. Une cascade infinie de collisions pourrait ainsi rendre certaines parties de l’environnement orbital complètement inutilisables.
Radiations
Ce n’est pas le seul problème posé par les appareils Starlink. La constellation de satellites émet également des radiations nocives pour l’astronomie dans l’espace lointain, selon une étude publiée dans la revue Astronomy & Astrophysics. Grâce au téléscope LOFAR, composé d’antennes connectées réparties dans toute l’Europe, les scientifiques ont mesuré un bourdonnement radio à basse fréquence provenant de 47 des 68 satellites Starlink. “Cette gamme de fréquences comprend une bande protégée entre 150,05 et 153 MHz, spécifiquement allouée à la radioastronomie par l’Union internationale des télécommunications”, explique Cees Bassa, astronome à l’Institut néerlandais de radioastronomie et co-autrice de l’étude.
“Cela nous inquiète non seulement pour les constellations existantes, mais encore plus pour celles qui sont prévues”, ajoutent les chercheurs, qui soulignent “l’absence d’une réglementation claire qui protège les bandes de radioastronomie contre les rayonnements non intentionnels.”
SpaceX a déjà travaillé avec des astronomes et des observatoires pour aider à atténuer les impacts involontaires de ses satellites. L’entreprise a par ailleurs déjà pris contact avec les auteurs de l’étude, et aurait introduit des modifications de conception de ses appareils qui pourraient empêcher l’émission involontaire d’ondes.
“Nous pensons que la reconnaissance précoce de cette situation donne à l’astronomie et aux opérateurs de grandes constellations l’occasion de travailler ensemble sur des solutions techniques proactives, parallèlement aux discussions nécessaires à l’élaboration de réglementations appropriées”, commente Gyula Jozsa, un des co-auteurs de l’étude.