Bassin de l’Anambé de Vélingara : Le pari de l’autosuffisance en riz
Avec une production annuelle estimée à 25 109 tonnes de riz en 2022, le bassin de l’Anambé est l’un des poumons rizicoles du Sénégal. Grâce à sa multitude de variétés de riz, sa terre fertile et son eau continue, conjuguées aux énormes efforts consentis par l’État, ce bassin cultive la lueur d’espoir des producteurs à atteindre l’autosuffisance en riz du pays.
VÉLINGARA– Quinquagénaire perchée sur son 1 mètre 78, Woudé Cissé est à la tête d’un groupement de femmes qui s’activent dans la riziculture dans le secteur G du bassin de l’Anambé regroupant les producteurs de riz des communes de Kounkané, Kandiaye et Saré Coly Sallé du département de Vélingara (région de Kolda). Elle et ses camarades cultivent des dizaines d’hectares de riz. Ce travail leur permet non seulement de manger à leur faim, mais aussi et surtout de gagner de l’argent et faire de petites économies. Une aubaine pour ces braves dames habituées aux travaux champêtres et peinant à tirer leur épingle du jeu. Woudé Cissé ne cache pas sa satisfaction. Selon cette dame qui dirige un groupement d’une centaine de femmes, la riziculture fait vivre dans ce bassin. « J’exploite le périmètre rizicole de mon défunt époux. Quand j’ai perdu mon mari, j’ai convaincu mon fils de rentrer au bercail. Depuis, nous travaillons ensemble la terre », se réjouit-elle. Aujourd’hui, indique Woudé, avec l’arrivée d’Alpha Bocar Baldé à la tête de la Sodagri, les femmes sont mieux impliquées dans la riziculture dans le bassin de l’Anambé. Cela, grâce à un meilleur accès aux financements. Elle estime que si le rythme est respecté, il est bien possible d’arrêter les importations du riz.
Cet après-midi-là, sa voisine de champ, Adja Fatoumata Mballo, a le sourire en coin. Surnommée « dame de fer » pour son courage et son amour du travail, cette femme au visage ridé est l’une des pionnières de la culture du riz dans le secteur G du bassin de l’Anambé. Très respectée par ses pairs, Adja s’active dans la riziculture depuis plus d’une trentaine d’années. L’enfant de Koulito Mballo Counda Thierno, dans la commune de Saré Coly Sallé (département de Vélingara), s’est peu à peu fait une place sous le soleil ardent de l’Anambé. « Je travaille avec une société privée de la place dans le bassin depuis plus de trois décennies. Nous cultivons en saison des pluies et en contre-saison. Chaque année, nous récoltons des centaines de tonnes de riz. Le hic, c’est que nous réceptionnons tardivement les intrants ; ce qui impacte négativement les rendements de la production », geint-elle. Adja Fatoumata Mballo de déplorer l’émigration clandestine qui ne cesse de faire son lot de morts et de damnés à Vélingara. « Nous invitons, dit-elle, nos enfants à ne pas s’aventurer dans les voyages périlleux, sources de maux et de morts. Nos terres sont fertiles, mais les jeunes refusent de travailler. Il y a peu, nous avons appris la mort tragique d’un jeune de notre village noyé dans la Méditerranée. Ils doivent bannir cette aventure fatale et rester sur place pour exploiter les énormes possibilités qui s’offrent à eux ».
Variétés de riz, matériel lourd et retard de paiement…
Avec près de 16 000 hectares de terres cultivables, dont 5 000 déjà aménagés, le bassin de l’Anambé est une niche de richesses et d’opportunités. Cette étendue de terres fertiles, plongée dans une zone marécageuse de Vélingara, offre plusieurs possibilités aux producteurs. Ici s’activent plus de 2000 riziculteurs et rizicultrices familiaux, intentionnels, communautaires et conventionnels. Dans ce coin perdu de Vélingara, les producteurs ont une large palette de choix. Plusieurs variétés de riz y sont cultivées. Avec des rendements plus ou moins bons, les producteurs de riz du bassin se frottent les mains.
Le défi du matériel et des intrants relevé
Âgé de 76 ans, El Hadji Malick Dia est un grand producteur de riz du bassin de l’Anambé. L’édile de la commune de Kandia (département de Vélingara) s’active dans l’agriculture depuis 1972, mais c’est en 2000 qu’il s’est lancé dans la riziculture. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il tire son épingle du jeu. De 2000 à 2014, se souvient le vieux, il y avait de sérieux problèmes au niveau du bassin de l’Anambé faute de matériel et d’intrants suffisants. Mais, depuis la venue du Président de la République, Macky Sall, dans la zone, en 2014, « beaucoup de choses ont changé. Sa rencontre avec les producteurs a permis de lever les équivoques et de démultiplier les productions », dit-il. El Hadji Malick Dia évolue dans le secteur 5 à Dialikégny, dans la commune de Kandia. Il conduit le Gie « Dia-counda » qui exploite 120 hectares de terre du bassin de l’Anambé et offre ses services agricoles à 71 personnes, et de façon individuelle. « L’année passée, il y avait un problème d’engrais, mais notre Gie en a eu suffisamment. Notre principal souci, c’est l’obtention du matériel lourd (des tracteurs pouvant labourer les champs pendant la saison sèche) parce que seuls ces engins modernes sont capables de retourner la terre en cette période pré-hivernale. Les petits tracteurs que nous détenons ne peuvent pas faire l’affaire. Pis, si la terre est humide, elle devient encore très difficile à labourer », déplore-t-il. « Que l’État nous accompagne à avoir des tracteurs lourds qui peuvent faire le job. Actuellement, je loue le grand tracteur à 47 000 FCfa pour labourer une seule parcelle. Nous contractons des prêts au niveau des banques et le remboursement est immédiat. Donc, si l’État tarde à payer nos factures, cela pose problème et impacte négativement notre travail. Mais, si on nous paie nos factures à temps et on nous livre du matériel lourd, c’est possible d’atteindre l’autosuffisance en riz de la zone et partant, de tout le pays », promet El Hadji Malick Dia.
Même cri du cœur de Mamadou Dian Diallo, président des Associations des producteurs des semences des régions de Kolda, Ziguinchor, Sédhiou et Tambacounda. « J’exploite des terres dans le bassin de l’Anambé et je suis dans la riziculture depuis 1976. Ici, l’État a consenti beaucoup d’efforts en nous livrant plus de 800 tonnes de semences. C’est un ouf de soulagement. Mais, nous avons besoin de matériel lourd : des tracteurs de 120 chevaux, des machines scéniques, entre autres. Avec cela, nous pouvons atteindre l’autosuffisance en riz dans la région de Kolda et de toute la Casamance », promet cet ancien employé de l’Isra où il a passé 25 ans. Toutefois, se plaint Diallo, depuis deux ans, l’État tarde à payer les factures. « Personnellement, l’État me doit 80 millions de FCfa. Cela freine toutes mes activités et celles des mutuelles d’épargne qui s’activent dans la riziculture dans le bassin de l’Anambé ».
L’année 2022, en contre-saison, sur les 800 hectares de riz cultivés, les producteurs ont récolté 4400 tonnes de riz dans le périmètre aménagé du bassin de l’Anambé. Et pendant l’hivernage, les services techniques de la Sodagri ont noté 3982,5 hectares de riz cultivés, avec une production hivernale de 20 709 tonnes de riz. Le cumul contre-saison et hivernage fait une production annuelle de 25 109 tonnes de riz en 2022. Le bassin de l’Anambé compte cinq secteurs regroupés en unions hydrauliques. Il s’agit des secteurs 1 et 2 qui forment une union hydraulique. Aussi, 3 et 4 en constituent une, de même que le secteur 5.
« L’État a consenti beaucoup d’efforts dans le bassin de l’Anambé… »
Le bassin de l’Anambé compte 16 1000 hectares de terres, dont 5 000 déjà aménagés. Plusieurs variétés de riz sont cultivées dans le périmètre. Mais, nous avons des variétés qui prédominent dans la zone. Il s’agit du Sahel 108, 110, 101, 122, 177, 201 et 202, du Nérica 4, 6 et 8 et L19, de l’Orulyx 6, du Wita 9, etc. L’État a consenti beaucoup d’efforts par rapport aux équipements agricoles et à l’accès aux intrants subventionnés dans le bassin de l’Anambé. Par ailleurs, on ne peut pas empêcher les lenteurs administratives ; les producteurs étant souvent pressés d’empocher leur argent. Mais, l’État paie toujours les factures.
Ibrahima KANDÉ (Correspondant) LE SOLEIL