Présidentielle en Turquie: Sinan Ogan, le « troisième homme » qui peut peser lourd

Une des surprises du premier tour de l’élection présidentielle turque aura été la percée du candidat ultra nationaliste Sinan Ogan. Il a récolté plus de 5% des voix. Vers qui les votes qu’il a obtenus vont-ils se reporter pour le second tour ? Décryptage.

Il a créé la surprise en récoltant 5,2% des suffrages exprimés au premier tour de l’élection présidentielle en Turquie. Le candidat indépendant Sinan Ogan, soutenu par une petite coalition d’extrême droite, est arrivé troisième, derrière Kemal Kiliçdaroglu (45%) et Recep Tayyip Erdogan (49,5%) dimanche 14 mai. “C’est un score qui était un peu inattendu”, estime Jean Marcou, enseignant chercheur à Sciences Po Grenoble. 

Tous les regards sont désormais tournés vers Sinan Ogan. En effet, l’issue du second tour dépendra d’où se placeront les voix du troisième homme, dissident du Parti d’action nationaliste (MHP) classé à l’extrême droite de l’échiquier politique turc. Il n’a pas encore annoncé s’il soutiendrait l’un des deux candidats encore en lice. Le candidat déchu doit d’abord consulter son entourage avant de se prononcer, à savoir ses partenaires de la coalition de quatre partis nationalistes qu’il représente, l’Alliance ancestrale. 

Comment expliquer l’importance du nationalisme ? 

Le nationalisme est une composante du paysage politique turc”, relève Umut Özkirmli, chercheur à l’institut de recherches internationales de Barcelone (Ibei), dans un entretien à l’AFP. C’est “une constante depuis les années 1990.” Lors des élections législatives organisées simultanément avec la présidentielle, les différentes formations nationalistes ont recueilli 22% des voix. Cette percée électorale peut s’expliquer par la question des réfugiés syriens vivant en Turquie, qui, selon Jean Marcou, a été oubliée au cours de la campagne.  

Au total, près de 3,5 millions de réfugiés syriens se trouvent actuellement en Turquie. Dans son allocution après les résultats de l’élection présidentielle, Sinan Ogan a posé les conditions de son soutien. “Ce que je veux est clair, c’est le départ des Syriens, déclare-t-il. Tous les réfugiés doivent rentrer chez eux. Le candidat qui est d’accord avec cela et qui met cette politique en pratique, je voterai pour lui.” 

Sinan Ogan considère les réfugiés syriens responsables des maux dont est victime la Turquie. “C’est à cause des Syriens que nous n’avons pas la tranquillité, s’insurge-t-il. À cause d’eux que les jeunes n’arrivent pas à trouver du travail, car les Syriens travaillent à des salaires plus bas, sans la sécurité sociale. C’est à cause d’eux aussi que les loyers augmentent.” La majorité des partis politiques turcs ont des politiques plus dures à l’encontre des réfugiés syriens. Cela est dû à la crise économique qui frappe le pays, qui se traduit par un très fort taux d’inflation. 

Le droit international ne permet pas de renvoyer comme cela des réfugiés contre leur volonté dans un pays qui est quand même encore en guerre.

Jean Marcou, enseignant chercheur à Sciences Po Grenoble

Or, est-ce que conditionner un soutien électoral à la promesse du départ des réfugiés est une position tenable ? “Souvent, ces réfugiés sont restés en Turquie parce qu’ils le voulaient, analyse Jean Marcou. Leur situation était souvent plus stable qu’un incertain départ vers l’Europe.” Par ailleurs, cette question dépasse les frontières turques. “Le droit international ne permet pas de renvoyer comme cela des réfugiés contre leur volonté dans un pays qui est quand même encore en guerre, explique l’enseignant-chercheur. Par dessus le marché, dans un pays dont le régime est connu pour ses violations vis-à-vis des droits humains.” 

Une issue incertaine

Dans une interview accordée le 15 mai à l’agence de presse Reuters, Sinan Ogan explique que son but est d’enlever deux partis politiques à majorité Kurde, parmi lesquels l’HDP, de “l’équation politique” de la Turquie, mais aussi de soutenir les nationalistes et laïcs turcs. À ce niveau-là, Erdogan se rapproche de lui en raison de son rejet de la minorité kurde en Turquie. Ogan signale également qu’il est ouvert à la négociation à la fois avec Erdogan et Kiliçdaroglu “en fonction de leurs principes.” « Par exemple, nous pourrions signer un protocole avec l’Alliance Nationale (pour soutenir Kiliçdaroglu) afin d’indiquer clairement qu’ils ne feraient aucune concession au HDP. C’est aussi simple que cela« , déclare-t-il.

 “Sinan Ogan accuse l’alliance de l’opposition de s’être acoquinée avec les Kurdes”, analyse Samim Akgönül, directeur du département d’études turques de l’université de Strasbourg, interrogé par France Info. Selon lui, cela place le candidat de l’opposition dans une position délicate : il pourrait perdre l’électorat kurde en se pliant aux conditions d’Ogan, ou ne pas bénéficier du soutien de l’extrême-droite en restant sur ses positions.

Sinan Ogan est-il plus proche d’un candidat que d’un autre ? “Quand on regarde la question des réfugiés, on peut penser paradoxalement qu’il est plus près de Kiliçdaroglu que d’Erdogan”, analyse Jean Marcou. Cependant, le nationalisme d’Ogan le rapproche à la fois d’Erdogan et l’en éloigne”, dans la mesure où “idéologiquement, il est assez proche de celui de Devlet Bahçeli (NDLR : leader du parti de l’Action nationaliste, partenaire de l’AKP d’Erdogan)”, mais “quand on regarde bien, Sinan Ogan a été un de ceux qui a contesté Devlet Bahçeli en 2016”, lors de la scission des nationalistes. 

Sinan Ogan a autant de raisons de soutenir Erdogan que de soutenir Kiliçdaroglu.

Jean Marcou, enseignant chercheur à Sciences Po Grenoble

Sur le plan politique, Sinan Ogan est un candidat qui “a autant de raisons de soutenir Erdogan que de soutenir Kiliçdaroglu”, estime Jean Marcou. “Dans ce qu’il va faire, je pense qu’il y a pas mal de raisons opportunistes”, poursuit l’enseignant chercheur. C’est-à-dire que son soutien à un candidat plutôt qu’à un autre sera conditionné à l’obtention de places dans la coalition gouvernementale. “Comme il est un dissident, ça pourrait poser des problèmes au niveau d’Erdogan”, estime l’enseignant. D’un autre côté, son soutien à Kiliçdaroglu est soumis aux conditions liées au parti kurde. “Tout ça fait qu’on a une situation qui est assez incertaine, conclut Jean Marcou. On attend avec intérêt la décision de Sinan Ogan.”

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