Turquie: Erdogan en perte de vitesse même dans ses fiefs électoraux
(Rfi.fr) – C’est « l’élection du siècle » pour les Turcs. Ce dimanche 14 mai, les élections présidentielle et législatives ont lieu en Turquie. Recep Tayyip Erdogan, après vingt ans au pouvoir, est de nouveau candidat. Face à lui, Kemal Kiliçdaroglu leader de la coalition d’opposition. Les sondages donnent un résultat très serré entre les deux candidats. Erdogan est en perte de popularité, même sur ses terres électorales.
À Nurdagi, dans le district de Gaziantep, la ville n’existe plus depuis le séisme du 6 février. 80% des immeubles sont tombés ou ont été rasés après le séisme. En train de s’affairer à réparer une pelleteuse, il y a Ali, père de famille d’une quarantaine d’année. Il désigne l’immeuble où il vivait avec sa famille : « Cinq personnes y sont mortes lors du séisme ». Ali a une casquette de l’AKP sur la tête, le parti du président, c’est un fidèle électeur d’Erdogan mais cette année, il ne votera pas pour lui ni à la présidentielle, ni aux législatives. « Un parti au pouvoir depuis 20 ans aurait dû s’assurer de la sécurité dans ces immeubles. C’est leur responsabilité. J’ai toujours soutenu Erdogan jusque-là, mais cette fois avec ma famille, on ne votera pas pour lui.Le gouvernement est criminel, mais nous aussi, nous sommes coupables. Parce qu’on a voté pour lui toutes ces années et on n’aurait pas dû », raconte-t-il.
Les nationalistes du MHP en embuscade
Le maire AKP de Nurdagi a été arrêté et envoyé en prison deux semaines après le séisme. Les collusions entre le pouvoir local et certains constructeurs peu scrupuleux sur les règles d’urbanisme sont pointés du doigt par la population. Il y a cinq ans, Recep Tayyip Erdogan avait recueilli 76% des voix à Nourda, très largement au-dessus de son résultat global. Mais dans ce district de Gaziantep, les nationalistes du MHP sont en embuscade. Il reste toutefois des électeurs persuadés qu’Erdogan est la seule solution. « Je vais encore voter pour l’AKP, explique cet habitant particulièrement meurtri par le séisme. Quand j’étais enfant, on attendait des heures pour aller à l’hôpital, pour avoir de l’essence pour la voiture… C’était une fois par semaine. Tout ça a changé. Notre peuple est ingrat. Tayyip a fait de son mieux. Je respecte tous les gens qui votent pour les partis de gauche, mais on n’a rien vu de concret de leur part, on a eu aucun avantage », estime-t-il.
Erdogan joue sur sa stature, sur son omniprésence sur le plan diplomatique. Son programme baptisé « Le siècle de la Turquie » séduit toujours nombre d’électeurs.
Erdogan vu comme responsable de l’inflation
Dans le pays, l’inflation galope toujours autour des 50%, selon les autorités. En réalité, elle est bien au-dessus, selon certains économistes. Et le surendettement de la population est massif : les crédits impayés dépassent les 30 milliards de livres turques, soit environ 1,5 milliard de dollars.
Cette situation pourrait influer sur le vote. « Les gens étaient habitués à une inflation autour de 5 à 10% et d’un seul coup, nous nous retrouvons avec 80% d’inflation, donc ils prennent ça très mal, estime Haluk Tukel économiste à Istanbul et conseiller pour des entreprises. Il y a une perte de vérité politique. Les Turcs croyaient beaucoup à ce qu’Erdogan leur racontait, mais ils commencent à de moins en moins le croire. Surtout qu’il dit des choses qu’il fera s’il est réélu. Donc la question très simple que tout le monde se pose c’est : ‘Tu as été élu pendant 20 ans, pourquoi tu n’as pas fait tout ça ?‘ ».
Le prix de l’oignon est devenu le symbole de l’inflation. Sur le marché de Sultanbeily à Istanbul ce jour-là, l’oignon est à 28 livres turques le kilo et dans ce fief de l’AKP, là aussi, les mots des clients,, comme des commerçants, sont rudes contre le président sortant : « Tout le monde attend les élections, si Kemal Kiliçdaroglu prend le pouvoir, les prix baisseront j’en suis sûr », assure un vendeur. Un passant renchérit : « On fait tous des heures supplémentaires pour survivre. Demandez autour de vous, tout le monde fait des extras. Le gouvernement actuel doit partir sinon dans peu de temps, le pays sera à plat ».
Le président sortant reste largement soutenu tout de même par des électeurs plus discrets. S’ils trouvent à redire sur sa politique, ils assurent qu’ils continueront à le soutenir. Par défaut peut-être, mais ils continueront.