Turquie: dans le Hatay, l’économie dévastée après le séisme

Les élections présidentielle et législatives se tiendront dimanche 14 mai dans un contexte où l’économie turque est sur une pente glissante. L’inflation reste très élevée après un pic à plus de 85 % en octobre dernier. C’est encore plus difficile dans les régions touchées par le séisme du 6 février. La production reprend à peine dans les usines toujours debout, dans certaines villes l’économie est totalement à l’arrêt. Dans le Hatay, trois mois après, la situation est toujours très compliquée.

De notre envoyé spécial en Turquie,

Dans la ville d’Antioche, presque tous les bâtiments sont détruits. Les débris et les restes d’immeubles ont été en grande partie déblayés. C’est une ville fantôme où les milliers de victimes tentent de reprendre le cours de leur vie.

Dans un petit préfabriqué sur la principale artère, Halef Gunay est au téléphone avec un client. C’est un natif d’Antioche, propriétaire de six entreprises dans l’automobile, les camions et les transports scolaires. « Là, nous sommes dans mon bureau. L’autre n’existe plus. Je suis passé de 50 à 9 mètres carrés. Une résidence universitaire pour filles de sept étages était adossée à notre entreprise. C’était une installation illégale, le bâtiment est tombé sur nos bureaux. Vous pouvez voir les dégâts là-bas », dit-il en désignant du regard un immeuble effondré.

Une économie au point mort

Côté business, difficile de faire tourner la machine sans travailleurs. Les rescapés ont quitté la ville. Le chef d’entreprise comprend. Il espère pouvoir retrouver ses employés à un moment. « Depuis le 6 février, il n’y a plus d’économie. On essaye de ramener les gens qui ont quitté la ville pour reconstruire, raconte-t-il, installé dans son bureau de fortune. Depuis le séisme, je n’ai viré personne, j’ai toujours été derrière eux, j’avais 186 employés, maintenant, j’en ai 57 ; les autres sont partis, certains parce qu’ils ont peur, certains parce qu’ils sont blessés. »

La plaie ouverte le 6 février est encore béante. Le traumatisme est immense. Halef Gunay a perdu neuf de ses employés, dont sa secrétaire personnelle, enceinte de plusieurs mois. C’est un homme combatif, mais sévèrement atteint.

« Tout le monde est affecté. Au plus vite on reprendra les affaires, au mieux ça ira. Mais ça marquera toute une génération. On ne pourra pas oublier le traumatisme de sitôt. Mourir ici dans un tremblement de terre n’aurait pas dû être notre destin. Tout le monde est responsable, les politiciens, les gens qui ont laissé faire, les constructeurs. Je suis aussi ingénieur civil depuis 44 ans et je suis en train de reconstruire moi-même nos bureaux pour ne pas être affecté lors du prochain séisme. »

Selon lui, il faudra au minimum trois ans pour que l’économie reparte normalement dans la ville.

Un manque criant de travailleurs

La pénurie de main d’œuvre est l’un des principaux problèmes des entreprises. Il manque 20 % de travailleurs dans ces régions. Chez Hatboru, à quelques kilomètres, fabricant de tubes en acier utilisés pour les pipelines pétrole et gaz, les installations ont résisté et la production a repris. Des tentes et quelques containers ont été installés juste à côté de l’usine pour que les ouvriers puissent venir travailler.

« C’était très compliqué le premier mois, mais ça va mieux. On a perdu un peu plus de 10 % de nos effectifs et beaucoup ne veulent pas revenir, explique Memhet Kiliçlar le directeur général, la décision du gouvernement d’abaisser l’âge de départ à la retraite en décembre ne nous a pas aidés. On a perdu 26 personnes… Ce n’était pas le moment, surtout sur les zones du séisme. »

Le pouvoir critiqué

C’est tout l’écosystème économique de cette région du sud-est de la Turquie qui est touché et cela commence à poser des problèmes de trésorerie pour de nombreuses entreprises – même celles qui n’ont pas été touchées par le séisme. « Les entreprises de toute la région ont des clients à Marash ou Antioche. C’est particulièrement le cas dans l’industrie du plastique et du mobilier. Donc, ils ont perdu leurs clients et de l’argent. Ils ont besoin d’un soutien financier de la part de l’État, explique Bora Kocaman secrétaire général de la Chambre d’industrie d’Adana. Quant aux manufactures textiles, elles ont besoin de bras et de nouvelles machines pour faire face à la demande du marché. »

Dans un pays où règne l’hyperinflation, où la gestion économique du pouvoir est critiquée, cette situation dans le sud fragilise un peu plus Recep Tayyip Erdogan avant les élections.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *