Importations massives : Nouvelle bataille du sucre
Du sucre brésilien, passé par les entrepôts de Dangote à Lagos, c’est ce qu’on veut faire entrer au Sénégal sans s’acquitter des droits et taxes. La Compagnie sucrière sénégalaise se bat pour que ce produit ne bénéficie pas des faveurs des règles d’origine, mais elle ne semble pas soutenue en haut lieu. Ce qui lui fait craindre pour sa survie.
L’industriel nigérian, Aliko Dangote, finira-t-il par enterrer la Compagnie sucrière sénégalaise (Css) ? S’il y parvient, il aura bénéficié, en plus de la complicité de commerçants locaux à la recherche du gain facile, de la passivité des pouvoirs publics, et des autorités des ministères des Finances, du Commerce et de l’industrie. Sans oublier la présidence de la République. Car tout le monde sait ce qui est en train de se mijoter, et laisse faire.
On sait en effet que la pénurie actuelle de sucre sur le marché est totalement artificielle, et résulte de la rétention du sucre local par certains commerçants. Quand les consommateurs ont commencé à se plaindre de ne pas trouver leur sucre sur le marché, la Css a conduit un groupe des plus grands commerçants dans ses installations, il y a moins de 15 jours, pour montrer que non seulement le sucre était en abondance, mais qu’en plus la compagnie avait vendu 70% plus de sucre cette année que l’année dernière à la même époque. C’est dire que les commerçants devraient expliquer où ils font passer leurs produits.
En réalité, Le Quotidien a pu apprendre que depuis quelques mois, des bateaux débarquent régulièrement du sucre blanc, raffiné, conditionné dans des sacs, en provenance du Nigeria, depuis des entrepôts de Dangote, installés dans la zone franche du Port de Lagos notamment. L’industriel nigérian importe du sucre roux du Brésil essentiellement. Il le blanchit par un procédé très primaire, et le réexporte, notamment au Sénégal. Ayant évité les Douanes nigérianes, parce que destiné à l’exportation, ce sucre revient donc beaucoup moins cher que le sucre local de Dangote qui, lui, s’acquitte des droits au Sénégal, notamment la Tva.
Ce sucre venant du Nigeria, mais produit en réalité hors de la zone Cedeao, ambitionne, selon ses importateurs, de bénéficier de la clause des règles d’origine, ce qui lui permettrait de concurrencer valablement le sucre de la Css.
Cette dernière se bat de toutes ses forces pour éviter ce qui serait une catastrophe. Les dirigeants de la boîte font valoir que pour bénéficier des règles d’origine, un produit devrait avoir un minimum de 30% de valorisation avec des produits en provenance du pays membre de la communauté économique. Or, dans le cas d’espèce, le processus de «blanchiment» du sucre roux importé par Dangote n’induit même pas 10% de valorisation. Il n’est donc pas possible que ce produit puisse entrer au Sénégal sans s’acquitter des droits et taxes.
Les Douanes sénégalaises ont été sensibles aux arguments de la société basée à Richard-Toll et ont bloqué au Port de Dakar, le sucre que les négociants voudraient faire entrer sans douanes sur le territoire.
Mais comme toujours dans ces cas, les importateurs dont beaucoup ont pignon sur rue et bénéficient d’appuis politiques bien haut placés, sont en train de mettre une grande pression sur les Gabelous pour les faire céder.
Il semblerait que même le ministre des Finances et du budget, autorité de tutelle de la Douane sénégalaise, aurait demandé à cette dernière de ne pas être trop stricte. Au point que, selon certaines estimations, la semaine dernière, ce sont environ 96 000 tonnes de sucre importé qui auront été débarqué au Pad. Ce qui représenterait plus de 60% de la production de la Css.
La mort programmée de la Css ?
Aujourd’hui, des syndicalistes de la Compagnie sucrière du Sénégal sont convaincus que les autorités sénégalaises veulent laisser démanteler leur entreprise. Certains d’entre eux estiment que si le sucre nigérian entre au Sénégal, avec toutes les facilités accordées aux produits communautaires, il va conduire à la fermeture de leur usine. «Le Nigeria n’a pas une production qui puisse satisfaire le centième de ses besoins en consommation. Mais Dangote a installé au Port de Lagos, une unité de blanchissage de sucre qui est destiné à l’exportation. Mais ce sucre, moins cher parce que déjà subventionné depuis le Brésil, n’est même pas vendu au Nigeria. Et les autorités veulent qu’il entre en concurrence avec le nôtre, qui est le fruit du travail de plus de 10 000 travailleurs et détaillants sénégalais. Où est la logique de cette politique, au moment où la Css augmente sa production pour couvrir les besoins du pays ?»
Si la pénurie existe, pensent ces travailleurs, c’est parce que «les commerçants sénégalais préfèrent vendre le sucre de la Css dans les pays voisins, afin de provoquer une pénurie artificielle, qui leur permettra de jouer sur la peur de la pénurie, et obtenir des Dipa pour acheter le sucre de Dangote, qui est déjà sur place. Ainsi, ils seront gagnants sur tous les tableaux.»
Les employés soulignent que le Nigeria refuse que l’alcool produit par la compagnie sucrière soit vendu sur son territoire.
«Nous avons présenté tous les documents prouvant que cet éthanol, produit par la mélasse issue de la transformation du sucre, est un produit 100% d’origine sénégalaise. Cela n’a pas suffi. Les autorités nigérianes comme les Ghanéens nous refusent toujours l’autorisation d’exporter dans leurs pays. Et nos dirigeants ne parviennent pas à nous aider à vendre dans ces pays. Mais ils acceptent que nous subissions leur concurrence déloyale sur notre propre sol.»
Comme il faut s’y attendre, tous les commerçants ne partagent pas le point de vue de la Css.
Interrogé par Le Quotidien, l’un des plus importants négociants en sucre, parlant sous anonymat, indique que si la Compagnie nationale «produisait assez de sucre pour satisfaire les besoins du pays, elle n’aurait pas besoin de faire du chantage pour faire plier les autorités à ses désirs». Et il assure qu’effectivement, «c’est parce que la Css ne produit pas suffisamment que nous connaissons la situation actuelle».
