Qu’est-ce qui se cache derrière l’Organisation Africaine de la Russophonie ?

Depuis sa création en République centrafricaine en 2022, l’Organisation Africaine de la Russophonie cultive le secret, à l’instar de son président Émile Parfait Simb. Cet homme d’affaires camerounais dispose de solides connexions avec la Russie qui font de lui un acteur d’influence en Afrique, converti à la promotion de la langue russe sur le continent. Une ambition à dimension autant culturelle que politique.

Qu’est-ce qui se cache derrière l’Organisation Africaine de la Russophonie ? Derrière son nom qui résonne comme une institution panafricaine intergouvernementale, se trouve une nouvelle structure pour le moins discrète et qui se dit « active dans plusieurs pays d’Afrique ».

Le seul connu est la République centrafricaine (RCA), où elle a été créée en septembre 2022 à Bangui la capitale, en vertu des dispositions régissant les associations loi 61.233, sous la dénomination d’« Organisation Africaine de Russophonie : Le monde russophone en Afrique » indique son site web. Un seul nom est divulgué par l’association, celui de son président Émile Parfait Simb. Sollicité par TV5MONDE, il ne  s’exprime pas directement. Nous avons été renvoyé à une cellule de communication anonyme.

Cette dernière nous apprend qu’il a été « élu lors de la première réunion de l’Assemblée générale » et « il a fait intéresser plusieurs membres actifs et d’honneur au projet de création ».
 

Capture d'écran du site de l'Organisation Africaine de la Russophonie.

Capture d’écran du site de l’Organisation Africaine de la Russophonie.

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Qui est le président de l’Organisation Africaine de la Russophonie ?

Émile Parfait Simb est un homme d’affaires camerounais aux activités pour le moins controversées. Connu comme un des précurseurs de la cryptomonnaie sur le continent africain, il est visé par plusieurs plaintes aux États-Unis, au Canada et au Cameroun, rapporte Jeune Afrique. Mais Émile Parfait Simb a aussi des connexions avec la Centrafrique et notamment avec le président Faustin Archange Touadéra.

Qui est Émile Parfait Simb ?

Ancien enseignant vacataire en informatique, Émile Parfait Simb a fondé Global Investement Trading, spécialisé dans le trading des cryptomonnaies. L’entrepreneur camerounais a lancé la plateforme Liyeplimal qui a créé le Limocoin. Il a promis des rendements vertigineux qui rendraient rapidement millionnaires ceux qui achèteraient des Limocoin selon Jeune Afrique.


Sur son site l’entrepreneur entend éradiquer la « pauvreté avec pour objectif de créer un million de crypto-millionnaires ».  Des souscripteurs  y ont cru, souvent à leur dépends. Certains se sont constitués en collectif et ont porté plainte pour escroquerie. Des instructions judiciaires ont été ouvertes au Cameroun, Canada et aux États-Unis.

Comment cet homme en est arrivé à créer l’Organisation Africaine de la Russophonie reste un mystère bien gardé. « Il est difficile de savoir qui est à, l’initiative de cette entité », selon Kélian Sanz Pascual, chercheur associé à GEODE et analyste géopolitique chez Cassini Conseil.

Émile Parfait Simb a des liens avec la Russie mais «ils sont moins documentés qu’avec d’autres personnages comme Kemi Seba ou Nathalie Yamb» reconnait Kélian Sanz Pascual, qui a notamment travaillé sur l’activité des entrepreneurs d’influence russes en Afrique. Ces deux derniers, Béninois pour le premier et Suisso-camerounaise pour la seconde – sont des activistes très influents en Afrique qui dénoncent l’emprise néocoloniale de la France, à travers la Françafrique – c’est-à-dire des relations de connivence entre Paris et des dirigeants africains – ou le franc CFA. Selon Kélian Sanz Pascual, tous ces personnages « ont des liens plutôt troubles avec différents membres de l’Etat russe dans le sens où il y a eu des rencontres avec des sommités en Russie lors de visites ».

Où est-ce que l’OAR agit ?

Parmi les nombreuses missions que se donne l’Organisation Africaine de la Russophonie, la première  est de « promouvoir l’usage et l’étude de la langue russe et apporter un appui à ceux d’Afrique et ailleurs qui en auraient besoin ».

De la cellule de communication l’OAR, peu d’informations factuelles précises. L’association comprendrait « une centaine de membres déjà enregistrés » mais les membres fondateurs seraient une douzaine qui se partage les fonctions au sein du bureau. Leur lien ou connaissance de la Russie et la langue russe est à géométrie variable. « Pour les uns, ils ont fait des études ou des visites de tourisme, pour les autres ils ont des amis russes et fréquentent les centres culturels russes en Afrique », assure-t-on. 

Le logo de l'Organisation Africaine de la Russophonie

Le logo de l’Organisation Africaine de la Russophonie

Sont-ils russophones ou russisants ? « Tous les membres se considèrent comme étant tels ». Les pays cités qui ont des membres russophones ou russisants sont « en République centrafricaine (RCA), à Madagascar, au Togo, Ghana, en Côte d’Ivoire, en Angola, au Gabon, au Congo Brazaville et au Cameroun ». Force est de constater qu’il s’agit en majorité de pays francophones, d’Afrique subsaharienne. Difficile de n’y voir qu’une simple coïncidence, mais plutôt une appétence pour l’espace francophone.
Parmi ces pays, la République centrafricaine occupe une place de choix.

Ce qui distingue surtout la RCA ce n’est pas l’état de la russophonie qui « est très faible, mais en constante augmentation » de l’aveu même de l’OAR. La RCA a du « mérite », car elle « travaille davantage dans le renforcement de l’amitié avec la Fédération de Russie et ceci est un indicateur principal tant dans la promotion de la langue russe en Afrique centrale et même sa consolidation désormais au niveau législatif ». 

La Centrafrique nouveau berceau de la russophonie en Afrique

En Centrafrique, la russophonie bénéficie du soutien actif des autorités. La langue russe est obligatoire dans les universités centrafricaines depuis la rentrée 2022-2023. Mieux, elle pourrait jouir du nouveau statut de 3e langue officielle, au côté du français et du sango, dans la future Constitution souhaitée par le président Touadéra. Enseignée dans le secondaire, la langue de Pouchkine a sa « Maison russe  » à Bangui, à la fois école de langue, centre culturel et cinéma, dirigée par Dmitri Sytyi, l’un des protégés de Evgueny Prigojine, le patron de Wagner, la société paramilitaire russe.


Le président centrafricain Faustin Archange Touadéra lui-même s’est attaché les services de la société russe Wagner qui a fait de la Centrafrique la vitrine de son action sur le continent. Le groupe Wagner est ainsi l’instructeur des Forces armées centrafricaines. Il a aussi des activités de prédation sur les ressources du pays.

Ancienne colonie française, ravagée par une guerre civile, la République centrafricaine a opéré un changement d’alliance au profit de la Russie de Vladimir Poutine et au détriment de la France.

La trajectoire récente de ce pays illustre une véritable guerre d’influence entre Paris et Moscou qui se décline en Afrique de l’ouest, notamment au Mali et au Burkina Faso, où la France recule. 

Est-ce à dire que la russophonie veut poursuivre sur le terrain culturel et linguistique une politique de contestation des intérêts français en Afrique au service de la Russie ? « L’Organisation Africaine de la Russophonie n’est nullement un instrument de lobbying russe comme le qualifie une certaine presse », clame Émile Parfait Simb, « seuls les Africains sont à l’origine de la création de l’OAR ». Le président de l’Organisation Africaine de la Russophonie a accordé sa première interview dans ses nouvelles fonctions au premier numéro, daté du 1er trimestre 2023, du magazine papier RussAfrik, un nouveau média en ligne basé à Moscou, Russafrik.info, qui  affiche pour devise « les informations de la Russie pour l’Afrique, les informations d’Afrique pour la Russie ».

À travers ses publications, RussAfrik vante la politique du Kremlin tous azimuts, en particulier sur la guerre en Ukraine, et critique également tout ce qui touche de près ou de loin la France. On y apprend par ailleurs qu’Émile Parfait Simb est le représentant pour l’Afrique centrale de l’Alliance internationale des BRICS [Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud] Projets stratégiques pour l’éducation et le tourisme en Afrique centrale. Une promotion obtenue à Moscou.

L’Université russe de l’Amitié des Peuples à Moscou, partenaire naturel de l’OAR ?

Le président l’OAR semble avoir lié son destin avec la Russie qui a fait de lui son «représentant de l’Université de Moscou». Dans cette interview, Émile Parfait Simb liste mot pour mot l’intégralité des missions de son Organisation telles qu’elles sont énoncées sur son site. À une exception notable, à la mission cardinale de « promouvoir l’usage et l’étude de la langue russe », il ajoute, « ainsi que des cultures africaines ».
Il insiste surtout auprès de la jeunesse africaine pour l’inviter à se tourner vers la Russie, et en particulier pour y poursuivre des études. Apprendre le russe est la première étape qui ouvre cette opportunité. Il s’agit de l’axe principal de l’action actuelle menée par l’Organisation Africaine de la Russophonie.

Pour ce faire, l’OAR s’appuie sur un partenariat exclusif avec l’Université de l’Amitié des Peuples de Moscou, connue sous l’acronyme russe RUDN (Rossiskii Universitet Droujbi Narodov). Anciennement baptisée Université Patrice Lumumba, du nom du héros de l’indépendance congolaise assassiné par son successeur Mobutu avec l’appui des Occidentaux en pleine guerre froide, cet établissement n’est pas anodin.


Lors des indépendances des pays africains, en 1960 des cadres de haut niveau des pays du Tiers Monde  bénéficiaient de bourses d’études et d’une prise en charge complète pendant toute leur scolarité en URSS. Des dizaines de milliers d’étudiants africains ont passé plusieurs années loin de chez eux pour étudier toutes les disciplines possibles à la RUDN ainsi que dans de nombreux établissements supérieurs de toute l’Union soviétique, mais aussi dans les pays européens du camp socialiste. De cette époque révolue, la RUDN semble vouloir reprendre le flambeau.

Après la fin de la guerre froide, le flot d’étudiants étrangers et notamment africains s’est tari brutalement, des ambassades africaines ont même fermé et la Russie des années 1990 était d’autant moins attractive pour des étrangers qu’ils pouvaient être cibles d’un racisme anti-noir violent en pleine progression. Les bourses d’études à destination des étudiants africains ont été rouvertes dès 1996, mais le nombre de personnes en profitant est resté marginal plusieurs années avant d’augmenter.

En 2013, il y avait environ 8000 étudiants africains en Russie, et en 2018 le nombre a été estimé à environ 17 000 dont 4000 boursiers selon l’agence étatique de la coopération. « La RUDN était jusqu’à récemment très reconnue, beaucoup d’universités en France y compris à Paris avait des partenariats avec elle. Mais avec l’offensive du 24 février en Ukraine et le rapprochement de certaines institutions dont celle-là du pouvoir russe, certains liens ont été coupés. Ce fait a une influence sur les nouveaux partenariats », commente le chercheur Kélian Sanz Pascual.

Le partenariat conclu avec l’Organisation Africaine de la Russophonie s’inscrit dans ce contexte. Mais il n’est en rien comparable avec l’âge d’or des boursiers de la période soviétique. Selon Émile Parfait Simb, « l’OAR bénéficie plus de 100 bourses d’études à octroyer aux étudiants africains et chercheurs qui désirent se perfectionner en Russie dans tous les domaines ». L’OAR incite à la création de « clubs RUDN » dans des établissements secondaires et universitaires où l’objectif est d’apprendre la langue russe.

Au Cameroun, des promoteurs de la russophonie très actifs

Dans ce dispositif, le Cameroun semble jouer un rôle précurseur à travers la « RUDN University Cameroon ». À tous les clubs RUDN qui se forment, cette entité promet « un financement annuel d’une somme allant de 100000 à 500000 FCFA pour son fonctionnement ; hormis les gadgets  RUDN de toute nature », déclare Émile Parfait Simb.

L’objectif est de créer un climat d’émulation dans l’apprentissage du russe qui se manifeste par concours appelés « Olympiades » au niveau national puis international, en Russie pour les meilleurs. Les vainqueurs empocheront  « une somme allant de 2 à 10 millions de FCFA pour leur établissement et leurs clubs ». Et en prime pour les plus brillants russisants, « obtenir des bourses d’études tous frais payés » en Russie.

Si en théorie, ce dispositif semble clair, le rôle et les moyens exacts de RUDN University Cameroon dont parle Émile Parfait Simb sont obscurs. Sur les réseaux sociaux, une organisation nommée SOSETO (Social Support for Education and Tourism)- RUDN Univesity Cameroon propose ses services. « Par le biais de SOSETO – RUDN CAMEROON sur la conduite de son partenaire principal (OAR) Organisation Africaine de la Russophonie, il est désormais possible de faire une année préparatoire en ligne étant au Cameroun et en Afrique, obtenir un diplôme après un an de formation soit 40 heures de cours et apprendre la langue Russe pour aller poursuivre ses études en Russie quelque soit la spécialité choisie », écrit l’association sur son compte Facebook.

Pourtant, interrogé par TV5MONDE, son directeur Simon Dupong se montre distant sur son partenariat avec la RUDN et avec l’OAR. Créée en janvier 2023, son association basée à Douala qui agit dans le domaine de l’éducation et la santé enseigne plusieurs langues, insiste-t-il. « Il n’y a pas que le russe », mais aussi « le français, l’anglais, le chinois et le danois ». S’il dit connaître Émile Parfait Simb et l’Organisation Africaine de la Russophonie, il ne donne aucune information sur la nature de sa relation avec l’OAR et son président. « Nous sommes juste un facilitateur de la RUDN par le biais d’un partenariat pour ceux qui veulent faire la pré-université »

La RUDN propose en effet une formation pré-universitaire pour les étrangers sur une année au niveau linguistique mais aussi sur les disciplines générales. La nouveauté désormais, c’est que cette formation puisse être délivrée à distance par Internet. Les cours de russe sont donnés depuis Moscou par des anciens diplomés russes de la RUDN.  

Le Cameroun compterait plus de 1800 anciens étudiants RUDN, selon Simon Dupong. Sur son site, SOSETO – RUDN University Cameroon se présente comme « le leader de la formation en langue russe au Cameroun ». L’association propose son propre cours gratuit hebdomadaire de russe, fait par des anciens camerounais de RUDN. Dans une courte vidéo postée sur Facebook, on apprend comment saluer et dire son nom…

Si cette vidéo n’est pas très convaincante, en revanche, le marketing autour du partenariat avec la RUDN est bien plus sérieux en termes de moyens. Comme le montre les publications de SOSETO – RUDN University Cameroon sur Facebook, le logo de la RUDN est omniprésent : dans les locaux comme sur l’uniforme du personnel, dans différents types d’événements, inscrit sur toutes sortes d’affiches, et sur des tee-shirts largement distribués. Un affichage agressif qui a pu s’appuyer sur le recrutement récent de 500 volontaires.

« Il y a un véritable enjeu sur la russophonie » 

Le cas concret de la RUDN University Cameroon, cité par le président l’OAR, donne un exemple du volontarisme de ces nouveaux acteurs de la russophonie en Afrique. En deux mois d’existence, l’association camerounaise met en avant la création de clubs RUDN dans des établissements au Cameroun. Plus étonnant, elle annonce aussi s’installer au Nigeria, au Gabon, en Guinée équatoriale et en Centrafrique. Un même constat peut être fait sur l’Organisation Africaine de la Russophonie, née dans une  République centrafricaine du président Faustin Archange Touadéra qui a noué une alliance stratégique avec la Russie de Vladimir Poutine. Mais promouvoir la langue russe à Bangui ou ailleurs en Centrafrique est devenu un objectif politique.

Du point de vue des autorités russes, « il y a un véritable enjeu sur la russophonie », ajoute Kelian Sanz Pascual. Le chercheur rappelle à cet égard que « la protection des populations russophones fait partie des raisons qui permettent à la Russie de rentrer légalement dans un territoire étranger pour une opération militaire ». Les ex-républiques soviétiques en savent quelque chose. Faut-il pour autant s’inquiéter de la promotion de la russophonie en Afrique ? « Il n’y aura pas demain des opérations militaires menées par la Russie en République centrafricaine de façon tout à fait officielle et revendiquées qu’en Ukraine, mais la question de la langue russe est extrêmement importante pour les décideurs politiques en Russie et toutes personnes qui gravitent autour d’elles ».

Philippe Randrianarimanana AFP

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