Haïti: «Il y a un génocide qui se prépare ici et on laisse la situation pourrir»

Kidnappings, viols, meurtres, tirs au milieu des habitations, etc., les Haïtiens font face à « une violence cauchemardesque » de la part de gangs armés qui contrôlent quasiment la totalité de Port-au-Prince, selon le Haut Commissaire des Nations unies aux droits humains, Volker Türk. Au moins 60 personnes ont été tuées la semaine dernière dans des affrontements entre des gangs rivaux dans la capitale, selon le Réseau national de défense des droits humains, une ONG haïtienne. Il faut éviter « un massacre à la Rwanda(ise) », a déclaré en début de semaine le Dr Jean William Pape, membre du comité scientifique de l’OMS, professeur de médecine à l’université Cornell à New York, directeur et fondateur des centres GHESKIO en Haïti.

RFI : Quelle est la situation aujourd’hui en Haïti ?

Dr Jean William Pape : Il y a une situation tout à fait désespérée en Haïti. On n’a plus de gouvernement, on n’a plus d’État, la situation d’insécurité s’aggrave tous les jours, on voit de plus en plus que ça affecte tous les secteurs de la société, les enfants ne peuvent plus aller à l’école, il n’y a pas un seul groupe de la société qui n’a pas été kidnappé, les médecins en particulier. Je crois qu’il y en a plus de dix qui ont été kidnappés depuis le début de l’année, les prêtres sont kidnappés, les professeurs sont kidnappés, les petits marchands de rue sont kidnappés. Donc, c’est un phénomène qui n’échappe à personne. Voilà le cri d’alarme. Il aurait dû être lancé déjà depuis plusieurs mois.

Revenons sur ce terme de Rwanda. Pourquoi la référence à ce pays-là ?

On a beaucoup de caractéristiques en commun avec le Rwanda. On a à peu près le même nombre au point de vue population, on a un PIB plus ou moins comparable et un pays très montagneux de la même superficie environ qu’Haïti. Et ce qui se passe chez nous actuellement, c’est qu’il y a énormément d’armes de gros calibre en circulation, entre les mains de civils et de groupes armés. La police est tout à fait impuissante, nous avons une armée qui est sous-équipée en effectifs et en armes. Et il y a également l’incitation à la violence sur les réseaux sociaux. Vous vous rappelez la radio Mille collines au Rwanda, c’est comme ça que ça avait commencé. On va vers une guerre civile qui va provoquer un massacre considérable, à cause justement des protagonistes qui sont sur le terrain, des divergences politiques, et également de la quantité d’armes qui se trouvent en Haïti.

La communauté internationale a décidé, pour l’instant, de ne pas intervenir militairement dans le pays, mais d’œuvrer à une politique de sanctions contre des personnels politiques, contre aussi des entreprises et le secteur économique. Des patrouilles sont envoyées notamment par la mer et des patrouilles aériennes, le rôle du Canada. Comment est-ce que vous jugez cette attitude et cette réponse de la communauté internationale ?

Pour le Canada, il aurait été plus correct et plus honnête de dire qu’ils n’ont pas l’expérience de lutter contre les groupes armés. Donc, je crois que ce n’est pas très sérieux, parce que depuis les sanctions, on aurait cru que la situation se serait améliorée, en fait, elle s’est détériorée. C’est comme si on avait donné le feu vert ou pressé l’accélérateur pour faire de ce pays un enfer. Je vais vous dire franchement, les premiers responsables de la crise actuelle sont clairement les Haïtiens qui, à cause de leurs intérêts mesquins, n’arrivent pas à s’entendre, même sur un sujet aussi brulant que l’insécurité, ça c’est clair.

Mais la communauté internationale a aussi une grande part de responsabilité, quand cette détérioration a eu lieu sous ses yeux alors que le pays était occupé, dans un certain sens. Et donc, vous avez également une part de responsabilité. Aidez-nous, nous allons le faire ensemble, parce que nous autres Haïtiens, on est également responsables. On va le faire ensemble, et pour le moment, nous ne pouvons pas le faire tout seul, parce que Haïti est oublié, complètement. On parle de l’Ukraine, on parle du tremblement de terre en Turquie, mais il y a un génocide qui se prépare ici et on laisse la situation pourrir, tout le monde à ce moment-là sera à genoux, et je crois qu’il est préférable d’éviter justement ce massacre, qui s’aggrave pratiquement tous les jours.

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