8 mars: à Cuba, mobilisation sur les réseaux sociaux, faute de pouvoir défiler

Défiler dans la rue pour défendre les droits des femmes le 8 mars, rien de plus normal dans de nombreux pays. A Cuba, faute de pouvoir manifester, les organisations féministes indépendantes se mobilisent sur les réseaux sociaux.

En janvier, trois militantes qui souhaitaient demander aux autorités l’autorisation de défiler pour la Journée internationale des femmes, ont été arrêtées et interrogées, a dénoncé sur Twitter le collectif Red Femenina (Réseau féminin) de Cuba.

Le droit de réunion et de manifestation est reconnu dans la nouvelle Constitution cubaine (2019), mais dans la pratique les manifestations qui ne sont pas organisées par le gouvernement sont généralement interdites.

Les célébrations du 8 mars sont encadrées par la Fédération des femmes cubaines (FMC), liée au gouvernement. Chaque année, diverses activités sont menées, notamment dans les entreprises et les établissements scolaires.

Mais la jeune génération de féministes veut aller plus loin.

Défiler pour défendre publiquement les droits des femmes « c’est l’objectif dans le monde chaque 8 mars, sauf à Cuba », déplorait fin février Red Femenina. Le collectif a finalement appelé les Cubaines à « se joindre » à « une manifestation virtuelle ».

– « Visible » –

Outre Red Femenina, d’autres collectifs féministes cubains comme Yo si te creo (Moi je te crois, ndlr), qui est le nom donné dans le monde hispanique au mouvement #metoo, ou Alas Tensas, ont lancé en 2019 des observatoires de la violence de genre.

Des initiatives qui ont coïncidé avec l’arrivée, à partir de 2018, de l’Internet mobile sur l’île.

Internet « est notre seul espace de lutte. Nous ne pouvons pas avoir d’espace physique car cela est tacitement interdit dans ce pays », souligne auprès de l’AFP Kianay Anandra, 24 ans, journaliste et militante féministe.

Les initiatrices de Yo si te creo ont indiqué à l’AFP par courrier électronique concentrer leurs efforts sur un appel en faveur d’un « Etat d’urgence sur les violences de genre », après avoir décliné un entretien présentiel face aux « risques particuliers du contexte répressif cubain ».

Depuis début 2023, ces collectifs ont déjà recensé 16 féminicides sur l’île de 11,1 millions d’habitants, contre une trentaine de cas annuels au cours des trois années précédentes.

Comme d’autres mouvements féministes ailleurs dans le monde, ces militantes veulent « rendre visible » un phénomène longtemps passé sous silence, alors que les dernières statistiques officielles sur la violence de genre remontent à 2016 et que le nouveau code pénal (2022) n’inclut pas la notion de « féminicide ».

– Machette –

Maylén, Lisbet, Anilec, Misladis… les collectifs s’attachent ainsi à donner noms et visages aux victimes tuées ou disparues.

Dans leur décompte figure Maydeleisis Rosales, disparue en 2021 à l’âge de 16 ans à La Havane. « Je veux que ma fille apparaisse morte ou vive (…) que justice soit faite », dit à l’AFP sa mère Isis Rodriguez, témoignant de sa gratitude aux collectifs qui l’accompagnent.

Autre cas, celui de Leydi Bacallao, 17 ans, dont la mort en février à coups de machette par un ex-compagnon de 49 ans dans un poste de police de l’est du pays, a suscité l’émoi dans la société et sur les réseaux sociaux.

Jusqu’à pousser la FMC, en général peu éloquente sur les féminicides, à réagir : « Il n’y aura pas d’impunité », a tweeté Teresa Boué, sa secrétaire générale, appelant à « approfondir les actions » pour « éviter de tels faits ».

Pour Kianay Anandra, il est « indéniable » que la Révolution de 1959 a ouvert « une grande porte » pour les droits des Cubaines.

L’île a été le premier pays d’Amérique latine à dépénaliser l’avortement dès 1965. Les femmes participent de longue date à la vie publique et le pays figure parmi ceux comptant le plus grand nombre de députées (53,4%).

Mais il faut que l’Etat « se rénove » dans son combat pour les femmes, estime la militante qui a critiqué sur internet le manque de précision du « Programme pour l’avancement des femmes » lancé par le gouvernement en 2021.

Yanelys Nuñez, 33 ans, membre de Alas Tensas exilée à Madrid, regrette par téléphone que « quand tu empêches le libre droit d’association (…) tu ne permets pas des espaces d’émancipation ».

Sur son site internet Red Femenina a lancé une pétition réclamant « une loi sur le genre », seul moyen, selon le collectif, d’avoir des politiques publiques « efficaces ».

Par Leticia PINEDA

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