Elections au Nigeria : les femmes, les grandes absentes

Des élections générales se tiennent ce 25 février 2023 au Nigeria. Dans ce pays, le plus peuplé du continent africain, les femmes se font de plus en plus rares dans le processus électoral. Le nombre de candidates a diminué à presque tous les niveaux, local comme national, sur fond de patriarcat profondément ancré et de manque de financement de leurs campagnes.

Au Nigeria, « la violence électorale est bien réelle, et elle me vise davantage parce que je suis une femme« , constate Tolulope Akande-Sadipe, députée originaire de l’Etat d’Oyo. ​Selon elle, ses adversaires « pensent pouvoir l’intimider » parce qu’elle est une femme. Briguer un second mandat de députée au Nigeria signifie mettre sa vie en danger, confie cette femme politique âgée de 56 ans qui se présente aux élections législatives du 25 février 2023. 

House of Representatives member, Tolulope Akande-Sadipe @ToluSadipe is loved by her constituents in Oluyole.
They came out for her at Mapo yesterday. pic.twitter.com/RTxkQpzYU8— OyoNews (@OyoNews1) February 17, 2023

En 2019, lors des dernières élections, le bus de campagne de la candidate Akande-Sadipe avait été détruit et ses attachés de presse agressés. Pour ce scrutin, elle dit avoir échappé de peu à une agression alors qu’elle faisait campagne face à cinq hommes pour les primaires de son parti.

Une seule femme candidate à la présidentielle

Le pays le plus peuplé d’Afrique, première économie du continent, compte de nombreuses femmes à des postes de direction dans le secteur privé et sur la scène internationale. Mais lorsqu’il s’agit de fonctions électives, elles sont sous-représentées et très souvent mises de côté.

Une seule candidate à la présidentielle du 25 février 2023 au Nigeria, et 9% de candidates à l'Assemblée nationale dans  une société conservatrice et patriarcale. Photo prise dans un centre de distribution de cartes électorales, le 11 janvier 2023 à Lagos, au Nigeria.

Une seule candidate à la présidentielle du 25 février 2023 au Nigeria, et 9% de candidates à l’Assemblée nationale dans  une société conservatrice et patriarcale. Photo prise dans un centre de distribution de cartes électorales, le 11 janvier 2023 à Lagos, au Nigeria.

©AP Photo/Sunday Alamba

Dans la chambre basse actuelle siègent 13 femmes parmi les 360 députés, plaçant ainsi le Nigeria au 184e rang sur 190 pays dans le monde en ce qui concerne la représentation des femmes, selon un classement de l’Union interparlementaire (UIP), basée à Genève. Et la situation ne semble guère s’améliorer.

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Le nombre de femmes qui se présentent aux élections de 2023 a diminué à presque tous les niveaux : les femmes ne briguent que 10% des sièges aux assemblées locales, 9% des sièges à l’Assemblée nationale, 8% des sièges au Sénat et 6% des postes de gouverneur.

Une seule femme, Princess Chichi Ojei, est candidate à la présidentielle du 25 février, face à 17 hommes. Et elle est loin de faire partie des favoris que sont Bola Tinubu, du parti au pouvoir (APC), Atiku Abubakar du principal parti d’opposition (PDP), et l’outsider Peter Obi, du Parti travailliste (LP).

Un système conservateur et patriarcal

Et pourtant, les femmes ont joué un rôle majeur dans la construction politique du Nigeria, se mobilisant contre le pouvoir colonial, puis durant les dictatures militaires, selon Chiedo Nwankwor, professeure à l’université américaine Johns Hopkins. Mais « une fois que ces mouvements ont réussi, les femmes ont été mises de côté« .

Khadijah Abdullahi Iya est candidate au poste de gouverneure du Niger, un Etat du centre en proie aux violences de groupes criminels. Un poste qu'aucune femme n'a jamais occupé.

Khadijah Abdullahi Iya est candidate au poste de gouverneure du Niger, un Etat du centre en proie aux violences de groupes criminels. Un poste qu’aucune femme n’a jamais occupé.

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Le système culturel et religieux conservateur n’aident pas les femmes à s’imposer dans le paysage politique, selon Mercy Ette, chercheuse nigériane à l’université de Leeds qui a étudié la représentation féminine dans le pays. « Même parmi les personnes très instruites, le patriarcat est très fort« , renchérit la députée Akande-Sadipe. 

Les obstacles sont immenses, mais cela n’empêche pas Khadijah Abdullahi Iya de vouloir devenir la prochaine gouverneure du Niger, un Etat du centre en proie aux violences de groupes criminels. Un poste qu’aucune femme n’a jamais occupé dans les 36 Etats qui composent la république fédérale. Mais selon cette femme de 48 ans, « les mentalités changent car les gens sont à un point de rupture, et ils sentent que les femmes ont la compassion nécessaire, qu’elles peuvent guérir leur maux« .

L’insécurité est un enjeu crucial des élections de 2023, le pays étant en proie à des violences de jihadistes, criminels et séparatistes.

Le 25 février 2023, les Nigérians éliront leurs députés, mais aussi leur prochain président, Muhmmadu Buhari se retirant après deux mandats comme prévu par la Constitution, et leurs sénateurs. Le 11 mars, ils choisiront leur gouverneurs et les députés des assemblées locales.

Des élections générales qui se tiennent dans un climat très tendu même si les différents candidats ont signé un accord de paix à Abuja, comme l’explique lors du journal international de TV5MONDE Laurent Fourchard, directeur de recherche à Sciences Po Paris, qui se trouve au Nigeria.

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Qui pour financer des candidates ?

Le financement des campagnes électorales est l’un des obstacles des candidates : « Les femmes n’ont souvent pas l’argent qui permet de se lancer, et très peu d’hommes sont prêts à investir dans leur campagne« , selon Mercy Ette. L’année dernière, le Parlement, dominé par les hommes, a rejeté cinq projets de loi visant à faire progresser l’égalité des sexes et la représentation des femmes.

« Il y a très peu de volonté politique de changer le statu quo« , déclare à l’AFP Ibijoke Faborode, qui dirige ElectHer, une plateforme qui soutient les jeunes candidates. Elle estime toutefois que « quelque chose a changé » avec le mouvement « EndSARS » de protestation contre les violences policières, qui avait éclaté fin 2020 avant d’être réprimé.

Parmi les principaux leaders figuraient de jeunes femmes charismatiques (avocates, journalistes, etc.) regroupées au sein d’une « Coalition féministe ». Aucune n’est candidate mais leur engagement a nourri l’espoir de beaucoup d’autres.

Comme Juliet Isi Ikhayere, une avocate de 28 ans qui se présente comme députée. Lors d’un événement le mois dernier, elle a été traitée de « bambin » par un homme dans la foule. La dernière des remarques désobligeantes qu’elle a essuyées durant toute sa campagne. Mais si « les défis sont nombreux » et « si ce n’est pas pour maintenant », dit-elle, « il s’agit surtout de poser des fondations pour l’avenir »

avec AFP

Mise à jour 23.02.2023 à 16

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