Guerre en Ukraine : les chars occidentaux, du défi logistique à l’atout tactique pour la reconquête
Que va changer la présence des chars occidentaux sur le terrain ? Puissants et rapides, ces derniers viendraient aussi et surtout combler les pertes des tanks ukrainiens. La logistique pour les acheminer à bon port devrait aussi relever du défi
par Séraphine Charpentier
Que va changer la présence des chars occidentaux sur le terrain ? Puissants et rapides, ces derniers viendraient aussi et surtout combler les pertes des tanks ukrainiens. La logistique pour les acheminer à bon port devrait aussi relever du défi.
Le Royaume-Uni, la Pologne, l’Allemagne, les États-Unis se sont engagés à livrer à Kiev des chars lourds. Tous ces tanks possèdent les mêmes caractéristiques : rapidité (entre 50 et 70 km/h), puissance de feu, autonomie, blindage renforcé par rapport à des modèles plus anciens. Ils pèsent en moyenne 60 tonnes et sont des outils nécessitant des révisions régulières. « Un char doit être remis en condition après un certain nombre d’heures d’utilisation, plus d’une centaine d’heures », explique le général François Chauvancy, Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre.
Leopard 2, Abrams, Challenger
Du côté de l’Allemagne, il s’agira de chars Léopard 2. Construits dès la fin des années 1970, ces tanks ont l’avantage d’être répartis sur le continent européen, ce qui permet une maintenance et un accès aux pièces de rechange plus aisés. Berlin prévoit d’en livrer 14 exemplaires, sur les 312 qu’elle possède (une centaine est actuellement en maintenance). L’Allemagne autorise ses alliés occidentaux en possession de blindés Leopard 2 à en doter l’Ukraine. C’est le cas de la Pologne.
La Finlande, la Norvège, l’Espagne et les Pays-Bas pourraient eux aussi doter l’armée ukrainienne de tels chars.
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Du côté américain, 31 chars Abrams seront livrés par les États-Unis à l’Ukraine. « Les Abrams ne sont plus produits mais ont été fabriqués à raison de 10 000 exemplaires », ce qui facilite l’accès aux pièces de rechange, explique Emmanuel Dupuy, président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). « L’Abrams a un carburant différent des autres, ce qui pose des difficultés d’approvisionnement logistique », soulève de son côté le général Chauvancy.
Londres promet quant à lui de fournir à Kiev 14 chars lourds Challenger.
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À partir du moment où les chars arriveront aux frontières polonaise ou roumaine, il leur faudra parcourir entre 600 et 1200 kilomètres d’un territoire en guerre.Emmanuel Dupuy, président de l’Institut Prospective et Securité en Europe (IPSE)
Entre deux à trois mois avant d’arriver en Ukraine
Ces chars ne devraient pas arriver en Ukraine avant deux à trois mois, selon experts et officiels des pays concernés. Un délai de livraison plus court que la normale, du fait de l’urgence de la situation.
Ce temps comprend des révisions pour chaque engin, la mise en place d’une maintenance et de pièces de rechange mais aussi un temps de formation pour les tankistes ukrainiens qui rejoindront des centres de formation à l’étranger.
« Un char nécessite des apprentissages particuliers, sachant que les Ukrainiens n’enverront non pas des tankistes débutants mais des tankistes qui ont déjà pratiqué le char. Ils apprendront donc beaucoup plus vite », explique le Général Chauvancy, lui-même formé au maniement des chars.
Pendant ce temps là, « les Russes remobilisent de vieux T72, T84, T90, voir quelques T14 (char de combat de 4e génération russe) », explique Emmanuel Dupuy.
La notion de temps est déterminante selon le consultant spécialiste en armement, tout comme la vitesse d’arrivée de ces blindés sur le sol ukrainien.
« À partir du moment où ils arriveront aux frontières polonaise ou roumaine, il leur faudra parcourir entre 600 et 1200 kilomètres d’un territoire en guerre. Les Russes ont d’ailleurs dit qu’ils cibleraient nommément les convois terrestres ou par rail », détaille-t-il.
Outre les attaques russes, les convois de chars de plus de 100 tonnes devront également se frayer un chemin sur des terrains accidentés. Un défi en soi.
« Il faudra choisir avec vigilance les points de passage du fleuve Dniepr, dont on sait que certains ont été détruits, ainsi qu’une bonne partie de la chaussée. C’est un casse-tête logistique considérable », continue Emmanuel Dupuy.
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Des chars peuvent-ils changer la donne de la guerre ?
À eux-seuls, la réponse est non. « Ils pourront changer la donne tactiquement, dans une zone limitée », explique le général Chauvancy. Les (environ) 150 chars bientôt reçus par l’Ukraine opéreront sur 900 kilomètres.
Ils viennent aussi et surtout combler les rangs des chars détruits au combat. Ils étaient au début de la guerre 850, selon le général Chauvancy, mais « les pertes sont estimées à entre 50 et 100 chars par mois, depuis 11 mois, même si entre temps des chars ont été donnés et des chars russes pris ». Les Ukrainiens font aussi face à une usure du matériel.
Aujourd’hui, les Russes ont la supériorité numérique. Ce que nous allons donner aux Ukrainiens, c’est une supériorité technologique.Général François Chauvancy, Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre
Ces chars n’auront par ailleurs pas d’utilité dans la guerre de position actuelle, caractérisée par des tranchées et des lignes de position qui ne bougent pas beaucoup. Plutôt, ils trouveront leur utilité en vue « d’une offensive à partir du printemps prochain. Il s’agira moins d’une guerre de mouvement que d’une guerre de conquête ou de reconquête territoriale, avec une remobilisation de part et d’autre sur les lignes de contact, avec une massification forte de troupes russes fraîches, entre 500 000 et 600 000 hommes à raison de la mobilisation actuelle à Moscou et de l’autre côté, la livraison des blindés lourds », explique Emmanuel Dupuy.
Selon le président de l’Institut Prospective et Securité en Europe, c’est dans la plaine qui va du fleuve Dniepr jusqu’à la mer d’Azov que les blindés feront la différence, non pas dans le terrain accidenté du Donbass.
« Pendant la guerre froide, les Otaniens disposaient de 10 000 chars face à 50 000 tanks soviétiques. On estimait alors qu’avec la qualité technique de nos chars, nous pouvions compenser l’infériorité numérique. Aujourd’hui, les Russes ont la supériorité numérique. Ce que nous allons donner aux Ukrainiens, c’est une supériorité technologique », commente de son côté le général Chauvancy
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Une escalade « mesurée »
La livraison de blindés lourds à l’Ukraine change-t-elle le statut qu’occupaient jusqu’à présent les pays occidentaux dans le conflit russo-ukrainien ? Ce n’est pas ce que pense Emmanuel Dupuy, qui qualifie l’implication occidentale d’« escalade graduée, attendue » sur plusieurs mois. « Nous étions, de facto, depuis le début du conflit, dans la co-belligérance, même si la livraison de chars lourds représente un tournant », continue-t-il.
« Nous souhaitons que l’Ukraine gagne et puisqu’elle ne gagne pas, nous fournissons de plus en plus d’armes pour qu’elle puisse y arriver. Volodymyr Zelensky ne gagne pas sur le terrain. Il ne s’agit que de victoires locales, tactiques, qui n’ont de signification qu’en terme de politique et de résilience de la nation », explique le général Chauvancy. « L’Ukraine résiste, mais est-elle capable de reconquérir ses territoires ? À la date d’aujourd’hui, non », conclut-il.
D’ici deux semaines, les alliés de l’Ukraine devraient par ailleurs décider d’équiper encore un peu plus les Ukrainiens.
« La décision va être prise de livrer des système de défense aérien, des F16, peut-être même des Rafales ou éventuellement des Mirages 2000, qui sait ? », s’interroge Emmanuel Dupuy.
Des livraisons d’armes, dans l’attente d’une victoire ukrainienne claire et nette, contraignant Moscou à négocier. Quid de l’implication des Occidentaux aux côtés de Kiev, si cette victoire ne venait pas à arriver dans les prochains mois ?
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