CAN 2025 : comment le Maroc et le roi Mohammed VI ont fait du football un outil de soft power

En un peu moins de 20 ans, le Maroc est devenue une nation majeure du football mondial. Ses équipes nationales brillent et les Lions de l’Atlas font figure de grand favori pour remporter la CAN 2025 à domicile. Depuis la fin des années 2000, les gouvernements et le palais royal ont métamorphosé le football marocain avec un objectif, faire de ce sport un outil d’influence et un enjeu d’image pour le royaume. Retour sur 20 ans d’investissements.

C’était quelques heures avant la finale des Jeux Méditerranéens en 1983 à Casablanca. Les Lions de l’Atlas jouent contre la Turquie. Les joueurs sont convoqués au palais royal. Aziz Bouderbala, ancien milieu offensif du Wiyad de Casablanca, se souvient. « Le roi Hassan II nous demande de nous asseoir. Et tout d’un coup, il sort de son portefeuille des petits triangles en papier. Il a commencé à les disposer sur la table et à parler d’un système étrange. Personne n’a rien compris », se remémore auprès du quotidien suisse Le Temps Aziz Bouderbala, alors l’ancienne star marocaine de l’équipe nationale des années 1980.

« C’est un jeu triangulaire dont aucun de nous n’avait jamais entendu parler. Il voulait qu’on joue comme cela en finale, comme les joueurs du Barça qui combinent souvent en triangle. Le jour où pour la première fois, j’ai réentendu parler de ce système, j’ai commencé à rire seul dans mon coin. Il était en avance sur son temps ».  

Hassan II un passionné du jeu

Les liens entre le football et la monarchie marocaine sont anciens. Le roi Hassan II était un passionné du jeu. Le nouveau roi Mohammed VI, lorsqu’il arrive au pouvoir en 1999, se dispense lui de donner des conseils tactiques aux sélectionneurs et aux joueurs. Il va cependant assez rapidement comprendre l’importance stratégique de ce sport pour l’image et l’influence de son pays, selon le journaliste sportif Hanif Ben Berkane.

« Le football n’a pas été tout de suite une priorité. Cela l’est devenu au fur et à mesure. Le football de nos jours, que l’on veuille ou non a un impact politique énorme », explique à TV5MONDE Hanif Ben Berkhane, journaliste marocain et bon connaisseur du football africain. « Le Maroc veut devenir une nation émergente dans le monde dans de nombreux domaines. Et le football ne pouvait pas échapper à ses ambitions ». 

Et d’ajouter: « Le Maroc avait organisé la Coupe d’Afrique des nations en 2004. La sélection avait été finaliste. Cela a été un premier déclic. Ensuite, le Maroc a été candidat pour l’organisation de la Coupe du monde en 2010. L’Afrique du Sud a été choisie et cela été également une autre prise de conscience de l’importance que peut avoir le football comme instrument d’influence et d’image pour un pays », poursuit Hanif Ben Berkane. « Et puis le roi ne pouvait pas se désintéresser du football. C’est un sport qui mobilise de nombreux Marocains. C’est aussi un enjeu interne au pays et c’est un enjeu social ».

« Le football troisième pilier de la diplomatie »

Le pouvoir marocain et le Palais royal comprennent alors « que pour organiser de grands événements internationaux comme la Coupe du monde, il faut que les équipes nationales ne déçoivent pas, aillent loin dans les compétitions internationales », ajoute Hanif Ben Berkane.

« L’influence du roi, du Maroc passait auparavant effectivement par une diplomatie plus traditionnelle. Elle passait également par une diplomatie religieuse. Le Maroc forme des imams partout dans le monde. Et le Maroc a compris que l’influence passe aussi par le sport, le football, sport mondial », explique Hasni Habidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (CERMAM) de Genève. « Le sport et plus particulièrement le football constituent de fait le troisième pilier de la diplomatie marocaine », estime le chercheur.

La diaspora marocain à Amsterdam aux Pays-Bas célèbre la victoire de l’équipe marocaine contre l’Espagne en huitième de finale de la Coupe du monde, le 6 décembre 2022 (AP Photo/Peter Dejong).

En 2014, la décision est donc prise par l’État et le Palais de développer davantage le football marocain, décrit Hanif Ben Berkane. « Un projet est présenté avec l’idée de métamorphoser complètement le football marocain. Comme beaucoup de sélections africaines, notamment au Maghreb, la sélection nationale était très dépendante des ses diasporas ».

« Est ce que les bi-nationaux allaient rejoindre la sélection nationale? Pour être moins dépendants et avoir moins de résultats en dents de scie à cause de cette dépendance, le projet est alors de développer des académies et de renforcer et de structurer le football  local pour que des joueurs formés au Maroc puissent intégrer la sélection nationale. L’académie la plus connue est bien entendue l’Académie Mohammed VI », décrit Hanif Ben Berkane, journaliste marocain chez Footmercato. 

L’Académie Mohammed VI

L’Académie Mohammed VI, lancée dès 2008, est effectivement la vitrine de cette nouvelle politique sportive. L’homme clé est Nasser Larguet, entraîneur et formateur franco-marocain, qui deviendra ensuite formateur à l’OM. Les jeunes joueurs rentrent à l’âge de 12 ans et chaque promotion compte 45 enfants dans ce centre ultra-moderne situé dans l’agglomération de Rabat qui aura coûté la jolie somme de 13 millions d’euros.

L’Académie Mohammed VI sert alors de modèle pour les autres académies développées à partir de 2014 dans tous le pays. Aujourd’hui quatre joueurs formés à l’Académie Mohammed VI font partie de la sélection nationale. « Le nombre de bi-nationaux, de joueurs de la diaspora ne dépasse pas les 50% de l’effectif de la sélection nationale. C’est un premier signe que le football local compte », décrit Hanif Ben Berkane.

L’Algérie, vainqueur de la CAN en 2019, comptait elle en son sein 19 joueurs bio-nationaux sur 24 joueurs. « En 2004, l’équipe nationale marocaine qui perd la finale contre la Tunisie était composée majoritairement de bi-nationaux. Elle perd d’ailleurs sur un but de Francileudo Santos, un Brésilien naturalisé Tunisien », décrit le journaliste.

« Les maillots de l’équipe nationale se vendent désormais en Asie »

Les premiers résultats tombent enfin. « Le Maroc peut rivaliser avec les grandes sélections nationales, notamment européennes. La place de demi-finaliste à la Coupe du monde 2022 en est la preuve », explique le journaliste marocain. « L’impact sur l’image du pays est énorme. Les maillots de l’équipe nationale se vendent désormais en Asie par exemple au même titre que les maillots du Brésil ou de la France », explique le spécialiste du football marocain. 

« Le fait d’avoir une sélection qui performe, qui est connu, cela a un impact positif par exemple sur le tourisme au Maroc, un secteur clé. Tout cela dépasse largement le secteur du seul football. Les gens ont pu enfin visualiser le nom du Maroc sur une carte « , explique le journaliste. 

Les succès s’enchaînent. Pour la première fois une équipe africaines de jeunes (les U20) devient championne du monde avec le Maroc lors du tournoi 2025. La liaison entre le football, son organisation et ses infrastructures est désormais même pratiquement institutionnalisée. « C’est ainsi que l’actuel président de la Fédération royale marocaine de football, Fouzi Lekjaa, est aujourd’hui ministre délégué au budget depuis 2021 dans le gouvernement Aziz Akhannouch « , souligne Hanif Ben Berkane.

En octobre 2023, la FIFA décide de confier l’organisation de la Coupe du monde 2030 au Maroc avec le Portugal et l’Espagne. « Le Maroc a véritablement appris de ses échecs. Il y a eu une vrai opération de relations publiques. Les instances dirigeantes du football marocain sont allés démarcher chaque fédération. Le Maroc a également investi énormément dans ses infrastructure, ses stades. C’est peut-être ce qu’il manquait dans la candidature pour la Coupe du monde 2010 », explique Hasni Abidi, politologue et directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen.

Six stades sont alors rénovés entièrement avec le soutien de la Caisse des dépôts et consignation du Maroc. Le futur stade de Casablanca Hassan II est en concurrence avec le Camp Nou de Barcelone et le Bernabeu de Madrid pour accueillir la finale de la Coupe du monde 2030. 

La diplomatie sportive reste cependant chère. La construction du  futur stade Hassan II et la remise à niveau de six stades devrait coûter 14,5 milliards de dirhams marocains, soit 1,3 milliards d’euros. « Il faut mettre de l’argent, beaucoup d’argent. Une partie de la jeunesse aujourd’hui s’interroge sur le coût de ses ambitions sportives. Est-ce que le Maroc en a les moyens alors que cet argent pourrait être investi dans l’éducation ou les hôpitaux », estime Hasni Abidi.

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