Toiles endommagées, bureaux saccagés: plongée dans les décombres du coup d’État manqué au Brésil
Une moustache d’Adolf Hilter dessinée sur le portrait d’un ex-Premier ministre, les salles de presse ravagées, un tableau du peintre moderniste Emiliano Di Cavalcanti poignardé à sept reprises… Vingt-quatre heures après l’attaque menée par des partisans de l’ancien président brésilien Jair Bolsonaro, le journal britannique The Guardian a notamment visité deux des trois bâtiments saccagés à Brasília. État des lieux.
Énormes dégâts dans les trois immenses palais
Véritables trésors de l’architecture moderne, le Palais présidentiel de Planalto, la Cour suprême et le siège du Congrès semblent aujourd’hui avoir été touchés par une catastrophe naturelle. Les trois bâtiments, dont une quantité impressionnante de vitres ont été brisées, regorgeaient de mobilier rare, d’œuvres de grands artistes modernistes locaux, ou d’autres offertes au Brésil par des pays étrangers.
Au musée du Sénat, les émeutiers ont détruit des centaines d’années d’art et d’histoire politique du Brésil. Les portraits des anciens présidents du sénat Renan Calheiros et José Sarney ont été attaqués au couteau. Un exemplaire de la constitution brésilienne lancé dans une vitrine.
Le tableau “Les mulâtres” du peintre Di Cavalcanti, un des maîtres du modernisme brésilien, exposé au Salon noble du troisième étage du Palais présidentiel, a, lui aussi, été gravement endommagé. Datant de 1962, la toile, qui représente quatre femmes dans un décor végétal exubérant, a été “trouée à sept reprises” à coups de couteau par les émeutiers, selon la Présidence. “Sa valeur est estimée à 8 millions de réais (environ 1,4 million d’euros), mais ce genre d’œuvre est habituellement vendu cinq fois plus cher aux enchères”.
Après s’être introduits dans le Palais, les partisans de l’ancien président brésilien se sont soulagés dans la salle de presse et ont déféqué dans la salle pour photographes située juste à côté. “Tout l’endroit puait l’urine et la bière”, commente employé dans les colonnes du Guardian.
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“La Justice” taguée
La statue de granite “La Justice”, sculptée en 1961 par le Brésilien Alfredo Ceschiatti, qui trône devant la Cour suprême, sur la Place des Trois pouvoirs, en face du palais présidentiel, a été taguée, avec l’inscription “Perdeu, mané” (tu as perdu, pauvre con), sur la poitrine.
Cette expression avait été utilisée par un juge de la Cour suprême, Luis Roberto Barroso, pour s’adresser à un bolsonariste qui l’interpellait sur la fiabilité des urnes électroniques en novembre, peu après la défaite de Jair Bolsonaro face à Luiz Inacio Lula da Silva au second tour de la présidentielle.
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Une pendule fabriquée par Balthazar Martinot, horloger du Roi de France Louis XIV, de marqueterie Boulle, a été retrouvée sur le sol, au troisième étage du Palais présidentiel. Le coffre marron et doré a été abîmé et un trou béant a remplacé le cadran.
Selon la Présidence, il s’agissait d’un cadeau de la Cour du Roi-Soleil à la couronne portugaise, apporté par le Roi Joao VI au Brésil en 1808, quand il avait fui Lisbonne à l’approche des troupes napoléoniennes. Seules deux pendules de ce type ont été fabriquées par cet horloger: l’autre, qui fait la moitié de la taille de celle qui a été endommagée au Brésil, est exposée au Château de Versailles.
Une restauration qui s’annonce ardue
Dans un communiqué, l’Institut du Patrimoine historique artistique national du Brésil(Iphan) a “profondément déploré les dégâts occasionnés” et assuré qu’une expertise serait menée prochainement pour “évaluer les besoins de restauration”.
La restauration de la pendule, notamment, s’annonce comme “très difficile” selon Rogerio Carvalho, responsable du patrimoine des Palais présidentiels, cité dans un communiqué.
Des bureaux pillés
La foule n’a pas réussi à accéder aux bureaux du président Lula, mais d’autres pièces ont été pillées et brisées. L’un des plus proches collaborateurs du président, Celso Amorim, a déclaré que son bureau et celui de la première dame du Brésil, Rosângela Lula da Silva, ont été vandalisés.
Des chaises ont également été lancées depuis les fenêtres brisées et les émeutiers ont tenté de brûler un canapé.
Comme le précise encore le Guardian, les journalistes n’ont pas été autorisés à pénétrer dans le troisième bâtiment saccagé, la Cour suprême. Les experts de la police fédérale fouillaient encore les décombres à la recherche d’empreintes digitales, d’indices et peut-être même de pièges laissés par les bolsonaristes. Mais les graffitis blancs sur la façade du tribunal témoignent du chaos à l’intérieur: “Je suis venu, j’ai gagné” et “Tu as perdu, espèce de con.”