Cameroun: Paul Biya, l’énigmatique « sphinx » candidat pour la 8e fois à la présidentielle

Le président Paul Biya, 92 ans, vient de mettre fin au suspense. Le président camerounais briguera bien un huitième mandat présidentiel. L’élection est prévu le 12 octobre prochain. Le chef d’État camerounais bat les records de longévité politique. En cas de nouvelle victoire, il achèverait son mandat à presque 100 ans.

Par Pierre Desorgues

« Ne dure pas au pouvoir qui veut mais qui peut« . C’est ainsi que Paul Biya répondait, aux côtés de François Hollande en 2017, à un journaliste français qui se questionnait sur la volonté du président camerounais d’effectuer un septième mandat.

Depuis 1982, Paul Biya fait la pluie et le beau temps politique au Cameroun, construisant et brisant des carrières au gré de ses humeurs et de ses aspirations personnelles. Il a été élu une première fois en 1984. Il a gagné les élections de 1988, 1992, 1997, 2004, 2011 et 2018 sans coup férir. Plus de 75% des Camerounais n’ont connu que lui à la présidence de la République.

1962, début de sa carrière politique

Paul Biya a construit sa carrière politique dans l’ombre de Ahmadou Ahidjo, premier président du Cameroun au lendemain de l’indépendance en 1960. En 1962, Paul Biya ancien séminariste devient chef de mission auprès du président. 

Le jeune pays manque de cadres dans la construction de son jeune État et pioche au sein de l’Église les hommes méritants. Il occupe ensuite dans les années 1960 plusieurs postes de directeur de cabinet au sein de différents ministères. 

Le pays est en pleine guerre. Le jeune État camerounais, soutenu par l’armée française, combat l’UPC (Union des populations du Cameroun) et ses maquis. Ce mouvement armé estime que le pays est toujours, malgré la proclamation de l’indépendance en 1960, aux mains de la France.

Pompidou et Ahidjo

Le premier président du Cameroun, Ahmadou Ahidjo, accueille le président français George Pompidou à Yaoundé le 9 février 1971. 

AP Photo/Jean Jacques Levy

La présidence d »Ahmadou Ahidjo prend rapidement un tournant autoritaire à partir de 1964 et Paul Biya se montre loyal envers le pouvoir. En 1967, l’ancien séminariste, devient Secrétaire général de la présidence et occupe enfin un poste de ministre en 1970. En 1975, il est nommé Premier ministre. 

Le 4 novembre 1982, le président Ahidjo, âgé de 58 ans démissionne pour raison de santé. Le Premier ministre, Paul Biya, en vertu de la Constitution, lui succède.

Paul Biya

Paul Biya avec le Premier ministre israélien Shimon Perez, le 25 aôut 1986. (AP Photo/A. Gavin)

Le soutien de la France

Il devient donc le nouveau chef de l’État le 6 novembre 1982, après la démission du président Ahidjo. Au moment de son accession à la magistrature suprême, Paul Biya est alors le premier vice-président du comité central de l’UNC, l’Union nationale camerounaise, le parti au pouvoir.

La prise de pouvoir de Paul Biya est tout de suite soutenu par la France. Dans un contexte de guerre froide contre l’URSS, il fait le choix du camp occidental. Dans son pays, Paul Biya appuie son pouvoir sur un parti-Etat, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) qu’il a créé en 1985. 

Son pouvoir vacille cependant au début des années 90. Au lendemain de la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide les sociétés civiles africaines réclament alors sur le continent plus de libertés publiques et des élections transparentes à travers le mouvement des conférences nationales.

Le Cameroun n’échappe pas à ce mouvement. Et suite à une opérations de désobéissance civiles, Paul Biya doit se contraindre à des élections relativement libres.

Un pouvoir contesté en 1992

En 1992, lors de ces premières élections multipartites, il est donné vainqueur face à John Fru Ndi avec un léger avantage (40% contre 36%). L’opposition conteste les résultats. En vain. Il reprend rapidement le contrôle de la vie politique et remporte ensuite très facilement  les élections présidentielles de 1997 (92,6%) et de 2004 (70,9%).

La dernière présidentielle du  7 octobre 2018 a eu lieu dans un climat de violence dans les régions anglophones où l’armée, présente en force, combat des groupes séparatistes. Le président sortant est réélu avec plus de 70% des voix.

Surnommé « Le Sphinx » pour son goût du secret

« Le Sphinx », comme on le surnomme au Cameroun, est un chef effacé et absent. Dans un récent ouvrage, « Combats pour mon pays », le journaliste Titus Edzoa, ex-proche collaborateur du président Biya, le décrivait comme un chef enfermé « dans une bulle aseptisée, protégé par un petit clan », qui constituait « un écran hermétique entre lui et le peuple ».

Il se rend rarement à l’intérieur de son pays, mais régulièrement en Suisse. Les bains de foule auxquels il s’adonnait à cœur joie au début de sa présidence sont un lointain souvenir. La tentative de coup d’État de 1984 à laquelle il a dû faire face, deux ans seulement après son accession au pouvoir, semble l’avoir rendu très méfiant.

« Les événements de 1984 ont changé sa façon d’être. Avant, il sortait dans Yaoundé, il était proche des gens. Mais imaginez, il est resté des dizaines d’heures dans le bunker, il y avait les traces de balles quand il est sorti. Ça marque », confiait un responsable sécuritaire à Yaoundé à l’AFP lors de l’élection de 2018. 

Dans leur livre enquête « Nos chers espions en Afrique » paru en 2018, Antoine Glaser et Thomas Hofnung décrivent un pouvoir qui n’hésite pas à faire appel à des sociétés privées israeliennes pour sécuriser la présidence.

Craint, « l’homme lion » comme il s’était fait appeler lors de la présidentielle de 1997, était adulé et même déifié par certains caciques de son régime. « Nous sommes tous des créatures ou des créations du président Paul Biya (…). Nous ne sommes que ses serviteurs, mieux, ses esclaves », affirmait en 2011 son ministre de l’Enseignement supérieur, Jacques Fame Ndongo.

Après le décès de sa première épouse, Jeanne Irène, Paul Biya a épousé en 1994 Chantal, de près de 40 ans plus jeune que lui.

Paul Biya est le troisième d’une famille de neuf enfants. Catéchiste, son père avait balisé le chemin pour qu’il devienne prêtre, mais il avait, contre toute attente, quitté le séminaire pour le lycée.

Avec cette ancienne serveuse de restaurant et mannequin qui s’occupe d’œuvres humanitaires, le président , a eu deux enfants, Junior et Brenda Biya. Brenda Biya avait annoncé son homosexualité en juillet 2024. Dans le pays, l’homosexualité est punie de 5 ans de prison ferme. 

Paul Biya a un fils plus âgé, Franck, 52 ans, un homme d’affaires discret.
 

Depuis quelques années, l’état de santé du président, 92 ans, suscite des interrogations chez les Camerounais. En 2024, le président n’était pas apparu publiquement pendant plusieurs mois. 

Ses absences lors de l’Assemblée générale de l’ONU à New York en septembre 2024 et du somment de la Francophonie à Villers-Cotterêts en France (Aisne) en octobre de cette même année, ont déclenché une multitude de commentaires dans les médias et sur les réseaux sociaux. Certains affirmant qu’il était décédé. Il était réapparu le 21 octobre. Le gouvernement avait interdit tout débat public sur son état de santé.

Ces dernières années, son fils Franck, 52 ans, est de plus en plus présent lors des cérémonies officielles, au même titre que sa deuxième épouse Chantal. Officiellement, le fils ainé n’est candidat à rien. Mais les regards se tournent de plus en plus vers lui selon le quotidien français Le Monde. 

La nouvelle candidature de Paul Biya a suscité des doutes dans son propre camp. Issa Tchiroma Bakary, ministre chargé de l’Emploi et de la Formation professionnelle, vient de quitter le gouvernement avant de se déclarer candidat à la présidentielle Bello Bouba Maïgari, ancien Premier ministre, s’est lui aussi déclaré candidat à cette présidentielle. Il était un allié historique du pouvoir depuis près de 30 ans.

Crise sociale et conflit

Le pays traverse une grave crise sociale. Un tiers des quelque 25 millions d’habitants vit avec moins de deux euros par jour et le taux de pauvreté atteint près de 40%, selon l’ONU. Seuls 10% des actifs ont un emploi dans le secteur formel et plus de 9 millions de personnes n’ont pas accès à l’électricité, d’après la Banque mondiale en 2022. 

Depuis près de 8 ans, les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, peuplées principalement par la minorité anglophone de cette ex-colonie française majoritairement francophone, sont en proie à une guerre entre des groupes armés réclamant l’indépendance et des forces de sécurité massivement déployées par le pouvoir en place. Le conflit depuis 2017 a déplacé plus d’un million d’habitant. Pas de quoi perturber « le sphinx ». 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *